Nemo Andi Guiquita, 37 ans, avertit d’une voix pénétrante : « Si la forêt disparaît, nous aussi nous mourrons ». La leader Waorani s’est rendue à la COP26 pour représenter la Confédération des nationalités autochtones de l’Amazonie équatorienne (CONFENIAE) qui regroupe 13 « nacionalidades » – ces ensembles de peuples millénaires – et 23 organisations. « La COP, explique-t-elle à Vert, est un espace dans lequel nous, peuples autochtones, pouvons parler en notre nom et non par l’intermédiaire des délégués du gouvernement en qui nous n’avons pas beaucoup confiance. » Et pour cause.

Opposée de longue date à l’Etat équatorien, Nemo lui a livré bataille pour avoir vendu des terres ancestrales à des multinationales pétrolières. En 2019, ce combat a mené les siens devant la justice où ils l’ont emporté et repoussé les compagnies extractivistes. Une victoire pourtant insuffisante, selon elle : « Nous avons gagné dans la province de Pastaza, mais que se passera-t-il pour Orellana et Napo [les deux autres provinces sur lesquelles s’étend leur territoire, NDLR] ? Nous ne pouvons pas multiplier les recours. Les avocats coûtent trop cher et nous n’avons pas d’argent. »
Les Waoranis ont été les derniers peuples d’Amazonie à se trouver en contact avec le monde occidental, dans les années 1950, au travers de la cheffe Dayume, la grand-mère de Nemo. Élevée dans une tradition matriarcale au sein de la communauté de Toñampare, celle-ci a toujours reçu le soutien nécessaire pour s’affirmer et étudier, confie-t-elle. Ce qui lui a permis de devenir vice-présidente de la nationalité Waorani d’Equateur (NAWE). Elle n’est d’ailleurs pas la seule de son genre à être en première ligne pour lutter « sans peur » contre l’accaparement des terres, ou bien la propagation du Covid-19. « Les hommes, eux, se cachent toujours derrière nous. » Désormais, la leader parle au nom de son peuple et de la forêt, comme deux notes d’une même voix. Une forêt qui n’est pas seulement un garde-manger ou une pharmacie pour ces communautés mais aussi leur monde spirituel : « Pour nous, la forêt est vivante, elle respire. Chaque plante, chaque rivière, chaque montagne a son esprit auquel nous nous connectons. La forêt prend soin de nous et nous prenons soin d’elle. » Malheureusement, celle-ci est déjà bien décimée. Nemo affirme que le parc national Yasuni, qui s’étend sur une partie des 800 000 hectares de leur territoire, aurait perdu « 50% de sa surface. La forêt est pleine de plateformes, de campements, de pipelines ».

Un constat de mort qui enrage la cheffe. Elle souhaite voir ses enfants grandir dans son paradis de diversité : « Nous avons énormément de terres. Nous pouvons y marcher librement, naviguer sur nos rivières, nager, gravir nos montagnes, nous pouvons adopter les animaux dans nos maisons, partager tout. Nous voulons continuer à vivre dans la forêt, libres. » Et qui lui donne autant de force pour sanctuariser ce qui en reste. Cette force, elle dit la partager avec l’ensemble des autochtones qui se battront jusqu’au dernier pour leurs territoires : « Nos ancêtres ont déjà lutté pour les mêmes terres. Et les grands chefs ont été tués pour elles. »
A la COP, Nemo s’est entretenue avec d’autres leaders du monde entier, l’occasion d’évoquer leurs luttes respectives. En marge des négociations, les peuples autochtones ont participé au « tribunal international des droits de la nature » : un procès fictif lors duquel ils ont demandé à ce que l’Amazonie soit intégrée comme l’une des Parties à la COP. Une façon d’enjoindre aux peuples « sans conscience » – comprendre : la société occidentale mondialisée – de prendre les bonnes décisions pour préserver le vivant : « Aujourd’hui, les grandes banques et les dirigeants de la planète ont l’opportunité de montrer de quel côté ils sont : de celui qui permet la survie de l’humanité ou celui qui détruit la planète. »