Ce midi de septembre, les écolier·es de Barjac (Gard) goûtent les carottes de Johann Donnat, le maraîcher municipal. Les lasagnes du plat principal sont 100% biologiques. Le dessert aussi : une compote. La veille, les enfants ont dévoré la pastèque, là encore cultivée par Johann à quelques encablures de la cour de récréation.
Dans cette commune rurale de 1 600 âmes, à la frontière du Gard et de l’Ardèche, le restaurant scolaire voulu par la municipalité vise le 100% bio et local sur les tables. Des denrées bios en circuit-court pour près de 250 repas par jour afin de nourrir les écolier·es et personnes âgées livrées à domicile. Dans ce village des Cévennes, ce défi alimente les réflexions des élu·es depuis plus de 20 ans.
À Barjac, dans le Gard, du bio avant l’heure
À 80 ans, Édouard Chaulet, fils d’agriculteur·ices, est le maire communiste de Barjac depuis 36 ans. Dès son premier mandat, en 1989, il s’est engagé à mettre en place une alimentation durable et sociale. «Dans le village, il y avait deux enfants atteints d’un cancer. Cela nous a fait réfléchir. Moi, je venais d’une famille avec sept enfants, fondée sur une économie vivrière. On mangeait ce que mes parents faisaient pousser dans le jardin, on savait exactement ce qu’on mangeait, et c’est ce modèle que je voulais pour les écoliers», explique-t-il.
Une commune qui dénonce «la nourriture cancérigène que l’on donne tous les jours à nos enfants» et qui plaide pour une transition alimentaire, à l’aube des années 2000, cela n’a rien de banal. Le réalisateur Jean-Paul Jaud décide alors de suivre cette mue et pose ses caméras à Barjac pendant plusieurs saisons. Son film, Nos enfants nous accuseront, présenté au festival de Cannes 2008, jette un premier pavé dans la mare.
Depuis, la question de la malbouffe dans la restauration collective (crèches, Ehpad, écoles…) et en dehors s’est installée dans le débat public. En France, la loi Égalim du 30 octobre 2018, complétée par la loi Climat et Résilience, définit des obligations en termes de qualité pour les produits qui entrent dans la composition des repas servis en restauration collective. Appliquée depuis 2022, Égalim impose – sans pour autant sanctionner –, au moins 50% de produits durables et de qualité : bénéficiant par exemple du Label Rouge, d’une AOC, AOP ou IGP. Cette loi demande aussi 20% de produits bios sur les tables des restaurants collectifs publics.
Trois ans plus tard, difficile de dresser un tableau précis ou de savoir qui sont les bons et les mauvais élèves en la matière. La plateforme gouvernementale Ma cantine annonce un taux global d’achats de produits bios de 12,1% (secteurs de l’éducation, de la santé ou du médico-social confondus). Pour les seuls restaurants scolaires, le chiffre passe à 17% – nous ne sommes donc pas encore à 20%. Par ailleurs, cette déclaration n’étant pas obligatoire, les collectivités les plus engagées sont probablement les seules à avoir transmis leurs données (sur la base de factures).
L’association nationale Un plus bio, qui œuvre notamment pour un changement des pratiques alimentaires en restauration collective, observe : «La loi Égalim a permis d’éveiller les esprits. Des collectivités ont amorcé un travail de réflexion et d’autres ont poussé le dispositif plus loin, en favorisant la mise en relation d’acteurs sur leur territoire, constate Stéphane Veyrat, directeur de cette organisation qui accompagne 1 500 collectivités engagées. On s’aperçoit que lorsque les collectivités se fixent un cap ambitieux, il y a généralement une valorisation des territoires et des filières locales.»
À Tours, un virage à 180 degrés
C’est le cas à Tours (Indre-et-Loire) : 140 000 habitant·es et 8 000 repas par jour. Ici, la cantine fonctionne en régie publique et l’équipe municipale a fait construire une nouvelle cuisine centrale où seront préparés tous les repas. L’inauguration de ce nouveau bâtiment à 20 millions d’euros est prévue pour le 15 octobre. Un symbole du projet pour l’alimentation durable porté le maire (Les Écologistes) Emmanuel Denis, élu en 2020.
La municipalité a choisi de transformer sur place un maximum de denrées brutes. La cuisine centrale est équipée de fours à basse température (pour conserver les nutriments dans les aliments), d’un secteur pâtisserie pour faire des desserts maison et d’équipements dédiés aux repas de la petite enfance, entièrement confectionnés par les 60 agent·es de restauration de la Ville. «Notre objectif était d’assurer une cuisine avec des produits de qualité, faite ensemble, par les agriculteurs du secteur et les agents de restauration. Une cuisine zéro déchet», explique la première adjointe (sans étiquette) au maire Aline Wanneroy.
Avec la nouvelle cuisine, les équipes utiliseront désormais des contenants en inox réemployables et lavables. Cela permettra d’éviter de jeter 200 tonnes de barquettes chaque année. Aline Wanneroy s’en souvient : le dossier a progressé «petit pas par petit pas pour gagner la confiance» des acteurs locaux, comme la chambre d’agriculture, et pour tenter d’obtenir du 100% bio pour les fruits et légumes.
Aux côtés de la région Centre-Val de Loire, la municipalité a participé à la transformation d’une laiterie pour qu’elle puisse fournir la cantine tourangelle en produits laitiers bios. «Il reste encore des choses à construire : pour mettre des pommes de terre bios et locales dans nos menus, projette Aline Wanneroy. Mais l’outil est là. Ce qui fait avancer les équipes, c’est aussi de redonner un sens à leur métier de cuisinier.» Près de la nouvelle cuisine, un parcours pédagogique destiné aux écolier·es permettra de les sensibiliser à l’alimentation et aux paysages alimentaires.
À Paris, l’envie d’un territoire quasi autonome
Le projet nourricier est aussi au cœur de l’action menée à Paris. La capitale a transformé le circuit d’approvisionnement de sa restauration collective, notamment en fédérant les acteurs locaux. Adopté en 2022, son plan alimentation durable vise 75% d’alimentation issue de l’agriculture biologique.
Aux alentours, des collectivités et structures du bassin de la Seine se sont regroupées en 2023 au sein d’une association de coopération territoriale : Agri Paris Seine. «Nous voulions structurer la filière et garantir aux agriculteurs un carnet de commandes régulier, explique Audrey Pulvar, adjointe à la mairie de Paris en charge de l’alimentation durable, de l’agriculture et des circuits courts. Certains agriculteurs avaient besoin de cela pour entamer leur transition en agriculture bio. Et nous insistons sur le critère de proximité. Le bio sans la proximité perd de son sens.»
De fait, Agri Paris Seine facilite l’approvisionnement à moins de 250 kilomètres des cantines. «Avant, les denrées de notre restauration collective parcouraient en moyenne 650 kilomètres, rappelle l’élue. C’est aussi une façon de réduire l’empreinte carbone en participant au développement des territoires : avec l’idée que chacun redevienne nourricier.» Paris, qui sert entre 28 et 30 millions de repas chaque année, a aussi déclaré la guerre au plastique et n’utilise plus que des plateaux en inox. Résultat : la ville a obtenu le label Écocert mention «Excellence», notamment grâce aux repas 100% bios proposés dans les crèches.
Quels leviers pour contenir les budgets ?
À leur échelle, ces trois collectivités repensent le rapport à l’alimentation et au territoire. «Et ce n’est pas une question de budget, nous ne sommes pas riches !», sourit Édouard Chaulet, le maire de Barjac. Ces expériences montrent qu’atteindre les objectifs de la loi Égalim sans trop alourdir le budget passe par trois leviers : une végétalisation de l’assiette (Paris a opté pour deux repas végétariens hebdomadaires), un respect de la saisonnalité et l’achat de produits bruts en direct des producteur·ices.
«Il y a des solutions pour contenir le budget. Cela étant dit, il faut ensuite oser se saisir du dossier, qui peut faire peur», reconnaît Stéphane Veyrat, le directeur de l’association Un plus bio. Pour cause, les élu·es doivent se pencher sur les cahiers des charges très techniques. Elles et ils doivent aussi rallier des partenaires à leur cause, notamment des agriculteurs. «La restauration collective est toujours l’objet d’arbitrages politiques. Ce n’est pas forcément un sujet prioritaire lorsqu’il s’agit de voter un budget en conseil municipal», analyse Stéphane Veyrat.
Même s’il reste beaucoup à faire, l’idée d’une cantine plus durable fait son chemin. Selon l’Observatoire des paysages alimentaires, porté par Un plus bio : «Depuis la mise en œuvre de la loi Égalim, le menu végétarien s’est solidement ancré dans les pratiques des cantines. Aujourd’hui, 46% des collectivités engagées proposent ce type de repas au moins deux fois par semaine.»
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