Entretien

Patrick Scheyder: «L’Écologie culturelle a débordé le milieu artistique»

Patrick Scheyder est pianiste, compositeur et auteur de plusieurs essais sur l’Écologie culturelle. Auprès de Vert, il fait le point sur ce mouvement, né il y a un peu plus d’un an, son engouement et dévoile les détails de sa prochaine manifestation, le 30 novembre au Musée d’Orsay, à Paris.
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Qu’est-ce que l’Écologie culturelle ?

Il s’agit de rap­procher écolo­gie et cul­ture, pour que l’écologie ne touche pas seule­ment par la sci­ence et la poli­tique, mais aus­si par la sen­si­bil­ité. La cul­ture ne se réduit pas à l’art. C’est tout ce qui fait la société : ce qu’on mange, com­ment on con­verse. Le libéral­isme et le cap­i­tal­isme ont très bien com­pris ça. Ils ont agi sur la psy­cholo­gie des gens. Il faut faire pareil avec l’écologie.

Patrick Shey­der à la Recy­clerie à Paris en mars 2023 © Flo­rent Mahi­ette

Nous avons aus­si une préoc­cu­pa­tion : celle d’être rat­taché au ter­ri­toire. C’est pourquoi nous plaidons pour des maisons de l’écologie cul­turelle qui por­tent des visions jar­dinières, académiques, artis­tiques. Une mai­son doit être un cock­tail de tout ça et surtout pas une spé­cial­i­sa­tion. L’écologie, c’est l’ensemble de la société et du vivant et les rela­tions des êtres vivants entre eux.

Dans l’écologie cul­turelle, on mul­ti­plie des expéri­ences très dif­férentes. Cela fait six mois qu’on a lancé l’idée de maisons de l’écologie cul­turelle et il y en a main­tenant six, des jardins partagés à Bécher­el, un lieu privé dans le Béarn. On val­orise l’écologie par­tic­i­pa­tive : ça part d’un ter­ri­toire avec une visée uni­verselle. C’est ce qu’on enseigne aus­si sur le cam­pus de Caen de Sci­ences Po Rennes dans un cours d’Écologie cul­turelle.

L’Écologie culturelle rencontre-t-elle son public, selon vous ?

Oui, l’engouement est là. Nous sommes en train de mon­ter un mas­ter d’Écologie cul­turelle à Sci­ences Po Rennes. L’école des Ponts est intéressée et veut for­mer 70 étu­di­antes et étu­di­ants, des archi­tectes des bâti­ments de France, d’AgroParis Tech et de Poly­tech­nique.

Les gens sont en train de s’approprier les idées. On a totale­ment débor­dé le milieu artis­tique. Main­tenant, ça infuse dans la société. Je veux aller plus loin et m’intéresser au design, car je plaide pour une écolo­gie banale, la plus quo­ti­di­enne pos­si­ble. Le design pénètre les objets du quo­ti­di­en. Avec Pierre Gilbert, nous avons d’ailleurs par­ticipé à Amour vivant [un salon de design, NDLR], ça m’a ouvert beau­coup d’idées. J’ai décou­vert que l’Art nou­veau avait été inspiré par Haeck­el, qui n’est autre l’inventeur du mot «Ecolo­gie». L’Art nou­veau était telle­ment beau que les gens qui cher­chaient une nou­velle esthé­tique s’en sont pas­sion­nés. Dès le départ, l’écologie est une vision réal­iste et sci­en­tifique des choses, mais aus­si une cul­ture et infuse dans l’art. Il faut les deux.

Vous participez bientôt à une soirée organisée par le Musée d’Orsay pour sensibiliser les publics artistiques à l’écologie. Qu’allez-vous faire dans cette grande institution ?

C’est une soirée tri­par­tite qui inau­gure les Curieux jeud­is du Musée d’Orsay, un ren­dez-vous axé autour de la jeune généra­tion. Orsay con­serve les tableaux des pein­tres de Bar­bi­zon qui peignaient en plein air et défendaient le «pat­ri­moine vert», comme je l’ai expliqué dans mon livre sur la forêt de Fontainebleau [Des arbres à défendre, édi­tions Le Pom­mi­er]. La forêt de Fontainebleau a d’abord été sauvée par une lutte esthé­tique avant que ce soit une lutte sci­en­tifique.

Curi­ous Map­ping sur les Quais de Seine le 23 novem­bre 2023 ©Flo­rent Mahi­ette

Pen­dant cette soirée, le col­lec­tif Minu­it 12 fera un hap­pen­ing dans la grande nef. Puis, nous con­tin­uerons la soirée dans la salle des fêtes, dans un décor kitsch et lux­ueux avec des guir­lan­des de cristal partout. J’y don­nerai mon nou­veau spec­ta­cle sur George Sand avec Camille Eti­enne et Jus­tine Sène. Une mise en scène sim­ple avec un map­ping d’Emma Vari­chon, qui pro­jetera des tableaux sur le piano. Ça donne un côté féérique. Le piano est le passeur entre dif­férentes épo­ques. Avec Hélène Binet de Make­sense, on se deman­dera quelles leçons tir­er de l’histoire pour com­pren­dre et sen­si­bilis­er autrement.

Vous avez récemment réalisé un Curious Mapping de la Seine : de quoi s’agit-il ?

Le but était de créer des utopies et des dystopies à par­tir du pont des Arts, à Paris, sur le mur en con­tre­bas du Lou­vre. C’est un faux jeu qui pro­pose aux gens de faire ou ne rien faire pour le cli­mat. Si tu fais quelque chose, le Déje­uner sur l’herbe [célèbre tableau d’Edouard Manet, NDLR] devient une nature exubérante. Sinon, la terre se craque­lle, les arbres s’assèchent.

Cela pose d’ailleurs des ques­tions intéres­santes sur les musées. Avec le change­ment cli­ma­tique, dans quelle mesure une œuvre va-t-elle être une relique, le témoin d’un monde dis­paru ?

Les pas­sants étaient très sur­pris, ils dis­aient que c’était une bonne idée. C’était com­pris comme une action artis­tique, ils étaient stupé­faits. J’ai tra­vail­lé avec Antoine Zybu­ra, un jeune motion design­er, très doué. C’était un essai et on va essay­er de faire ça régulière­ment avec des appels aux artistes. Je pense qu’on peut lancer un mou­ve­ment. Ça peut avoir un gros impact.