Ça champ pas bon. Assurer le renouvellement des générations et la souveraineté alimentaire. Adapter le secteur agricole au réchauffement et au recul de la biodiversité. C’est l’objectif de la loi soumise au vote à l’Assemblée nationale ce mardi. Les associations écologistes s’inquiètent d’une absence de cap et de plusieurs reculs significatifs pour ce texte remanié après la mobilisation du secteur agricole fin 2023. Vert fait le point.
Composé de 20 articles, ce texte, promis par Emmanuel Macron depuis 2022, a été modifié après la gronde de l’hiver 2023 (notre article) en suivant un mot d’ordre : simplification. Moins de contrôles, moins de normes, moins de paperasses pour alléger le laborieux quotidien des 416 000 exploitations agricoles françaises.
Pour les associations de défense de l’environnement consultées par Vert, c’est surtout la préservation des écosystèmes qui fait les frais de cette simplification. Trois articles de la loi provoquent tout particulièrement l’inquiétude.
Article 9 : l’occasion manquée des «diagnostics climatiques»
C’était l’une des innovations du texte : la mise en place d’un diagnostic pour permettre aux nouveaux agriculteurs de tester la viabilité de leur projet au regard des défis du changement climatique. Après examen à l’Assemblée début mai, la mesure a perdu de sa substance, regrette auprès de Vert Marion Vigneau, du Collectif Nourrir qui regroupe 54 organisations nationales agissant en faveur de la transition agricole et alimentaire : «Rien dans le projet de loi ne précise si cet outil est obligatoire ou conditionne l’attribution de certaines aides publiques. L’État va-t-il le prendre en charge ? On n’en sait rien non plus. On peut donc s’attendre à ce qu’il y ait seulement 5 à 10% des agriculteurs qui s’en saisissent».
Article 13 : un grand retour en arrière sur la protection de la nature
Cet article propose que les destructions d’espèces protégées ou d’habitats naturels ne soient sanctionnées pénalement que si elle sont commises de manière «intentionnelle». Si elles sont considérées donc comme non-intentionnelles, les dégradations passeront du pénal à l’administratif. Ce n’est donc plus le ou la juge qui statuera dans ces affaires, mais le ou la préfète. Les atteintes commises dans le cadre d’obligations légales – par exemple, la destruction de nids d’oiseaux à l’occasion de l’abattage d’arbres ravagés par des parasites — seront considérées comme non-intentionnelles par défaut. La bonne foi des agriculteur·ices fera loi.
Cette disposition «délivre un permis de détruire la nature et d’impunité générale, a réagi la députée (Génération Écologie) Delphine Batho, lors du dernier jour d’examen de la loi, vendredi 24 mai. Il n’y a jamais eu de remise en cause aussi brutale et aussi violente de toutes les directives européennes sur la protection des espèces et des habitats protégés».
Cet allègement des peines pourra aussi bénéficier à d’autres acteurs intervenant sur les habitats naturels – les exploitants forestiers, les chasseurs, les producteurs d’énergie. Et c’est cela qui inquiète le plus les ONG : «Un chasseur pourra donc tirer un milan royal sans conséquence», s’inquiète auprès de Vert Laure Piolle de France Nature Environnement (FNE). Pour ces actes non-intentionnels, la loi prévoit la réalisation d’un stage de sensibilisation aux enjeux de l’environnement.
Article 15 : un coup d’accélérateur pour les mégabassines et les fermes-usines
Cet article a pour but de raccourcir les délais juridiques quand des recours sont déposés contre des projets d’ouvrages hydrauliques agricoles (comme les mégabassines) et des installations d’élevage (les agrandissements d’exploitations notamment). Au lieu des quatre mois actuels, le juge n’aura plus que deux mois pour autoriser ou non l’ouvrage contesté.
«Cela laisse beaucoup moins de temps aux associations pour apporter les preuves du danger de certains projets, analyse Marion Vigneau du Collectif Nourrir. Il y a peu de chances que cette accélération apaise les tensions sur le terrain. Lors de l’examen de la loi début mai, il avait été proposé qu’en cas de recours, les projets soient mis en pause en attendant la décision du juge. En vain». Dès avril, la Défenseure des droits, qui veille à ce que l’État respecte les libertés de chacun, alertait pourtant sur cet article qui «porte atteinte au droit au recours».
«Ces mesures sont autant de gages concédés à l’agriculture industrielle, défendue par le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, avec la balance du commerce extérieur comme seule boussole, déplore Laure Piolle de la FNE. Or, les modèles agricoles agroécologiques, reconnus par les scientifiques, existent déjà. La question que pose cette loi, c’est : où va-t-on mettre l’argent public ? pour installer qui ? pour produire quoi ?»
La majorité des député·es de gauche et plusieurs ONG écologistes ont appelé à voter contre le texte. «À ce stade, nous pouvons affirmer que cette loi est un échec puisqu’elle ne permet ni d’enclencher la nécessaire transition agroécologique, ni de garantir le renouvellement de générations et encore moins d’assurer une meilleure rémunération aux agriculteurs, déclarait Sandy Olivar Calvo de Greenpeace à l’issue de l’examen de la loi, le 25 mai dernier. Elle aura surtout servi à détricoter les normes environnementales difficilement acquises ces dernières années.»
Photo de couverture : Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, le 22 mai 2024 lors de l’examen de la loi agricole à l’Assemblée nationale. © Amaury Cornu /Hans Lucas/AFP
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