Décryptage

Invisibles mais très nocives, les particules ultrafines sont enfin sous surveillance

Les niveaux de particules ultrafines sont deux à trois fois plus élevés en zone urbaine qu’en zone rurale, révèle une toute nouvelle étude d'Airparif. Classées par l’Anses depuis 2018 dans la liste des polluants prioritaires, ces poussières ne sont pas encore réglementées. Ce type de suivi est justement réalisé pour mieux en saisir les effets. Décryptage.
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Invis­i­bles, minus­cules et fort dan­gereuses pour la san­té, les par­tic­ules ultra­fines (PUF) con­stituent une préoc­cu­pa­tion majeure de veille envi­ron­nemen­tale. Moins con­nues que les PM10 (dont le diamètre est com­pris entre 10 et 2,5 micromètres — µm) et les PM2,5 (entre 2,5 et 0,1 µm), ces pous­sières sont aujourd’hui les plus petites que l’on puisse mesur­er et observ­er. Elles sont inférieures à 0,1 µm (soit 100 fois plus fines que les PM10), aus­si grande qu’un virus ou qu’une molécule d’ADN.

De cette dif­férence de gran­u­lométrie découle dif­férents effets sur la san­té : si les PM10 (nées de l’érosion des sols, des pol­lens ou des embruns marins) ont des effets sur les voies res­pi­ra­toires supérieures — nez et phar­ynx, les PM2,5 (issues des proces­sus de com­bus­tion ou for­mées dans l’atmosphère) peu­vent pénétr­er dans les poumons, de quoi occa­sion­ner des effets car­dio-vas­cu­laires et neu­rologiques. Les PUF, quant à elles, sont telle­ment fines qu’elles entrent directe­ment dans les alvéoles pul­monaires. Dès lors, elles par­ticipent aux échanges gazeux entre l’air et le sang, résis­tent en par­tie aux proces­sus d’élimination phys­i­ologiques et pénètrent les cel­lules san­guines, au point d’atteindre le cerveau ou tra­vers­er le pla­cen­ta des femmes enceintes. Pour l’Organisation mon­di­ale de la san­té (OMS), les PUF sont par­ti­c­ulière­ment incrim­inées dans la sur­v­enue de trou­bles car­dio-res­pi­ra­toires (inflam­ma­tions res­pi­ra­toires, aggra­va­tion des aller­gies, can­cers…).

Sous le radar 

Aus­si faut-il adapter les out­ils de mesure. La con­cen­tra­tion en par­tic­ules PM10 et PM2,5 est éval­uée selon leur masse par mètre cube d’air (μg/m3), ce qui ne con­vient pas pour les PUF : émis­es dans l’en­vi­ron­nement par des sources humaines (procédés de com­bus­tion, usures des matéri­aux, fumées de soudure ou de cig­a­rettes, etc.) et naturelles (feux de forêts, érup­tions vol­caniques, cos­mos, etc.) leur présence « en masse » ne dit rien de leur présence en nom­bre, sou­vent bien plus con­séquente. « En moyenne, on estime que les PUF en zone urbaine représen­tent plus de 80 % du nom­bre de par­tic­ules PM10. En revanche, elles ne représen­tent que très peu en con­cen­tra­tions mas­siques », explique ain­si Air­parif. L’organisme, chargé de sur­veiller la qual­ité de l’air en Ile-de-France, a dû s’équiper d’appareils de sur­veil­lance onéreux générale­ment réservés aux sci­en­tifiques. 

Comme l’explique Atmo Grand Est dans un rap­port paru l’an dernier, « il n’ex­iste aucune régle­men­ta­tion en air ambiant au niveau européen ou inter­na­tion­al et aucun seuil n’est pro­posé pour la sur­veil­lance des par­tic­ules ultra­fines compte tenu de l’absence de don­nées san­i­taires suff­isantes. » Les réseaux de sur­veil­lance de la qual­ité de l’air cherchent donc à être proac­t­ifs pour doc­u­menter le phénomène et favoris­er la recherche. « Tant qu’elles ne sont pas régle­men­tées, elles ne sont pas mesurées. Au regard des alertes de l’Anses et l’OMS, il faut plus d’informations pour con­naître l’im­pact sur la san­té et ren­forcer la régle­men­ta­tion » explique à Vert Antoine Trouche, ingénieur en charge de la médi­a­tion sci­en­tifique d’Airparif.

C’est dans ce con­texte que le pro­gramme conçu par l’observatoire de l’air en Île-de-France a été imag­iné. Son objec­tif est dou­ble : doc­u­menter les niveaux en sit­u­a­tion de « pol­lu­tion de fond » (à dis­tance des sources de pol­lu­tion), mais aus­si le long du traf­ic routi­er et à prox­im­ité des aéro­ports de Rois­sy et d’Orly. Cela per­me­t­tra d’implanter de nou­veaux sites de sur­veil­lance per­ma­nente des PUF en Ile-de-France, une étape indis­pens­able pour fournir aux épidémi­ol­o­gistes des don­nées utiles pour la pour­suite des travaux d’évaluation de leur impact sur la san­té.

Les premières observations dévoilées

La pre­mière étape de l’étude révélée hier par Air­parif s’est con­cen­trée sur la part liée au chauffage et au traf­ic routi­er dans les émis­sions de PUF. Elle a été menée entre décem­bre 2020 et févri­er 2021 sur qua­tre sites d’observation : trois étaient en zone urbaine (un site au cœur de Paris dans le jardin des Halles, deux en zone péri­ur­baine à Gen­nevil­liers et Trem­blay-en-France) et un en zone rurale (Bois-Her­pin, dans la Beauce) mais tous étaient en sit­u­a­tion dite de « pol­lu­tion de fond ».

Les obser­va­tions mon­trent que ces par­tic­ules sont non seule­ment présentes partout, mais surtout qu’elles sont deux à trois fois plus élevées dans l’agglomération parisi­enne qu’en zone rurale. « Les niveaux moyens en PUF mesurés sur l’ensemble de la cam­pagne sont com­pris entre 2 700 par­tic­ules par cen­timètre cube pour le site rur­al et 6 600 à 9 300 part/cm3 sur les sites urbains », détaille l’étude. 

© Air­parif

Autre élé­ment à retenir : en péri­ode hiver­nale, le sur­plus de PUF dans l’agglomération est lié au traf­ic routi­er et du chauffage au bois. « L’étude a per­mis de mieux com­pren­dre la taille des par­tic­ules émis­es par le chauffage le bois, dont une part impor­tante est suff­isam­ment petite pour faire par­tie des par­tic­ules ultra­fines. Par ailleurs, le diamètre des PUF émis par le traf­ic routi­er est inférieur à celles liées au chauffage au bois et leurs pics ne suiv­ent pas la même tem­po­ral­ité quo­ti­di­enne et heb­do­madaire », pré­cise ain­si Air­parif en rap­pelant que « les chem­inées à foy­er ouvert et les équipements de chauffage au bois anciens et peu per­for­mants sont beau­coup plus émet­teurs de par­tic­ules que les équipements récents et per­for­mants ».

Les travaux d’AirParif ne font que con­firmer des don­nées déjà con­nues des chercheurs qui tra­vail­lent sur ces sujets : « Si la vari­a­tion tem­porelle et spa­tiale des PUF est impor­tante et d’ores et déjà bien doc­u­men­tée, nos résul­tats ren­for­cent le con­sen­sus sci­en­tifique tout en nous four­nissant des élé­ments pré­cieux sur leur quan­tité réelle » souligne Antoine Trouche. Ces élé­ments nou­veaux devront per­me­t­tre d’éclairer la mise en place de poli­tiques publiques.

Les prochaines étapes

Mais avant cela, Air­parif doit avancer dans son explo­ration : « notre pro­gramme s’étend sur qua­tre ans et com­prend trois cam­pagnes de mesures menées sur trois mois con­sé­cu­tifs en été et en hiv­er. Après ces mesures effec­tuées loin des sources de pol­lu­tion, nous allons en faire d’autres près du traf­ic routi­er, puis au niveau des aéro­ports. Nous tra­vail­lons égale­ment à des mesures dans Paris afin d’opérer, à terme, des com­para­isons avec d’autres aggloméra­tions à l’international » , pré­cise Antoine Trouche.

Dans une étude bib­li­ographique réal­isée par Atmo Grand Est, on apprend que le niveau de PUF dans l’air dimin­ue à mesure qu’on s’éloigne de la source de pol­lu­tion : une étude a notam­ment mis en évi­dence une baisse des niveaux de 40% à seule­ment dix mètres d’une route. « La meilleure façon de lut­ter con­tre les PUF con­siste à réduire les pol­lu­tions à la source », insiste Antoine Trouche.