Entretien

Rapport du Giec : « Certains dérèglements climatiques apparaissent irréversibles »

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Wil­fried Pokam Mba est physi­cien spé­cial­iste des cycles de l’eau et chercheur à l’u­ni­ver­sité de Yaoundé (Camer­oun). Il a par­ticipé à la rédac­tion de la par­tie sci­en­tifique du six­ième rap­port du Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (Giec), pub­liée ce lun­di (lire notre arti­cle sur le sujet). Il en décrypte les enjeux pour Vert.

Quels sont les prin­ci­paux enseigne­ments de ce six­ième rap­port du Giec?

La pre­mière chose, c’est le fait qu’on a encore plus de preuves de l’ac­tion de l’homme sur le change­ment cli­ma­tique observé. Ce qui est dif­férent par rap­port aux précé­dents rap­ports, c’est que des détails régionaux appa­rais­sent. On a plus d’indices de l’empreinte de l’action humaine sur le réchauf­fe­ment glob­al dans beau­coup de régions. Il y a aus­si plus de pré­ci­sions sur les échéances d’at­teinte des seuils défi­nis par l’accord de Paris [signé en 2015 et qui vise à con­tenir le réchauf­fe­ment bien en-deçà de 2°C et si pos­si­ble, à 1,5°C d’ici 2100 — NLDR]. Pour réduire les effets du change­ment cli­ma­tique, les pays doivent faire des efforts pour réduire les gaz à effet de serre et des réformes sur le fonc­tion­nement énergé­tique. Ces change­ments sont par­fois enten­dus comme des pos­si­bil­ités de ren­vers­er la sit­u­a­tion, de remet­tre de l’or­dre dans le désor­dre observé. Or, ce que dit le rap­port, c’est que cer­tains des dérè­gle­ments apparus sem­blent irréversibles, comme la mon­tée du niveau des océans. Si des efforts sont faits, cela con­tribuera à atténuer l’am­pleur du dérè­gle­ment, mais ça ne per­me­t­tra pas de revenir à des con­di­tions dans lesquelles on était il y a plusieurs décen­nies.

Dans ce rap­port, pour prévoir les tra­jec­toires futures, le Giec n’emploie plus les scé­nar­ios RCP (pour Rep­re­sen­ta­tive Con­cen­tra­tion Path­way), basés unique­ment sur la physique du réchauf­fe­ment, mais des scé­nar­ios SSP (Shared Socioe­co­nom­ic Path­way), qui tien­nent compte des fac­teurs humains, soci­aux et économiques. Est-ce que cela a eu une inci­dence sur votre manière de tra­vailler ? Les pro­jec­tions restent-elles les mêmes que dans le rap­port de 2014 ?

Ce qui change, c’est plutôt la façon dont les cen­tres qui pro­duisent les scé­nar­ios cli­ma­tiques inter­agis­sent avec la com­mu­nauté des socio-écon­o­mistes, qui met en avant dif­férents scé­nar­ios d’émis­sion de gaz à effet de serre et leur inci­dence en ter­mes de con­cen­tra­tion de gaz dans l’atmosphère. Cela a des équiv­a­lents sur le bilan radi­atif [énergie reçue et per­due par le sys­tème cli­ma­tique ter­restre — NDLR] et c’est cette infor­ma­tion-là, issue des mod­èles cli­ma­tiques, que l’on utilise afin de simuler quel sera le cli­mat futur. Les scé­nar­ios restent donc glob­ale­ment les mêmes qu’en 2014 et ont des équiv­a­lents avec les scé­nar­ios RCP, même si ce n’est pas par­faite­ment iden­tique. Mais grossière­ment, ça ne mod­i­fie pas les scé­nar­ios les plus pes­simistes ou opti­mistes.

© Giec / traduit par Vert

Dans quelle mesure le scé­nario le plus opti­miste et le scé­nario le plus pes­simiste peu­vent être plau­si­bles, par rap­port à la tra­jec­toire actuelle du réchauf­fe­ment et des émis­sions de gaz à effet de serre ?

Ces scé­nar­ios sont bâtis sur des prévi­sions d’évo­lu­tions démo­graphiques et tech­nologiques, et les pos­si­bles ori­en­ta­tions poli­tiques pris­es par dif­férents États. Aucune de ces prévi­sions ne peut être plus cer­taine qu’une autre. Sur le plan économique par exem­ple, dans cer­taines régions, on a par­fois assisté à des pro­jec­tions d’évo­lu­tion qui se sont com­plète­ment inver­sées dix ans plus tard, à cause de cer­tains change­ments poli­tiques. À mon sens, c’est donc dif­fi­cile de dire quels scé­nar­ios sont les plus plau­si­bles, car cela dépend beau­coup de ces élé­ments-là. C’est pour ça qu’on s’ap­puie sur plusieurs cas de fig­ure. Nous nous sommes con­cen­trés sur les inci­dences sur les con­cen­tra­tions de gaz dans l’at­mo­sphère et leurs con­séquences. Comme ça, on est sûr que peu importe ce qui se passe, il y aura des infor­ma­tions sur tous les cas pos­si­bles.

Le rap­port du Giec dévoile cer­tains des impacts du réchauf­fe­ment cli­ma­tique en Afrique, notam­ment des épisodes de mous­son plus intens­es au Sahel. Quels sont les effets les plus à crain­dre? 

Déjà, les extrêmes liés à la tem­péra­ture vont s’in­ten­si­fi­er. Con­cer­nant le phénomène des mous­sons, on prévoit une aug­men­ta­tion des pré­cip­i­ta­tions et de leur fréquence dans le Sahel cen­tral, mais plutôt une baisse dans l’ouest du Sahel. La sai­son des mous­sons va aus­si être trans­for­mée. Il est prévu autant un retard dans le démar­rage que dans le retrait [la fin — NDLR] de la sai­son. Dans la zone sahéli­enne, il y a déjà des prob­lèmes san­i­taires liés aux vagues de chaleur, comme des cas de ménin­gite récur­rents à cause des pous­sières, par exem­ple. Donc si les extrêmes de chaleur s’in­ten­si­fient, les con­séquences en ter­mes de san­té publique aus­si.

© Giec / traduit par Vert