Portrait

Ophélie Damblé, guérillera verte au nom de Ta mère nature

Connue pour sa chaîne Youtube Ta mère nature, Ophélie Damblé est agricultrice urbaine en lisière de Paris. Avec ses influences punk et féministes, elle veut mener la « guérilla » en ville à grand renfort de bouturage sauvage et autres « bombes » de graines.
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Lunettes de soleil sur le nez et gilet rouge en laine, la jeune femme de 33 ans nous reçoit à la Cité fer­tile, ce tiers-lieu situé à Pan­tin, en ban­lieue nord de Paris. A deux pas, des adeptes du crack sont entassés dans un square devenu insalu­bre depuis qu’ils ont été refoulés au-delà du périphérique.

Ophélie Damblé nous emmène dans son « lab­o­ra­toire d’expérimentation autour de l’agriculture urbaine », peut-on lire sur l’écriteau qui orne la pépinière qu’elle a instal­lée en juil­let 2020. De pas­sage, une ving­taine de jeunes Belges sont attroupé•e•s autour de la serre. Elles et ils ont con­nu Ophélie par le prisme de sa chaîne YouTube Ta mère nature, qui affiche 24 000 abonné•e•s. « Je ne suis pas la méga influ­enceuse de l’année », tem­père-t-elle.

« Plantez-vous ! »

« Mon seul con­seil, lance-t-elle au pub­lic impromp­tu qui s’est for­mé, c’est : plantez-vous ! Moi aus­si j’ai fait crev­er des plantes, et j’en fais tou­jours crev­er. » Une philoso­phie de l’essai qui dépasse de loin le sim­ple jar­di­nage. Touche-à-tout, Ophélie a été tan­tôt musi­ci­enne – elle a joué du piano et de la gui­tare dans « des groupes de meufs qui jouent mal mais qui cri­ent fort » – tan­tôt pigiste pour le blog Retard mag­a­zine et pub­li­ciste. Aujourd’hui, elle est agricul­trice urbaine, pour­suit la créa­tion de con­tenus vidéo et audio, et pub­lie des livres. « Mon truc c’est la trans­mis­sion. Je suis une com­mu­ni­cante au plus pro­fond », con­fie-t-elle. Un côté auto­di­dacte qu’elle relie aus­si au poli­tique : « Je n’attends pas qu’on me prenne par la main » – et qu’elle invite les autres à suiv­re dans un mou­ve­ment d’empow­er­ment (autonomi­sa­tion) écol­o­giste.

Ophélie Damblé prodigue ses con­seils aux visiteur·se·s belges du jour © Juli­ette Quef / Vert

Orig­i­naire de l’Ariège, au pied des Pyrénées, elle a gardé de ses par­ents professeur•e•s son rap­port à la lec­ture, à l’art, à la musique. « A 17 ans, je ne rêvais que de faire des con­certs et voir du monde », s’amuse-t-elle. Des raisons qui l’ont poussée à démé­nag­er à Paris pour y suiv­re des études de ciné­ma et de théâtre. Dix ans plus tard, elle réalise qu’elle est « coupée de la nature ». Comme beau­coup, sa prise de con­science arrive par l’assiette et la con­duit pro­gres­sive­ment aux champs.

Mais après avoir quit­té son tra­vail dans la pub, suivi divers­es for­ma­tions et vécu dans plusieurs écol­ieux – qui la déçoivent par leur côté trop « blanc », voire « un peu con­san­guin » – elle revient à la ville pour y retrou­ver « du bras­sage ». La var­iété, Ophélie l’af­fec­tionne dans sa serre mais aus­si chez les humains : « Ici, détaille-t-elle, j’accueille le trente­naire CSP+ éco­lo, mais aus­si des réfugiés, des lycéens en décrochage sco­laire, des femmes vic­times de vio­lences, des salariés de grandes entre­pris­es. »

« Le jar­di­nage, c’est poli­tique ».

Les visiteur•se•s parti•e•s, Ophélie nous entraîne à l’intérieur de sa pépinière. En ce début d’automne, quelques tomates rougis­sent encore sous les vit­res, aux côtés des plants de sauge et autres aro­mates. Mais surtout, « c’est la sai­son des graines. On peut facile­ment aller en glan­er un peu partout », s’enthousiasme-t-elle.

© Juli­ette Quef / Vert

Glan­er, faire du bouturage sauvage, lancer des « bombes » de graines : Ophélie est une adepte de la « guéril­la green », un con­cept qu’elle a vul­gar­isé dans sa BD éponyme parue en 2019 aux édi­tions Steinkis, et qui veut réen­sauvager la ville. Née à New-York dans les années 1970, la Guéril­la verte est aujourd’hui incar­née par le pop­u­laire Ron Fins­ley. Cité par Ophélie comme l’un de ses mod­èles, cet Afro-améri­cain de Los Ange­les lutte con­tre les déserts ali­men­taires en cul­ti­vant des légumes dans la rue et alpague la pop­u­la­tion avec le mot d’ordre « Plant some shit ! » (« Plantez des trucs »).

Au car­refour de l’écologie et du fémin­isme, la vidéaste voit dans la végé­tal­i­sa­tion urbaine de nom­breuses ver­tus : « Quand on est une femme, on ne peut pas sta­tion­ner dans l’espace pub­lic sans se faire harcel­er. Quand je jar­dine dans la rue, j’échange avec les gens autour des plantes, de la nour­ri­t­ure, ça crée un intérêt com­mun. » Et cela per­met de dépass­er le stade de l’écologie indi­vidu­elle : « Tri­er ses déchets c’est bien, mais ce n’est pas comme ça qu’on va chang­er la société », assène-t-elle. Avec ses influ­ences punk et écofémin­istes, la cita­dine cul­tive un art de la brèche. « Comme les plantes, il faut que les citoyens se sai­sis­sent de tous les inter­stices », incite-t-elle. Quitte à désobéir : « Le jar­di­nage, c’est poli­tique ».

L’une des 25 vidéos de Ta mère nature con­sacrées à la Green gueril­la.

Pour autant, la « pureté mil­i­tante [l]’ennuie ». Tout comme les influenceur•se•s « green » qui pul­lu­lent sur Insta­gram, où elle est aus­si instal­lée. Elle préfère zieuter du côté des skateur•se•s, des grapheur•se•s, « tous ceux qui s’emparent de l’espace pub­lic pour en faire autre chose ».

Peu importe le moyen, elle veut ren­dre les choses « ludiques ». Un état d’esprit qu’elle grave dans cette invi­ta­tion finale, petit sourire en coin d’autodérision face aux for­mules prépen­sées : « Faites les choses sérieuse­ment mais ne vous prenez pas trop au sérieux ». On en pren­dra de la graine.