Le tour de la question

Ultime rapport du Giec : synthèse d’un monde en fusion et leviers d’action en 11 points-clefs

Le Giec vient de mettre un point final à un cycle entamé en 2015, à travers un ultime rapport de synthèse qui résume l’ensemble des connaissances actuelles sur le climat, ses impacts sur les sociétés humaines et les écosystèmes, et sur les solutions pour nous en sortir. Tour d’horizon.
  • Par, et

Sainte thèse. Le Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (Giec) vient de clore son six­ième cycle d’évaluation entamé en 2015 avec la paru­tion, ce lun­di, d’un ultime «rap­port du syn­thèse». Fruit de plus de sept ans de tra­vail, mené par des cen­taines de sci­en­tifiques du monde entier, il résume les con­clu­sions de ses derniers travaux : les rap­ports pub­liés par cha­cun de ses trois groupes de tra­vail (sur la physique du change­ment cli­ma­tique ; ses impacts ; les solu­tions pour réduire les émis­sions de gaz à effet de serre), ain­si que ses trois rap­ports spé­ci­aux (sur les con­séquences d’un réchauf­fe­ment de +1,5°C par rap­port à l’ère préin­dus­trielle ; les océans et la cryosphère ; les ter­res émergées).

Un doc­u­ment majeur dont les prin­ci­paux enseigne­ments fig­urent dans un résumé pour les décideurs à des­ti­na­tion des grand·es de ce monde. Celui-ci rap­pelle la néces­sité absolue d’une action urgente : «Les choix et les actions mis en œuvre au cours de cette décen­nie auront des réper­cus­sions aujour­d’hui et pen­dant des mil­liers d’an­nées».

Tour d’horizon des prin­ci­pales leçons de ce rap­port qui établit le con­sen­sus sci­en­tifique sur le cli­mat pour les années à venir.

1) Les activités humaines sont, «sans équivoque», responsables du réchauffement de la planète

Ce réchauf­fe­ment est essen­tielle­ment dû aux émis­sions de gaz de serre, dont près de 80% sont liées aux secteurs de l’énergie, de l’industrie et du bâti­ment, et env­i­ron 20% à l’agriculture, la déforesta­tion et le change­ment d’usage des ter­res. Entre 2011 et 2020, il s’est établi à +1,1°C par rap­port à la péri­ode 1850–1900. La con­cen­tra­tion en CO2 dans l’atmosphère est au plus haut depuis au moins deux mil­lions d’années.

2) Le changement climatique est «une menace au bien-être de l’humanité et de la planète»

Et «la fenêtre d’action pour garan­tir un avenir viv­able et durable pour tous se referme rapi­de­ment», aver­tit le Giec. Entre 3,3 et 3,6 mil­liards d’individus sont dans une sit­u­a­tion de «forte vul­néra­bil­ité» au change­ment cli­ma­tique. Celui-ci affecte notam­ment la sécu­rité ali­men­taire et hydrique : près de la moitié de l’humanité subit des pénuries d’eau pen­dant au moins une par­tie de l’année.

Les épisodes extrêmes (vagues de chaleur, fortes pré­cip­i­ta­tions, sécher­ess­es, tem­pêtes trop­i­cales etc) vont se mul­ti­pli­er et s’ac­centuer en rai­son des dérè­gle­ments du cli­mat. Ce qui aura des effets durables sur la san­té physique et men­tale des per­son­nes touchées et déplac­er un nom­bre crois­sant d’individus dans l’ensemble des régions du monde, en par­ti­c­uli­er dans les petits États insu­laires. «Ce que nous dit ce rap­port, c’est que le change­ment cli­ma­tique donne ses coups les plus forts aux com­mu­nautés les plus vul­nérables», estime Inger Ander­sen, direc­trice exéc­u­tive du Pro­gramme des Nations unies pour l’environnement. En effet, les pop­u­la­tions les moins respon­s­ables du change­ment cli­ma­tique sont touchées de manière dis­pro­por­tion­née par ses effets.

3) Le changement climatique a déjà provoqué des dégâts généralisés, et pour certains irréversibles

Et ce, dans l’atmosphère, les océans, la cryosphère (là où l’eau est à l’état solide) et la biosphère. L’océan s’est élevé de 20 cen­timètres entre 1901 et 2018. La hausse de la tem­péra­ture a fait dis­paraître des cen­taines d’espèces et provoque des épisodes de mor­tal­ité mas­sive à la fois sur Terre et dans les océans. Le risque d’extinction d’espèces ou de perte irréversible de bio­di­ver­sité dans des écosys­tèmes var­iés, dont les forêts, les récifs coral­liens et l’Arctique aug­mente en même temps que le réchauf­fe­ment. Les écosys­tèmes et les sociétés humaines sont com­plète­ment inter­dépen­dantes, rap­pelle le Giec.

Relisez notre arti­cle sur le pre­mier volet du rap­port du Giec, con­sacré à la physique du change­ment cli­ma­tique :

4) L’adaptation aux changements climatiques a progressé mais doit encore être largement renforcée

Les poli­tiques d’adaptation, qui visent à réduire la vul­néra­bil­ité des pop­u­la­tions au cli­mat, ont prou­vé leur effi­cac­ité. Le développe­ment de l’agroforesterie et de l’agroécologie, la diver­si­fi­ca­tion des cul­tures, la restau­ra­tion des zones humides ou encore le verdisse­ment des villes sont des exem­ples de straté­gies d’adaptation effi­caces. Mais ces poli­tiques demeurent frag­men­tées et iné­gale­ment mis­es en œuvre. Les prin­ci­paux obsta­cles à leur développe­ment sont le manque de ressources, notam­ment finan­cières, ou encore l’absence d’engagement poli­tique, citoyen ou du secteur privé.

Le Giec alerte sur les risques de mal­adap­ta­tion, c’est-à-dire les mau­vais­es solu­tions d’adaptation qui ont pour con­séquence d’aggraver le change­ment cli­ma­tique. C’est par exem­ple le cas de la cli­ma­ti­sa­tion, qui vise à mieux sup­port­er les vagues de chaleur, mais qui génère des gaz à effet de serre et con­somme beau­coup d’électricité. Pour éviter cet écueil, les auteur·rices du rap­port insis­tent sur l’importance d’«une plan­i­fi­ca­tion et une mise en œuvre flex­i­bles, mul­ti­sec­to­rielles, inclu­sives et à long terme des mesures d’adaptation».

5) Le réchauffement climatique risque fort de dépasser 1,5°C

Signé en 2015 par la qua­si-total­ité des pays, l’Accord de Paris vise à con­tenir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique «bien en dessous de 2°C» et si pos­si­ble à 1,5°C en 2100 par rap­port à l’ère préin­dus­trielle. Or, les engage­ments des Etats, appelés «Con­tri­bu­tions déter­minées au niveau nation­al» (CDN) annon­cées en octo­bre 2021 pla­cent le monde sur une tra­jec­toire de réchauf­fe­ment de +2,8°C. Par ailleurs, il y a un écart entre les engage­ments des Etats et les poli­tiques réelle­ment mis­es en oeu­vre. Celles-ci ori­en­tent le monde vers un réchauf­fe­ment de +3,2°C à la fin du siè­cle.

«On va vers un monde plus chaud de 1,5°C d’ici 2030, prob­a­ble­ment, explique à Vert Valérie Mas­son-Del­motte, co-prési­dente du groupe 1 du Giec qui a par­ticipé à la val­i­da­tion de cette syn­thèse. Pour lim­iter les pertes et dom­mages [les destruc­tions irré­para­bles liées au cli­mat, NDLR] et les con­séquences irréversibles à très long terme, la con­trainte de réal­ité demande de tout faire en sorte pour lim­iter le réchauf­fe­ment au niveau le plus proche de ça». «Nous allons prob­a­ble­ment dépass­er les +1,5°C La ques­tion est de savoir si on va les dépass­er, puis redescen­dre grâce à l’action cli­ma­tique, ou si l’on va con­tin­uer à se réchauf­fer. Le futur est entre nos mains, et c’est pour ça que cette décen­nie est clé», abonde Peter Thorne, cli­ma­to­logue et co-auteur du Giec.

Relisez notre arti­cle sur le deux­ième volet du rap­port du Giec, con­sacré aux con­séquences du change­ment cli­ma­tique sur les humains et les écosys­tèmes, et aux straté­gies d’adap­ta­tion :

6) Chaque dixième de degré compte

Le réchauf­fe­ment attein­dra +1,4°C à la fin du siè­cle dans le scé­nario le plus opti­miste, +2,7°C dans le scé­nario inter­mé­di­aire et +4,4°C dans le pire scé­nario. À chaque fois que le réchauf­fe­ment s’accentue, les change­ments extrêmes s’amplifient égale­ment. Chaque dix­ième de degré en plus inten­si­fie les risques liés, par exem­ple, au cycle de l’eau (les pré­cip­i­ta­tions de la mous­son et les sécher­ess­es), les événe­ments météorologiques extrêmes (vagues de chaleur, inon­da­tions, incendies, cyclones), l’élévation du niveau des mers et l’acidification de l’océan.

La hausse des tem­péra­tures dépen­dra des poli­tiques qui seront mis­es en œuvre par les sociétés humaines, et que le Giec a classé en plusieurs scé­nar­ios, du plus souten­able (SSP1) au plus dan­gereux (SSP5‑8.5). © Giec / Tra­duc­tion par Vert

7) Des changements brutaux pourraient survenir

À mesure que la tem­péra­ture du globe croît, la prob­a­bil­ité de change­ment abrupts et/ou irréversibles — appelés «points de bas­cule» — aug­mente, comme l’effondrement sans retour pos­si­ble de la bio­di­ver­sité, ou bien celui de la cir­cu­la­tion méri­di­enne de retourne­ment de l’At­lan­tique (Amoc) — un ensem­ble de courants marins qui par­ticipent notam­ment à la régu­la­tion de la tem­péra­ture mon­di­ale.

Même si le réchauf­fe­ment s’arrêtait aujourd’hui, l’élévation du niveau des mers se pour­suiv­rait encore pen­dant des siè­cles, voire des mil­lé­naires. Avec un réchauf­fe­ment de 2°C à 3°C, les calottes glaciaires du Groen­land et de l’Antarctique occi­den­tal risquent de fon­dre entière­ment. À cause de l’incertitude liée à leur com­porte­ment, la fonte des calottes glaciaires pour­rait élever l’océan de deux mètres d’ici à 2100 et quinze mètres d’ici à 2300, dans un scé­nario d’émissions de gaz à effet de serre max­i­males, jugé «peu prob­a­ble».

8) Il faut enterrer les fossiles

Le CO2 issu des éner­gies fos­siles (pét­role, gaz et char­bon), représente 79% du total mon­di­al. A elles seules, les émis­sions des infra­struc­tures fos­siles déjà en activ­ité suff­isent à dépass­er 1,5°C de réchauf­fe­ment plané­taire. Si on ajoute celles qui sont en pro­jet, on dépassera les 2°C. Il faut donc réduire dras­tique­ment leur usage, fer­mer de manière pré­maturée cer­taines infra­struc­tures, et dévelop­per la cap­ture et la séques­tra­tion de car­bone sur celles qui restent en activ­ité.

Bonne nou­velle : les éner­gies renou­ve­lables sont de moins en moins chères. Il fau­dra aus­si dévelop­per l’efficacité énergé­tique et la sobriété, en aidant les citoyens et les entre­pris­es à faire des choix moins gour­mands en énergie et en ressources.

9) L’indispensable neutralité carbone

Si l’humanité con­tin­ue d’émettre autant que lors de l’année 2019 (59 mil­liards de tonnes de CO2eq), le bud­get car­bone (soit la quan­tité à ne pas dépass­er) pour rester sous 1,5°C sera atteint au cours de la décen­nie actuelle. Pour lim­iter le change­ment cli­ma­tique, il faut que les émis­sions mon­di­ales com­men­cent enfin à baiss­er. Puis, il fau­dra attein­dre le plus vite pos­si­ble la neu­tral­ité car­bone : l’équilibre entre les gaz à effet de serre émis par les activ­ités humaines et ce que la planète peut absorber.

Pour y par­venir, il faut impéra­tive­ment réduire les émis­sions à la source : out­re, le CO2 des éner­gies fos­siles et de la déforesta­tion, il y a notam­ment le méthane, puis­sant gaz à effet de serre prin­ci­pale­ment dû à l’élevage et aux fuites de l’industrie fos­sile. Par­mi les meilleures solu­tions pour absorber les gaz à effet de serre déjà relâchés : la refor­esta­tion et la pro­tec­tion des forêts, le stock­age de CO2 dans les sols naturels, ou la restau­ra­tion des tour­bières. La com­pen­sa­tion car­bone par la tech­nolo­gie servi­ra à élim­in­er les émis­sions «résidu­elles» — trop dif­fi­ciles à dimin­uer. Il fau­dra ensuite pass­er à des émis­sions néga­tives : stock­er davan­tage de CO2 que ce que l’on émet.

Relisez notre arti­cle sur le troisième volet du rap­port du Giec, con­sacré aux solu­tions pour réduire nos émis­sions de gaz à effet de serre :

10) Inclusion, équité et justice climatique sont indispensables

«Don­ner la pri­or­ité à l’équité, à la jus­tice cli­ma­tique, à la jus­tice sociale, à l’in­clu­sion et à des proces­sus de tran­si­tion justes» favoris­erait à la fois l’adaptation, la baisse des émis­sions et un développe­ment humain résilient, notam­ment dans les régions et chez les per­son­nes forte­ment vul­nérables (sou­vent les plus mar­gin­al­isées).

L’équité et l’inclusion «de tous les acteurs per­ti­nents dans la prise de déci­sion à toute échelle», per­me­t­trait égale­ment de créer une véri­ta­ble «gou­ver­nance cli­ma­tique». Celle-ci serait forte de l’engagement de la société civile : poli­tiques, entre­pris­es, jeunes, tra­vailleurs, médias, peu­ples autochtones et com­mu­nautés locales.

11) L’argent est déjà là

Bonne nou­velle : au niveau mon­di­al, l’argent pour financer l’atténuation et l’adaptation est déjà là, il faut juste le met­tre au bon endroit. Les cap­i­taux mon­di­aux sont suff­isants pour combler les déficits d’in­vestisse­ment à l’échelle mon­di­ale, mais il existe des «obsta­cles» à leur réori­en­ta­tion vers l’ac­tion pour le cli­mat, note le Giec. Le ren­force­ment de la coopéra­tion inter­na­tionale est indis­pens­able ; la mobil­i­sa­tion des ressources à des­ti­na­tion des pays en développe­ment, des régions et des groupes vul­nérables est clef.

Selon Valérie Mas­son-Del­motte, le rap­port mon­tre qu’«il y a une capac­ité à agir tous azimuts» et que cer­taines options présen­tées ont des béné­fices mul­ti­ples : les sys­tèmes énergé­tiques bas-car­bone peu­vent être économique­ment viables, et présen­tent des béné­fices pour la san­té en amélio­rant notam­ment la qual­ité de l’air.

Les solu­tions sont con­nues, l’argent est déjà là. Ne reste que le plus gros chantier : trans­met­tre les enseigne­ments des rap­ports du Giec au plus grand nom­bre afin d’entamer l’indispensable bas­cule de nos sociétés à l’heure de l’urgence cli­ma­tique. Des mots du Secré­taire général des Nations unies, Anto­nio Guter­res, ce rap­port n’est rien de moins qu’un «guide de survie pour l’humanité».

Retrou­vez tous nos arti­cles con­sacrés au six­ième rap­port du Giec en cli­quant ici. D’i­ci une heure, vous saurez tout des grands enjeux cli­ma­tiques de ce siè­cle.