La conversation

Qui parle du climat en France ? Ce que nous apprennent les réseaux sociaux

Spécialiste en analyse du discours et en sciences du langage, le chercheur Albin Wagener a dirigé une vaste étude sur les réseaux sociaux durant le quinquennat Macron. Ses travaux identifient quatre groupes aux approches politiques distinctes vis-à-vis des questions environnementales et climatiques.
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Depuis le début du quin­quen­nat d’Emmanuel Macron, en 2017, l’urgence cli­ma­tique a fini par s’imposer comme un sujet majeur en France.

Ryth­mée par les rap­ports du GIEC, par les march­es cli­mat et par la Con­ven­tion citoyenne pour le cli­mat pro­posée par le prési­dent de la République, cette thé­ma­tique à la fois écologique et envi­ron­nemen­tale a fini par col­or­er bon nom­bre de sujets de la vie quo­ti­di­enne des Français : loge­ment, énergie, trans­ports, agri­cul­ture et bio­di­ver­sité font ain­si parte des thé­ma­tiques majeures.

Mais au-delà des sujets, il est impor­tant de com­pren­dre qui par­le, et la manière dont les opin­ions ont fini par se struc­tur­er lors de ces cinq dernières années.

Les mots du climat en ligne

Dans un rap­port d’analyse de nar­rat­ifs [enten­dus comme un ensem­ble de traits car­ac­téris­tiques de la nar­ra­tion, NDLR] sur les réseaux soci­aux que j’ai eu l’opportunité de con­duire sous l’égide d’Impakt Fak­tor, l’étude a porté notam­ment sur les con­ver­sa­tions en ligne, les com­men­taires pro­duits sur les réseaux soci­aux et les galax­ies d’interactions sur Twit­ter.

Ain­si, en util­isant l’analyse de cor­pus appliquée aux dis­cours sur les réseaux soci­aux, il devient pos­si­ble d’isoler les grands ensem­bles dis­cur­sifs qui ani­ment ce qui se dit à pro­pos du cli­mat, de l’écologie et de l’environnement, comme cela a déjà été démon­tré, entre autres, par les travaux de Kjer­sti Flø­tum ou Béa­trice Frac­chi­ol­la.

Par ailleurs, de nom­breux groupes de recherche se sont récem­ment struc­turés pour mieux com­pren­dre les liens entre dis­cours, com­mu­ni­ca­tion et envi­ron­nement, comme le GER « Com­mu­ni­ca­tion, envi­ron­nement, sci­ence et société ».

Représen­ta­tion du réseau con­ver­sa­tion­nel sur Twit­ter entre le 7 mai 2017 et le 1ᵉʳ févri­er 2022. Rap­port Impakt Fak­tor, CC BY-NC-ND

Quatre familles politiques bien distinctes

Que nous apprend ce rap­port ? D’abord, il mon­tre qu’il existe plusieurs réseaux d’opinions poli­tiques qui pro­posent une vision par­ti­c­ulière des ques­tions envi­ron­nemen­tales et cli­ma­tiques. En d’autres ter­mes, il indique qu’il ne peut y avoir de solu­tion écologique sans propo­si­tion poli­tique struc­turée et ancrée dans une philoso­phie économique et sociale bien par­ti­c­ulière.

Ain­si, qua­tre familles poli­tiques délim­itées ont pu se posi­tion­ner quant à la vision du cli­mat au cours de ces cinq dernières années :

  • Une écolo­gie libérale, com­pat­i­ble avec le sys­tème poli­tique et économique actuel, qui pro­pose une adap­ta­tion des mesures écologiques néces­saires à la réal­ité du cap­i­tal­isme et de ses effets économiques, financiers et com­mer­ci­aux. Ce posi­tion­nement est notam­ment porté par le gou­verne­ment actuel, et con­stitue l’axe direc­tion­nel de la poli­tique cli­ma­tique d’Emmanuel Macron.

  • Une écolo­gie réformiste, qui pro­pose de mod­i­fi­er cer­tains aspects du sys­tème poli­tique et économique afin de le ren­dre apte à inté­gr­er les néces­saires réformes écologiques. Du point de vue de la galax­ie poli­tique, on trou­ve ici plutôt le Par­ti social­iste ain­si qu’Europe Écolo­gie Les Verts, ain­si que cer­tains activistes qui souhait­ent sen­si­bilis­er le grand pub­lic, comme Cyril Dion, le Réseau Action Cli­mat ou encore des per­son­nal­ités poli­tiques comme Benoît Hamon ou Pierre Lar­routur­ou.

  • Une écolo­gie rad­i­cale, qui pro­pose de chang­er com­plète­ment de sys­tème économique et poli­tique afin de répon­dre à l’urgence cli­ma­tique. Ce courant est notam­ment porté par des médias comme Medi­a­part et Reporterre, des mou­ve­ments activistes comme Green­peace et Attac, des écon­o­mistes comme Thomas Porcher et Maxime Combes, ou encore le par­ti de La France insoumise.

  • Enfin, une dernière frange pro­duit des dis­cours anti-écol­o­gistes par­ti­c­ulière­ment relayés au sein des sphères cli­matoscep­tiques, dans la mesure où elle estime que les exi­gences liées au cli­mat sont incom­pat­i­bles avec notre mode de vie, notre réal­ité économique et nos habi­tudes cul­turelles. On retrou­ve ici des per­son­nal­ités comme Lau­rent Alexan­dre ou Gilles-William Gold­nadel, des médias comme Valeurs Actuelles, des représen­tants du Rassem­ble­ment nation­al – et, en embus­cade dans une logique cri­tique et con­ser­va­trice, la jour­nal­iste Emma Ducros ou encore l’animateur Mac Lesg­gy.

Pas qu’une affaire de communication

Cette répar­ti­tion par­ti­c­ulière­ment intéres­sante offre ain­si aux Français­es et aux Français qua­tre débouchés poli­tiques pour envis­ager l’action cli­ma­tique du point de vue social et économique.

Qu’il s’agisse d’activistes, de per­son­nal­ités médi­a­tiques ou d’élu·e·s poli­tiques, aucun camp n’est insen­si­ble à la ques­tion et tout le monde se posi­tionne. Cela mon­tre aus­si, comme l’a déjà large­ment illus­tré Thier­ry Libaert [con­seiller au Comité économique et social européen, NDLR], que l’écologie n’est pas qu’une affaire de com­mu­ni­ca­tion ; au-delà des ten­ta­tives des entre­pris­es et des asso­ci­a­tions, c’est bien une réforme poli­tique struc­turelle qui est néces­saire pour répon­dre à l’urgence cli­ma­tique.

Néan­moins, au-delà de ces qua­tre familles poli­tiques, on remar­que que d’autres caus­es émer­gent en marge des dis­cours envi­ron­nemen­taux, pré­cisé­ment grâce à la sen­si­bil­i­sa­tion à l’urgence cli­ma­tique.

Ain­si, pen­dant ces cinq dernières années, les vidéos de L214 et les pris­es de posi­tion de plusieurs acteurs médi­a­tiques ont per­mis à la cause ani­male de s’inviter dans le débat pub­lic – entre ques­tion­nements éthiques et néces­sités écologiques. Cette nou­veauté poli­tique n’a rien d’anodin : elle mon­tre à quel point les dis­cours poli­tiques et les nar­rat­ifs en émer­gence autour du cli­mat ques­tion­nent un nom­bre impor­tant d’habitudes sociales que la société con­sid­ère comme « nor­males » ou « allant de soi ».

Les scientifiques, inaudibles ?

Hélas, cette étude nous per­met aus­si un enseigne­ment non nég­lige­able : la dif­fi­culté des sci­en­tifiques à se faire enten­dre dans les con­ver­sa­tions, afin d’imposer des dis­cours à la fois péd­a­gogiques et audi­bles pour le grand pub­lic, et dont la sphère poli­tique pour­rait s’emparer aisé­ment.

Mal­gré les alertes inces­santes et dra­ma­tiques du GIEC, mal­gré les engage­ments des milieux activistes pour vul­garis­er et com­mu­ni­quer sur ces réal­ités, les per­son­nal­ités sci­en­tifiques ont véri­ta­ble­ment peiné à struc­tur­er un nar­ratif durable.

Si des per­son­nal­ités comme Valérie Mas­son-Del­motte [cli­ma­to­logue et co-prési­dente du Groupe de tra­vail 1 du Giec, NDLR] ont été par­ti­c­ulière­ment actives en France, notam­ment du fait de leur notoriété en lien avec le GIEC, il s’agit mal­heureuse­ment d’exceptions qui con­fir­ment une règle par­ti­c­ulière­ment cru­elle – règle régulière­ment soulignée par les mou­ve­ments mil­i­tants, et reprise jusqu’à la par­o­die par le film Don’t Look Up.

Leonar­do DiCaprio et Jen­nifer Lawrence, les héros de Don’t look up. NIKO TAVERNISE/NETFLIX

Ain­si, mal­gré l’information ponctuelle­ment ani­mée par les grands médias à pro­pos de l’écologie, de l’environnement et du change­ment cli­ma­tique, on remar­que que la prise en con­sid­éra­tion de ces thé­ma­tiques reste d’abord large­ment can­ton­née à une approche pure­ment événe­men­tielle : man­i­fes­ta­tions pour le cli­mat, cat­a­stro­phe cli­ma­tique ou sorte d’une étude per­me­t­tent, de manière hélas trop spo­radique, d’animer les dis­cus­sions.

Mais au-delà de ces moments, l’imposition de nar­rat­ifs réguliers et durables dans le débat pub­lic reste une gageure. Cela est égale­ment dû, comme nous le soulignons dans le rap­port d’analyse, à un manque dans notre pays de fig­ures capa­bles d’incarner le cli­mat.

Lorsque des fig­ures étrangères comme Gre­ta Thun­berg sont représen­tées, elles sont sou­vent rail­lées et exci­tent le cli­matoscep­ti­cisme ; ain­si, le défi des prochaines années, au-delà même de ce à quoi les travaux du GIEC nous invi­tent à nous pré­par­er, sera de faire mon­ter des fig­ures capa­bles de cap­tiv­er durable­ment les médias et l’opinion sur ces ques­tions.

Cet arti­cle est repub­lié à par­tir de The Con­ver­sa­tion, sous licence Cre­ative Com­mons. Il a été rédigé par Albin Wagen­er, chercheur asso­cié à l’Institut nation­al des langues et civil­i­sa­tions ori­en­tales (Inal­co) au lab­o­ra­toire Plu­ral­ité des langues et des iden­tités : Didac­tique – Acqui­si­tion – Médi­a­tions (PLIDAM) et à la Plate­forme régionale de l’é­conomie de la fonc­tion­nal­ité par l’in­no­va­tion, la coopéra­tion et les ser­vices (prEFics), Uni­ver­sité Rennes 2. Vous pou­vez lire l’arti­cle orig­i­nal ici.