Décryptage

A la COP26, les pays du Sud réclament des comptes pour les « pertes et dommages » liés au climat

Pertes et profil bas. A Glasgow, les pays les plus vulnérables face au changement climatique demandent aux États qui y ont le plus contribué de prendre leurs responsabilités et de les indemniser.
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Lun­di, l’adap­ta­tion et les « pertes et dom­mages » liés à la crise cli­ma­tique étaient au menu des dis­cus­sions à la COP26. Soit, les solu­tions pour faire face au boule­verse­ment et l’es­ti­ma­tion des dégâts déjà occa­sion­nés ou à venir. Une journée par­ti­c­ulière­ment impor­tante pour tous les ter­ri­toires déjà affec­tés, qui deman­dent désor­mais des comptes.

En 2009, les pays rich­es — qui sont aus­si les plus gros émet­teurs de CO2 — s’é­taient engagés à abon­der chaque année un « fonds vert », à par­tir de 2020. Doté de 100 mil­liards de dol­lars (86 mil­liards d’eu­ros), celui-ci visait à aider les pays les plus pau­vres à met­tre en place des pro­jets pour com­bat­tre les effets du change­ment cli­ma­tique ou à s’y adapter. Or, pour l’in­stant, seuls 80 mil­liards ont été mis sur la table et par­fois, sous la forme de prêts à rem­bours­er. Déjà jugée large­ment insuff­isante, cette somme annuelle pour­raient n’être atteinte que d’i­ci 2023.

La semaine dernière, les 48 États les plus vul­nérables réu­nis au sein du Cli­mate Vul­ner­a­ble Forum (CVF) ont réclamé l’adop­tion d’un « pacte cli­ma­tique d’ur­gence » pour que cette promesse soit enfin tenue. « Nous voulons un plan annu­al­isé pour la délivrance des 100 mil­liards de dol­lars promis, que la moitié de ces sommes ail­lent à l’adaptation de nos pays au change­ment cli­ma­tique et que les pays les plus émet­teurs améliorent tous les ans leurs con­tri­bu­tions nationales à la réduc­tion des émis­sions, et non tous les cinq ans  », a indiqué le min­istre bangladais des Affaires étrangères, dont le pays pré­side cette année le CVF. Comme il l’a rap­pelé, ses mem­bres ne sont respon­s­ables chaque année « que de 5 % des émis­sions totales, mais sont les pre­mières vic­times du réchauf­fe­ment ».

Le finance­ment de l’adap­ta­tion est certes essen­tiel, mais il n’est pas suff­isant. Comme l’a déclaré la jeune mil­i­tante écol­o­giste ougandaise Vanes­sa Nakate, « Vous ne pou­vez pas vous adapter à la famine. Vous ne pou­vez pas vous adapter à l’ex­tinc­tion ».

Des militant•e•s de Fri­days for future deman­dent aux pays du nord de respecter la promesse de finance­ment de 100 mil­liards de dol­lars pour l’in­jus­tice cli­ma­tique qu’ils ont causée. © Eye­Press News / Eye­Press via AFP

Pour les pays les plus vul­nérables, l’ob­jec­tif est de met­tre à l’a­gen­da de la COP26 le sujet de la répa­ra­tion des « pertes et dom­mages » causés par la crise cli­ma­tique. Ceux-ci sont aus­si bien de nature économique, comme la perte de revenus engen­drée par la destruc­tion des récoltes ou la salin­i­sa­tion des ter­res qui les rend incul­tivables, que de nature non-économique tels que la dis­pari­tion de ter­ri­toires en rai­son de l’élévation du niveau des mers, les déplace­ments migra­toires for­cés ou la perte de vies humaines (Réseau Action Cli­mat).

Les pays les plus soumis à ces risques récla­ment la créa­tion d’un fonds dédié. La semaine dernière, l’É­cosse a mon­tré l’ex­em­ple en annonçant le verse­ment d’un mil­lion de livres (1,17 mil­lion d’eu­ros) : une goutte d’eau dans l’océan des besoins. Dans les seuls pays du Sud, les coûts économiques provo­qués par les pertes et dom­mages pour­raient attein­dre jusqu’à 580 mil­liards de dol­lars (500 mil­liards d’eu­ros) par an d’i­ci 2030, selon une fourchette haute établie par une étude menée par des chercheurs du Cen­tre basque sur le change­ment cli­ma­tique. Mais un « tabou » a été « brisé », des mots de Fan­ny Petit­bon, experte cli­mat de l’ONG de lutte con­tre la pau­vreté Care.

Pour l’heure, les négo­ci­a­tions au sujet des pertes et dom­mages sont très en-deçà des attentes. « Au cours du week-end, la référence à un besoin addi­tion­nel de finance­ments spé­ci­fiques pour les pertes et dom­mages a même été retirée des négo­ci­a­tions sur le rap­port du comité exé­cu­tif du mécan­isme de Varso­vie », explique encore Fan­ny Petit­bon. Adop­té en 2013 lors de la COP19, ce mécan­isme vise à ren­forcer la com­préhen­sion, à faciliter les échanges et la prise en charge des pertes et dom­mages. Mais seuls les deux pre­miers points avan­cent.

Tuvalu et Antigua-et-Bar­bu­da ont annon­cé le lance­ment d’une com­mis­sion des petits États insu­laires pour explor­er les pistes juridiques qui per­me­t­traient d’obtenir des com­pen­sa­tions de la part des pays les plus pol­lueurs, via dif­férents tri­bunaux. « L’idée c’est de dire : si vous ne voulez pas avancer dans le cadre de la COP, nous on va utilis­er d’autres canaux pour vous faire hon­or­er vos respon­s­abil­ités », résume Fan­ny Petit­bon.

Mais ren­voyés à leurs respon­s­abil­ités, les pays rich­es (dont l’U­nion européenne) préfèrent regarder ailleurs… Et con­cen­tr­er les débats sur le finance­ment de l’adap­ta­tion à la crise cli­ma­tique, comme l’a si bien fait le prési­dent améri­cain, Joe Biden, lun­di. « Les États-Unis en par­ti­c­uli­er sont con­tre la recon­nais­sance des pertes et dom­mages, parce que leur société est très judi­cia­risée et ils ont très peur de s’ex­pos­er à des procès. C’est pour ça que le pays rap­pelle sou­vent dans les textes par une astérisque que cette ques­tion n’ou­vre pas droit à com­pen­sa­tion », explique à Vert Lola Valle­jo de l’Id­dri, un cer­cle de réflex­ion français sur la tran­si­tion vers le développe­ment durable. Pour­tant, cette ques­tion a « une légitim­ité sci­en­tifique », recon­nue par le Groupe d’ex­perts inter­na­tion­al pour le cli­mat, et surtout, une « grande légitim­ité morale ».