Le vert du faux

Acheter des vêtements de seconde main sur des plateformes comme Vinted ou Leboncoin est-il vraiment plus écolo ?

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Côté pile, ces plate­formes per­me­t­tent d’éviter la pol­lu­tion générée par la pro­duc­tion des vête­ments. Côté face, leur fonc­tion­nement addic­tif nous pousse à accu­muler les col­is au-delà de nos besoins.

« Avant d’acheter quoi que ce soit, regarde déjà ce que tu as déjà dans tes plac­ards » ; « cette robe que tu trou­ves démod­ée peut servir à isol­er une mai­son : recy­cle-la ! » : sur Insta­gram, Vint­ed incite ses utilisateurs·ices à con­som­mer de manière respon­s­able, entre deux idées de tenues avec des pièces de sec­onde main. Tout comme Lebon­coin et les autres sites de com­merce en ligne spé­cial­isés dans le réem­ploi, la plate­forme litu­ani­enne a con­nu un essor spec­tac­u­laire : elle revendique 50 mil­lions d’utilisateurs dans le monde, dont 19 mil­lions en France.

La mode, une industrie extrêmement polluante

Pro­longer la durée de vie des vête­ments qui dor­ment au fond de nos plac­ards : à pre­mière vue, dif­fi­cile de se dress­er con­tre la promesse de ces plate­formes. Pour fab­ri­quer et tein­dre nos habits, il faut des mil­liers de litres d’eau — 7 500 pour un jean, selon l’ONU — sans compter les émis­sions de gaz à effet de serre liées à la trans­for­ma­tion des fibres tex­tiles comme le coton ou le poly­ester, dérivé du pét­role, ain­si que le trans­port des marchan­dis­es. Selon un rap­port du cab­i­net McK­in­sey, la mode a émis l’équiv­a­lent de 2,1 mil­liards de tonnes de CO2 en 2018, ce qui représen­terait env­i­ron 4 % du total des émis­sions mon­di­ales de gaz à effet de serre. Les Nations Unies évo­quent un pour­cent­age vari­ant de 2 à 8 %.

© Alain Dele­flie pour le livre Fash­ion, Fake or not, Cather­ine Dau­ri­ac, Tana, avril 2022

Des plateformes au fonctionnement addictif…

En rai­son des prix attrac­t­ifs et des appli­ca­tions pen­sées pour qu’on y passe le plus de temps pos­si­ble, le risque de mul­ti­pli­er nos achats et de créer un effet « rebond » est bien réel. D’après une étude réal­isée en parte­nar­i­at avec la chaire « Trend(s) » de l’Université de Lille, les plate­formes sont conçues de manière à nous pouss­er à con­som­mer tou­jours plus. Vint­ed a un fonc­tion­nement par­ti­c­ulière­ment addic­tif : « ll faut tou­jours être le ou la pre­mière sur le coup, ce qui pousse à l’hy­per­con­som­ma­tion, explique à Vert l’une des autri­ces de l’étude, Élodie Juge. Et avec les noti­fi­ca­tions et les alertes, tout est fait pour accélér­er les achats, d’autant plus que la plate­forme met davan­tage en valeur les vendeur·ses qui écoulent le plus de pro­duits. »

…Qui ne privilégient pas toujours les circuits courts

Pour avoir une idée exacte de l’empreinte envi­ron­nemen­tale des plate­formes comme Vint­ed et Lebon­coin, il faudrait aus­si con­naître les émis­sions de CO2 générées par l’envoi des col­is. Des don­nées qui font l’objet d’une bataille d’études, mais on devine aisé­ment qu’un échange en main pro­pre sera tou­jours moins pol­lu­ant que de com­man­der des vête­ments qui par­courent des cen­taines, voir des mil­liers de kilo­mètres dans des camions de livrai­son pour rejoin­dre notre garde-robe. Or, Vint­ed a sup­primé la fonc­tion­nal­ité qui per­met de localis­er les arti­cles près de chez soi. En com­para­i­son, Lebon­coin a un fonc­tion­nement un peu plus vertueux, puisque le site nous per­met de tri­er géo­graphique­ment le résul­tat de nos recherch­es. Le label de la friperie sol­idaire Emmaüs en ligne a aus­si mis en place une plate­forme de dons et d’achats entre par­ti­c­uliers, Trëm­ma, qui pro­pose cette option.

Pour s’habiller écolo, privilégiez les achats indispensables et locaux

Pour s’habiller de manière éco­lo, le chef du ser­vice « con­som­ma­tion respon­s­able » de l’Agence de la tran­si­tion écologique (Ademe), Pierre Galio, recom­mande auprès de Vert les achats « agréables, utiles et justes sur les plans envi­ron­nemen­taux et soci­aux, en se posant la ques­tion : est-ce que j’en ai vrai­ment besoin ? »

La solu­tion la plus vertueuse reste encore de piocher dans les rayons des friperies Emmaüs, qui par­ticipent aus­si à l’insertion de publics pré­caires. Autres con­seils de la chercheuse Élodie Juge : « appren­dre à regarder nos vête­ments autrement, pren­dre le temps de les répar­er » pour démod­er l’envie de racheter tou­jours de nou­veaux habits.

Cet arti­cle est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, ques­tions d’actualité, ordres de grandeur, véri­fi­ca­tion de chiffres : chaque jeu­di, nous répon­drons à une ques­tion choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez vot­er pour la ques­tion de la semaine ou sug­gér­er vos pro­pres idées, vous pou­vez vous abon­ner à la newslet­ter juste ici.