EPR de rien. Mardi, la Cour des comptes a publié un rapport critique sur la filière EPR (réacteur nucléaire dernière génération) et prévoit une faible rentabilité pour celui de Flamanville.
Ce qu’il faut retenir
→ La Cour des comptes a chiffré que l’EPR de Flamanville a coûté 23,7 milliards d’euros. Son coût était initialement estimé à 3,2 milliards d’euros.
→ L’institution s’attend à ce que la rentabilité de ce réacteur nucléaire soit inférieure à 2%, ce qu’elle juge «médiocre».
→ La Cour redoute «un échec du programme EPR 2», le projet du président Emmanuel Macron de construire six nouveaux réacteurs à horizon 2038. Elle recommande de ne pas prendre de décision d’investissement avant la sécurisation du financement du projet.
La filière des EPR (les réacteurs nucléaires pressurisés européens) est dans le viseur du dernier rapport de la Cour des comptes, paru mardi. L’institution qui vérifie la bonne gestion de l’argent public prévoit «une rentabilité médiocre» pour celui de Flamanville (Manche), la toute dernière centrale nucléaire lancée en France, fin décembre. Elle craint également «un échec du programme EPR 2» (qui prévoit la construction de nouveaux réacteurs) en raison de «l’accumulation de risques et de contraintes», notamment financiers. Ces réacteurs devraient être moins chers et plus simples à construire, mais «la filière est loin d’être prête», selon les sages de la rue Cambon.
La centrale de Flamanville aura coûté 23,7 milliards d’euros au total, estime la Cour des comptes. En 2003, le coût était évalué à 3,2 milliards d’euros. Cette énorme augmentation s’explique par les multiples défaillances déjà mises au jour par l’institution dans un rapport en juillet 2020. S’ est ajoutée l’inflation. L’institution prend aussi en compte les coûts financiers et le budget à prévoir pour le démantèlement de l’infrastructure et la gestion des déchets radioactifs.
Une rentabilité inférieure à 2%
Le réacteur 3 de l’EPR normand a été raccordé au réseau électrique français le 21 décembre dernier, avec douze ans de retard. Il devrait alimenter trois millions de foyers, grâce à une puissance de 1 650 mégawatts (MW). Pour l’instant, il est encore en procédure de démarrage, avec des phases d’essais, de déconnexions et reconnexions au réseau. Il doit atteindre 100% de sa puissance d’ici l’été 2025, selon EDF.

D’après les estimations de la Cour des comptes, «pour des prix de vente de moins de 90 euros par mégawattheure (MWh), il paraît difficile d’envisager une rentabilité atteignant 2%». EDF n’a pas communiqué d’informations sur la rentabilité ou le coût de production prévisionnel. L’expert en énergie du think than Terra nova Nicolas Goldberg explique à Vert : «EDF ne fait pas d’estimation réacteur par réacteur, car elle considère que son parc est optimisé globalement, il arrive de baisser la rentabilité d’un pour augmenter la rentabilité d’un autre, par exemple.»
En attendant, «pas un seul jour, pas même une seule heure, notre gloire nationale n’a produit plus d’électricité qu’elle n’en consommait», ironise le Canard enchaîné dans un article paru le 8 janvier. Selon l’hebdomadaire satirique, la production de l’EPR varie entre 3 MW et 90 MW pour le moment. Lorsqu’il est à l’arrêt, son refroidissement nécessite 66 MW. Le chantier a accumulé les déboires (notre article) et 48 incidents ont été signalés à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) depuis mai dernier.
La Cour sceptique sur la construction de six nouveaux EPR
«Les surcoûts de construction et les incertitudes sur la rentabilité des EPR font peser un risque sur l’actionnaire, c’est à dire l’État», rappelle la Cour des comptes. Si EDF a financé seule la centrale normande, «l’entreprise à capitaux publics attend le concours de l’État pour les six premiers EPR 2», relève le rapport.
Emmanuel Macron annonçait en 2022 la construction de six nouveaux EPR – le programme «EPR 2» –, par paires, sur les sites de Penly (Seine-Maritime), de Gravelines (Nord) et du Bugey (Ain). La mise en service, serait, selon les scénarios les plus optimistes, prévue entre 2035 ou 2038.
Dans son rapport, la Cour des comptes note «un retard de conception et une absence de devis» pour le programme. «C’est le problème de l’œuf et la poule, relève Nicolas Goldberg, EDF veut une décision finale d’investissement de la part de l’État, pour être sûr de ne pas investir dans des études à fond perdu. Et l’État souhaite qu’EDF précise d’abord son devis et avance ses études».
Au vu des craintes pour ce programme, la Cour recommande de ne pas prendre «la décision finale d’investissement du programme EPR 2, jusqu’à la sécurisation de son financement et l’avancement des études de conception détaillée».
Des retards aussi à l’international
Comment éviter les déboires de Flamanville pour ces projets d’EPR ? «Le chantier a révélé la perte de savoir-faire, pas seulement nucléaire, mais aussi industriel de la France», affirme Nicolas Goldberg. Le rapport ne l’a pas surpris : «Au vu des plâtres qu’a essuyés ce chantier, je m’attendais à pire.» Mais l’expert en énergie se dit optimiste : «S’ils ont appris de quelques erreurs, il y aura une belle marge de progression sur le programme EPR 2. Les chantiers, lancés par paires, seront plus efficaces.»
EDF veut rassurer : «L’EPR 2 intègre les retours d’expérience des EPR en exploitation et en construction. Il s’appuie sur la standardisation et l’industrialisation pour faciliter la construction».
Les exemples à l’international ne sont pourtant pas encourageants : «En Grande-Bretagne, EDF est confronté, sur le chantier de l’EPR de Hinkley Point, à une augmentation considérable des coûts, accompagnée d’un nouveau retard de deux ans», rappelle la Cour des comptes. De mêmes problèmes de coûts et de retards affectent les EPR d’EDF en Finlande (Olkiluoto) et en Chine.
Résultat : «L’institution recommande de s’assurer que tout nouveau projet international dans le secteur nucléaire (…) ne ralentisse pas le calendrier de ce programme en France».