Décryptage

L’introuvable bilan carbone de l’Assemblée nationale

Il y a de quoi se biler. Chercher le bilan des émissions de gaz à effet de serre de l’Assemblée, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Explications.
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Des député·es ont récem­ment été mis en avant par cer­tains médias pour leur volon­té de ne pas pren­dre l’avion pour effectuer les allers-retours entre leur cir­con­scrip­tion et la cap­i­tale. Ce désir d’exemplarité implique de refuser cer­taines des facil­ités de cir­cu­la­tion mis­es à dis­po­si­tion des élu·es. L’Assemblée per­met aux député·es mét­ro­pol­i­tains de béné­fici­er, selon leurs besoins, d’une carte nom­i­na­tive de cir­cu­la­tion sur le réseau fer­ré, d’un parc d’une douzaine de voitures avec chauf­feur, d’un accès illim­ité au réseau de trans­port parisien, de 80 tra­jets aériens annuels entre Paris et leur cir­con­scrip­tion et de douze vols hors cir­con­scrip­tion, en France mét­ro­pol­i­taine.

Ces déplace­ments, tout comme l’ensemble de l’activité représen­tée par le tra­vail par­lemen­taire, ont un poids écologique qu’il est intéres­sant d’analyser pour mesur­er les efforts pris par l’institution afin d’en réduire l’impact. Et là, autant dire que l’Assemblée nationale n’a pas encore fait grand-chose.

Une démarche inexistante

Sur le site web de l’institution, rien n’est indiqué au sujet d’une éventuelle poli­tique de réduc­tion des gaz à effets de serre. Del­phine Batho, anci­enne min­istre con­nue pour ses engage­ments écologiques, réélue députée pour la qua­trième fois, recon­naît n’avoir jamais enten­du par­ler de bilan car­bone de l’Assemblée : « il faut deman­der à la prési­dence ou à la ques­ture », con­seille-t-elle. En deman­dant à Matthieu Orphe­lin ou à l’ancien col­lab­o­ra­teur Léo Cohen, égale­ment impliqués dans ces sujets, on com­prend que quelque chose a dû être fait, mais qu’il faut véri­fi­er — « et regarder ce qu’il y avait dans le groupe de tra­vail développe­ment durable mon­té en 2017 (et ani­mé par Alexan­dra) ». La fameuse Alexan­dra en ques­tion ayant totale­ment changé de vie depuis, on se tourne vers le secré­tari­at général de la ques­ture qui, for­cé­ment, est assez occupé actuelle­ment avec l’arrivée des nou­veaux élu·es et l’organisation des nou­velles respon­s­abil­ités de chacun·e…

Une réponse arrive tout de même : il faut s’adresser à la divi­sion de la com­mu­ni­ca­tion dig­i­tale et de la presse de l’Assem­blée nationale. De bonne volon­té, mais vis­i­ble­ment débor­dé, le chef de divi­sion répond alors que « le col­lège des ques­teurs a décidé, lors de sa réu­nion du 31 mai 2022, de la réal­i­sa­tion d’un bilan d’émission des gaz à effet de serre de l’Assemblée nationale, inclu­ant l’ensemble des activ­ités des députés, des col­lab­o­ra­teurs et des per­son­nels ». Notre inter­locu­teur pré­cise alors que « le précé­dent bilan a été effec­tué à la fin de l’an­née 2008 ».

Une vague amorce

Ont-ils trace de ce bilan… ? À force de chercher, on retrou­ve une annonce faite par le prési­dent de l’Assemblée nationale de l’époque, Bernard Accoy­er, le 8 jan­vi­er 2008 à l’occasion de la pro­jec­tion du film co-écrit par Leonar­do DiCaprio, la 11ème heure — le dernier virage : « j’ai engagé un bilan car­bone de l’Assemblée, car nous devons résol­u­ment par­ticiper à l’effort de maîtrise et de réduc­tion des émis­sions de CO2 », déclarait-il alors. Rap­pelons que la France, présidée en ces temps par Nico­las Sarkozy, venait d’engager le Grenelle de l’environnement (inspiré par le pacte écologique ini­tié en 2007 par la Fon­da­tion pour la nature et l’homme, cet ensem­ble de ren­con­tres a réu­ni les représen­tants du gou­verne­ment, les asso­ci­a­tions pro­fes­sion­nelles et les ONG afin de pren­dre des déci­sions poli­tiques de long terme sur les défis écologiques) et que la ques­tion est poli­tique­ment très en vogue à l’époque.

Dans le rap­port d’activité pub­lié cette année-là, une page entière est d’ailleurs dédiée à « la volon­té de l’exemplarité » de l’Assemblée nationale, et à « son approche civique ». On y indique que le bilan car­bone « se situe dans une fourchette basse par rap­port à des organ­ismes du secteur ter­ti­aire de dimen­sion com­pa­ra­ble ». On y vante un éclairage assuré à 90 % par des lam­pes à basse con­som­ma­tion, le fait d’acheter des rames de papi­er en fibres éco-label­lisées issues de forêts gérées durable­ment et la réduc­tion des impres­sions de travaux par­lemen­taires. Sans oubli­er la mise en place d’expériences inno­vantes pour isol­er et végé­talis­er cer­tains act­ifs immo­biliers, ain­si que la volon­té affichée de respon­s­abilis­er les 2 900 per­son­nes qui tra­vail­lent quo­ti­di­en­nement à l’Assemblée via la dif­fu­sion d’un guide des bonnes pra­tiques envi­ron­nemen­tales réal­isé avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

Extrait du rap­port d’activité de l’Assemblée nationale en 2008, page 50 © Assem­blée nationale

Bernard Accoy­er, joint par Vert, se sou­vient « avoir pris des ini­tia­tives » : « ça va vous paraitre bénin, mais nous avions incité à favoris­er les escaliers à la place des ascenseurs, avec des auto­col­lants où étaient mar­qués “les escaliers, c’est bon pour ma san­té, c’est bon pour la planète” », se remé­more-t-il. Il avait demandé aux ques­teurs d’acquérir des véhicules élec­triques — qui sont tou­jours util­isés, ain­si que des véhicules hybrides avec des bornes de recharge instal­lées depuis dans la cour Mon­tesquieu, d’après la ques­ture. Dernier élé­ment à lui revenir : le rem­place­ment de cer­taines fenêtres vétustes et peu isolantes… « Pour le reste, je n’ai pas d’autres sou­venirs de cette par­tie de mon action », recon­naît Bernard Accoy­er, qui pré­side aujourd’hui l’Association pour la défense du pat­ri­moine nucléaire et du cli­mat (PNC France).

Dans un arti­cle pub­lié par Chal­lenge en jan­vi­er 2008, on apprend que le pre­mier bilan car­bone de l’Assemblée, tou­jours impos­si­ble à retrou­ver pour l’instant, per­me­t­tait de mesur­er la con­som­ma­tion énergé­tique des bâti­ments de l’institution et celle des déplace­ments des député·es. À l’époque, Philippe Mar­tin, vice-prési­dent du groupe social­iste chargé du développe­ment durable et député du Gers, avait même demandé la mise en place d’une « com­pen­sa­tion glob­ale pour financer des pro­jets de développe­ment durable dans les pays en développe­ment ». Mais le prési­dent de l’Assemblée préférait instau­r­er « de bonnes pra­tiques énergé­tiques envi­ron­nemen­tales » : « L’Assemblée nationale se doit d’être exem­plaire en matière de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement. À cet effet, elle met en œuvre toute une série d’ac­tions qui seront encore ampli­fiées au cours de la lég­is­la­ture », affir­mait alors Bernard Accoy­er.

Qu’espérer en 2022 ?

Depuis lors, rien. Si ce n’est en 2013, à l’occasion du cinquan­tième anniver­saire du traité de l’Élysée célébré à Berlin : le prési­dent de l’Assemblée, Claude Bar­tolone, avait entre­pris de com­penser les émis­sions des 400 député·es qui s’étaient déplacé·es, en sou­tenant un pro­jet d’aide au développe­ment au Mali. L’opération avait été menée par le Geres, une ONG qui œuvre pour la sol­i­dar­ité cli­ma­tique : « Il s’agis­sait d’une action ponctuelle dédiée à la mesure des déplace­ments et de com­pen­sa­tion », nous con­firme-t-elle. « Le bilan CO2 de l’Assem­blée nationale n’a pas été suivi ».

Ain­si, si on peut légitime­ment s’interroger sur la façon dont Eric Ciot­ti, Marie Guénevoux et Eric Woerth — les nou­veaux ques­teurs de l’Assemblée nationale — envis­agent de s’emparer d’une telle ambi­tion per­due et de con­cré­tis­er ce qui a été décidé en mai dernier par leurs prédécesseurs, cette absence de bilan est symp­to­ma­tique. Pour Jason Saniez, coor­di­na­teur du rap­port sur la décar­bon­a­tion de l’administration publique pour le Shift project : « tous les étab­lisse­ments publics et autres per­son­nes morales de droit pub­lic de plus 250 agents sont tenues de faire un bilan des gaz à effet de serre de leur pat­ri­moine et de leurs com­pé­tences — comme le font les organ­i­sa­tions privées et les entre­pris­es ». Pour lui, les marges de manœu­vre sont nom­breuses : « l’Assemblée nationale doit non seule­ment agir sur les modes de trans­ports choi­sis par les députés, mais aus­si se pencher sur la con­som­ma­tion énergé­tique des bâti­ments, sur les con­som­ma­bles, les poli­tiques de renou­velle­ment du matériel infor­ma­tique et les usages numériques, sur l’empreinte car­bone des vis­i­teurs, l’approvisionnement ali­men­taire et le régime carné des restau­rants, etc. », explique le spé­cial­iste. Pour lui, la vraie poli­tique de décar­bon­a­tion passerait par une réforme de la poli­tique d’achat, mais aus­si par une for­ma­tion de l’ensemble du per­son­nel, et par une gou­ver­nance trans­par­ente afin de com­mu­ni­quer sur le rap­port en ren­dant des comptes régulière­ment… À bon enten­deur ?