Décryptage

Peut-on affirmer qu’« à pied, on rejette plus de CO2 que sa voiture électrique » ?

François Tarrain, rédacteur en chef adjoint du magazine Auto Plus, jure que la marche à pied émet davantage de gaz à effet de serre que de rouler en véhicule électrique. Qu'en est-il ?
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Ils n’en peu­vent déjà pub. « Pensez à cov­oitur­er » ; « pour les tra­jets courts, priv­ilégiez la marche ou le vélo »… Dès le 1er mars 2022, les con­struc­teurs auto­mo­biles seront tenus d’af­fich­er des mes­sages « éco-respon­s­ables » sur leurs pub­lic­ités. Tous les spots seront mar­qués #SeDé­plac­er­Moin­sPol­luer, comme le pré­cise un arrêté pub­lié le 29 décem­bre au Jour­nal offi­ciel. Les fab­ri­cants ont immé­di­ate­ment râlé, tout comme François Tar­rain, rédac­teur en chef adjoint à Auto Plus. 

Invité des Grandes gueules de RMC ce lun­di, il s’est ému de la taille de ces mes­sages – qui devront cou­vrir au moins 7% de la pub­lic­ité — ain­si que du principe même de cette mesure : « aujour­d’hui les pubs c’est qua­si­ment que des voitures élec­tri­fiées », jure le jour­nal­iste. Avant d’a­jouter :

« Alors bon, on a une voiture élec­trique qui pol­lue pas mais il faut quand même préfér­er y aller à pied, sachant qu’à pied on rejette plus de CO2 que sa voiture élec­trique. Est-ce que c’est vrai­ment bon pour les ours polaires ? Je ne sais pas. »

On a eu beau chercher, on ne voit tou­jours pas com­ment François Tar­rain a pu con­sid­ér­er que le fait d’ex­pir­er en marchant pou­vait émet­tre plus de CO2 qu’expirer au volant d’une voiture man­u­fac­turée, com­posée de cen­taines de kilos d’acier et munie de bat­ter­ies au lithi­um qui con­ti­en­nent de l’électricité par­fois pro­duite à par­tir de com­bustibles fos­siles. « Les émis­sions de CO2 sont 30% plus élevées pour la pro­duc­tion d’un véhicule élec­trique que pour un véhicule ther­mique », pou­vait-on lire en 2020 dans le même mag­a­zine Auto Plus, à la suite de la pub­li­ca­tion d’un rap­port de l’ONG Trans­port & envi­ron­ment (T&E). C’est notam­ment le fait des bat­ter­ies, com­posées de métaux rares et qui pèsent plusieurs cen­taines de kilo­grammes. En out­re, la façon dont est pro­duite l’élec­tric­ité peut faire décroître ou bondir le bilan car­bone des voitures élec­triques.

Les émis­sions sur tout la durée de vie des véhicules, en grammes de CO2-équiv­a­lent par kilo­mètre. Tout à gauche, les voitures à essence et diesel. Vers la droite, les gains en ter­mes d’émis­sions en fonc­tion de la manière dont l’élec­tric­ité est pro­duite pour ces pays européens. En France, où l’én­ergie est essen­tielle­ment pro­duite à par­tir de nucléaire, une source très faible en CO2, l’é­cart est de 77% avec une voiture à essence. © T&E

50 grammes de CO2 par kilomètre contre zéro.

Selon T&E, les véhicules élec­triques émet­tent effec­tive­ment moins de gaz à effet de serre sur leur vie entière que leurs homo­logues ther­miques. Dans le pire scé­nario (des bat­ter­ies fab­riquées en Chine et une élec­tric­ité pro­duite à base de char­bon, celles-ci émet­tront 28% de CO2 en moins par kilo­mètre par­cou­ru que leurs homo­logues à essence. Une dif­férence qui atteint ‑81% si l’élec­tric­ité est issue de sources décar­bonées, et la bat­terie pro­duite locale­ment. En France, note encore l’é­tude, les véhicules élec­triques émet­tent aux alen­tours de 50 grammes de CO2 par kilo­mètre par­cou­ru en moyenne.

Pour se fig­ur­er les ordres de grandeurs et les écarts d’émis­sions d’un mode de trans­port à un autre, l’Ademe a pub­lié un sim­u­la­teur à des­ti­na­tion du grand pub­lic. Sans même tenir compte de la fab­ri­ca­tion, l’a­gence retient le chiffre de 19,8 grammes de CO2 équiv­a­lent par kilo­mètre pour la voiture élec­trique — un chiffre basé sur la pro­duc­tion élec­trique française. Et zéro pour la marche.

Cliquez sur l’im­age pour accéder au sim­u­la­teur © Ademe

Dans tous les cas, il est com­plète­ment aber­rant d’af­firmer que les voitures élec­triques émet­tent moins de CO2 qu’une per­son­ne qui marche. A moins de marcher sur la tête ?