Décryptage

Nos vêtements dépendent toujours plus de l’industrie fossile

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Un cadavre dans le plac­ard. T‑shirt, box­er, pan­talon, veste, col­lant ou mail­lot de foot… Dans lequel de nos vête­ments enfilés à la hâte ce matin n’y a‑t-il aucune fibre syn­thé­tique ? Un rap­port, pub­lié ce mer­cre­di par la fon­da­tion Chang­ing Mar­kets (CMF) et l’ONG française No Plas­tic in my Sea, pointe une nou­velle fois le fait que notre garde-robe est rem­plie de pét­role et de micro-plas­tiques.

Alors que le gou­verne­ment français réflé­chit à la mise en place d’un éco-score pour les vête­ments (Radio France), le rap­port « Syn­thé­tiques anonymes 2.0 » fait le con­stat que les fibres pro­duites à par­tir de com­bustibles fos­siles représen­tent les deux tiers des tex­tiles. Et le prob­lème s’aggrave sans cesse puisque depuis le début des années 2000, la pro­duc­tion du secteur de la mode aurait dou­blé. Poly­ester, nylon, acrylique, polyuréthane, élasthanne et autre caoutchouc syn­thé­tique pro­duits et ven­dus à petit prix sont à la base du mod­èle économique de la « fast fash­ion ». Au même titre que la con­som­ma­tion énergé­tique ou les trans­ports, le prêt-à-porter per­pétue ain­si la dépen­dance à l’extraction de com­bustibles fos­siles en pleine urgence cli­ma­tique.

Un an et demi après avoir établi un pre­mier état des lieux, dans lequel elle esti­mait que la pro­duc­tion des fibres syn­thé­tiques « demande actuelle­ment plus de pét­role que la con­som­ma­tion annuelle de l’Espagne », CMF a inter­rogé 55 mar­ques, dont 31 ont répon­du. D’après les déc­la­ra­tions récoltées, com­plétées par une recherche doc­u­men­taire, l’ONG établit sa liste noire des grands noms de la mode : Adi­das, Bon­Prix, Indi­tex (Zara, Bersh­ka, Pull&Bear, Mas­si­mo Dut­ti), et Puma fig­urent par­mi les dix mar­ques qui utilisent le plus de fibres syn­thé­tiques par rap­port au total des fibres util­isées. Nike, Indi­tex, Puma et C&A font, elles, par­tie des dix mar­ques les plus gour­man­des de ces matières en vol­ume. Cer­taines mar­ques ont même aug­men­té leur recours à ces matéri­aux au cours des cinq dernières années. Une seule société, Ref­or­ma­tion, s’est engagée à réduire toutes les matières syn­thé­tiques (vierges et recy­clées) à moins de 1 % du total d’i­ci à 2025.

Autre point d’inquiétude selon ce recense­ment, « plusieurs entre­pris­es ne car­togra­phient pas leurs chaînes d’ap­pro­vi­sion­nement en matières syn­thé­tiques et ne peu­vent donc pas maîtris­er les risques fon­da­men­taux liés à l’ap­pro­vi­sion­nement, tels que le recours au pét­role provenant de pays en con­flit, au char­bon, et au gaz issu de tech­niques de frac­tura­tion ».

Pour Muriel Papin, déléguée générale de No Plas­tic in my sea, « ces fibres restent majori­taires chez des mar­ques large­ment ven­dues en France et en Europe et posent trois prob­lèmes majeurs. Elles sont fab­riquées à par­tir de pét­role, elles relarguent des micro-plas­tiques au lavage et elles sont dif­fi­cile­ment recy­clables ». D’après des travaux de 2020 de l’université de Ply­mouth, laver ces vête­ments, et même les porter, serait source de rejets de microfi­bres dans l’environnement (Vert).

En par­al­lèle, l’in­dus­trie européenne de la mode pra­tique allè­gre­ment le green­wash­ing. Selon le rap­port, qui n’évoque pas les con­di­tions de tra­vail des tra­vailleurs et tra­vailleuses de la fil­ière, les mar­ques ont ten­dance à met­tre en avant le poly­ester fab­riqué à par­tir de bouteilles plas­tiques en Poly­téréph­ta­late d’éthylène (PET). Or, il s’agit d’« une fausse bonne solu­tion, car cela com­pro­met le recy­clage opti­mal de ces bouteilles ».

La sit­u­a­tion est grave, mais pas dés­espérée, puisque les mar­ques elles-mêmes esti­ment que les mesures volon­taires ne suff­isent pas, et que le secteur a besoin d’une régle­men­ta­tion qui fix­erait notam­ment des objec­tifs de réem­ploi et de recy­clage. Avis aux lég­is­la­teurs.