Décryptage

Réforme de l’audiovisuel public, moins d’écologie à l’antenne… à Radio France, un début d’été chaud

Radio chaud. Lundi, les salarié·es des médias de l’audiovisuel public ont manifesté contre la réforme de l’audiovisuel public — finalement rejetée par les député·es dans l’après-midi. Les journalistes de Radio France avaient entamé la grève le 26 juin pour dénoncer le choix de leur direction de raccourcir les émissions consacrées à l’écologie, à l’enquête et au reportage.
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«On ne casse pas un outil qui marche.» À l’heure où les stations de Radio France cumulent des audiences records, Samuel (le prénom a été modifié), journaliste à France inter, le t-shirt à moitié mouillé pour se rafraîchir, bat le pavé brulant avec ses collègues. Lundi après-midi, sous les températures caniculaires, des centaines de journalistes du service audiovisuel public ont manifesté à Paris contre la réforme de l’audiovisuel public.

Au même moment, le texte a été rejeté, avant même son examen à l’Assemblée nationale, par le vote d’une motion des Écologistes, suivi·es par la gauche et les 16 député·es Rassemblement national présent·es dans l’Hémicycle (94 voix contre 38).

Lundi 30 juin, à Paris, les professionnel·les de l’information manifestent contre la réforme de l’audiovisuel. © Mary-Lou Mauricio/Vert

Un revers pour la ministre de la culture, Rachida Dati, porteuse de la réforme. Son but ? Créer une holding, France Médias, qui réunirait France Télévisions, Radio France et l’INA (l’Institut national de l’audiovisuel) sous l’autorité d’un même président-directeur général (qui serait à la tête de l’ensemble des salarié·es) et éventuellement d’un seul directeur de l’information (qui dirigerait tous les journalistes de ces médias publics). Le texte va repartir en deuxième lecture au Sénat et risque de ne pas revenir devant les député·es avant le mois de septembre.

En tête de cortège, des paires de bras se lèvent et frappent un rythme saccadé. Elles détournent un slogan italien, bien connu des manifestations : «Siamo tutti anti Dati» (Nous sommes tous anti Dati). Le projet soulève de nombreuses craintes chez les professionnel·les de l’info, interrogé·es par Vert, lundi, dans la rue.

Pour Louise, 30 ans et journaliste dans une rédaction locale d’Ici (le nouveau nom de France Bleu), un seul directeur de l’information pour l’ensemble de ces médias, «c’est prendre le risque qu’il y ait plus de pressions sur une seule personne». Donc, selon elle, moins d’indépendance, moins de reportages et d’enquêtes.

Devant cette manifestante, une pancarte se dresse au-dessus de la foule : «France Bleu, radio locale sacrifiée». Elle dépasse du sac à dos de Célestin Navarro, journaliste à Ici Picardie. Il redoute une absorption de sa petite rédaction par l’antenne locale de France 3, «d’être refondu dans quelque chose qui ne soit plus de la radio». Il est inquiet avec ce projet de holding, censé réduire les coûts, «qu’on nous oublie et qu’on oublie notre public».

Mais il n’y a pas que le projet de holding qui inquiète les journalistes de Radio France. Elles et ils se sont mis en grève dès la semaine dernière, le 26 juin, pour protester contre les réformes des programmes décidées par leur direction. Parmi elles, la réduction du temps d’antenne des émissions qui font la part belle au reportage et à l’investigation, comme «Secrets d’info» et «Interception», sur France inter.

Elsa Comby, directrice adjointe des antennes et à la stratégie éditoriale chez Radio France, a démenti auprès de Vert, ce mardi après-midi, toute réduction de la fréquence d’«Interception». «Il n’est pas question de diminuer le nombre de reportages», a-t-elle assuré. Pour «Secrets d’infos», la manœuvre vise selon elle à alléger l’équipe – «accaparée cette année par le fait de devoir nourrir l’antenne toutes les semaines» – pour se concentrer sur les investigations et être plus réactif.

«Renoncement» sur l’écologie

Autre mesure incompréhensible pour certain·es journalistes : l’appauvrissement des émissions consacrées à l’écologie. «On sent qu’il y a un renoncement global sur tout ce qui était mis en œuvre sur l’écologie, considère Bertrand Durand, délégué CGT. Ce sont les conséquences des coupes budgétaires, mais c’est ciblé sur un certain type de programmes.»

En septembre 2022, après un été caniculaire, Radio France avait annoncé «un tournant environnemental». La crise climatique devenait «un axe éditorial majeur». «Nous maintiendrons également un volume conséquent d’émissions et de chroniques dédiées», assurait le manifeste.

Source d’incompréhension pour les manifestant·es : l’amputation du dernier quart d’heure de l’émission écolo la Terre au carré. © Mary-Lou Mauricio/Vert

Trois ans plus tard, alors que la France connaît une vague de chaleur particulièrement précoce et durable, la direction de Radio France a annoncé le raccourcissement de son émission quotidienne phare sur l’écologie, la Terre au carré (TAC). Elle va être amputée de son dernier quart d’heure, dédié aux luttes et aux militant·es, à la parole des auditeur·ices via le répondeur de l’émission, et aux chroniques de médias indépendants… dont celle de Vert.

Autre choix : celui de décaler l’émission à 14h15, après un rendez-vous d’histoire. La «TAC» ne bénéficierait donc plus du lancement et des audiences du journal 13/14 qui la précédait jusqu’ici. Lors de la dernière émission, après avoir présenté les changements aux auditeur·ices, Mathieu Vidard, l’animateur de la TAC, a conclu : «On dira que ça sent un peu le sapin, quand même, cette histoire.»

Contacté, France inter a justifié ces changements par «un manque de lisibilité» de l’émission : «Le choix éditorial qui a été fait est de recentrer l’émission sur la partie narrative avec les grands récits de l’écologie de 14h15 à 15h – qui correspond mieux aux attentes des auditeurs l’après-midi selon nos chiffres – et de donner une exposition beaucoup plus importante à la partie actualité écologique, avec une chronique à 6h45, sur une case beaucoup plus exposée [voir plus loin, NDLR]

«On ne veut pas déplaire»

Bertrand Durand, délégué syndical CGT, reprend : «On ne comprend pas que les décisions éditoriales aillent dans ce sens. Après 2022, il y avait une volonté affichée, devant l’urgence du réchauffement climatique, d’exposer les faits de la façon la plus simple, la plus claire et la plus objective aux auditeurs.»

Certain·es s’étonnent de l’absence de rendez-vous sur l’écologie pendant le 7/9, la matinale la plus écoutée de France. © Mary-Lou Mauricio/Vert

Même écho dans le cortège du côté de Samuel, journaliste à France inter, qui ne saisit pas cette décision, alors que les audiences de la TAC sont excellentes (881 000 auditeur·ices chaque jour, selon le point Médiamétrie de la rentrée 2024). Pour lui, la direction «ne veut pas déplaire». «Il y a une volonté de lissage, de manière générale. On est l’antenne la plus écoutée de France, donc on doit être, dans leur esprit, l’antenne centrale où tout le monde doit pouvoir se retrouver, pense-t-il. «Sauf que l’écologie, quand on la traite sérieusement, on porte un regard critique sur des projets économiques, industriels, de transport… et il y a des intérêts qui sont brusqués.»

Autre incompréhension pour certain·es, l’absence de rendez-vous sur l’écologie pendant le 7/9, la matinale la plus écoutée de France. À la rentrée, la direction a annoncé une chronique sur l’écologie de la journaliste Camille Crosnier… à 6h45. «Pourquoi on en ferait pas deux fois plus sur l’écologie ? s’interroge Samuel. Je n’ai jamais vu un auditeur nous reprocher d’en faire trop sur le sujet.»

«Nous ne réduisons pas la voilure sur l’écologie», répond France inter

France inter rétorque que la tranche horaire à 6h45 est «un énorme carrefour d’audience et d’exposition» et avance le chiffre d’un million d’auditeur·ices en moyenne. La direction de la station nie une diminution du traitement des enjeux liés à l’environnement sur son antenne : «L’écologie, on en parle en permanence dans la matinale. C’est notre mission de service public de parler de l’environnement et cela inonde la grille du matin au soir dans tous nos journaux, tous nos rendez-vous. Nous ne réduisons pas la voilure sur l’écologie, elle garde une place majeure à l’antenne.»

Dans les autres stations de Radio France, des émissions sur l’écologie ont aussi été réduites ou supprimées. Sur France Bleu, devenu Ici, l’émission Planète Bleu de Benoît Prospero est passée de trois heures hebdomadaires en 2023-2024 à une simple chronique cette année. Et l’an prochain ? Pour l’heure, rien n’a été annoncé.

Elsa Comby a assuré à Vert le prolongement de cette chronique pour l’an prochain. Elle explique la suppression des trois heures hebdomadaires de Planète Bleu par «une profonde refonte éditoriale [de la radio locale] depuis l’année dernière», avec la diminution des émissions nationales au profit du local et d’un contenu plus musical.

À l’échelle de Radio France, elle ajoute : «On essaye de trouver un équilibre entre faire des émissions qui sont dédiées, des porte-étendards, et en même temps d’irriguer partout nos sujets sur l’environnement. D’un point de vue éditorial, il n’est pas question de diminuer cette place. Mais on se réserve le droit de le faire autrement : notre objectif est de toucher le plus grand nombre.»

Le groupe a annoncé la diffusion sur France Culture, fin septembre, d’une séquence «LSD» (La série documentaire) consacrée à la transition écologique. Il vante aussi, sur France info, l’arrivée du physicien Bill François pour animer un billet science le week-end, «dans lequel les sujets environnementaux auront toute leur place».

Avec la suppression de la station pour les jeunes Mouv’ sur les ondes FM, c’est aussi l’émission «Demain le Monde» qui disparaît de la grille. «C’est le renoncement à s’adresser à une certaine jeunesse et à l’amener vers la radio de service public, déplore Bertrand Durand. Pour l’instant la direction ne justifie rien, elle ne s’explique pas. Elle prend des décisions extrêmement brutales, sans les communiquer aux salariés. On découvre ça dans la presse Animée par Valentin Desprès, l’émission du Mouv’ a convié toute l’année des personnalités comme Féris Barkat, MC Danse pour le Climat, Swann Périssé ou Salomé Saqué.

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