Le scandale « intemporel » du chlordécone peut-il être prescrit ?

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La plainte déposée il y a 15 ans par des asso­ci­a­tions antil­lais­es de vic­times du chlordé­cone - ce pes­ti­cide qui a souil­lé les sols et les corps pour des cen­taines d’an­nées — pour­rait tomber sous le coup de la pre­scrip­tion.

Util­isé depuis les années 1970 pour lut­ter con­tre le cha­rançon de la banane, le chlordé­cone a été inter­dit d’usage en France mét­ro­pol­i­taine en 1990 en rai­son de sa tox­i­c­ité large­ment doc­u­men­tée. Pour­tant, l’E­tat a pro­longé son autori­sa­tion dans les Antilles français­es jusqu’en 1993.

20 ans plus tard, on décèle la présence de ce pro­duit dans l’or­gan­isme de la total­ité des habitant•e•s de Mar­tinique et Guade­loupe. La pré­va­lence de cer­taines mal­adies, comme les can­cers de la prostate, atteint des niveaux irréels et les sols sont pol­lués pour des cen­taines d’an­nées.

© Mutu­al­ité française

En 2006, sept asso­ci­a­tions ont porté plainte con­tre X pour mise en dan­ger de la vie d’autrui et admin­is­tra­tion de sub­stances nuis­i­bles ayant porté atteinte à l’intégrité physique d’autrui (La 1ère). Trop tard pour Rémy Heitz. Mar­di, dans un entre­tien accordé à France Antilles, le pro­cureur de Paris a estimé que « compte tenu des délais de pre­scrip­tion alors en vigueur, à savoir 10 ans pour les crimes et trois ans pour les dél­its, la grande majorité des faits dénon­cés était déjà pre­scrite » en 2006. « L’au­torité judi­ci­aire ne peut pas apporter des solu­tions à toutes les con­séquences humaines, sociales, san­i­taires ou écologiques des faits dénon­cés », a ajouté celui qui se trou­ve statu­taire­ment sous l’au­torité du min­istre la jus­tice, donc de l’exé­cu­tif.

Pour les avocat•e•s des asso­ci­a­tions, cette « infrac­tion intem­porelle » ne peut pas être pre­scrite, puisque « la pre­scrip­tion ne court qu’à compter du jour où l’infraction a cessé », comme elles et ils l’ont écrit dans un doc­u­ment à des­ti­na­tion de la jus­tice que France Info a pu con­sul­ter. Or cette infrac­tion se pour­suit avec l’empoisonnement con­tinu des sols et des eaux, jugent les asso­ci­a­tions. 

Par ailleurs, les autorités n’ont pas com­mu­niqué au sujet de la tox­i­c­ité du chlordé­cone entre 1993 et 2004 ; une « dis­sim­u­la­tion organ­isée » qui n’a pas per­mis aux vic­times de se mobilis­er à temps. Selon les avo­cats, le début réel du délai de pre­scrip­tion court à par­tir de la révéla­tion du scan­dale au grand pub­lic, soit en 2004. « Il a fal­lu atten­dre 2005 pour que les préfets sus­pendent les épandages et pronon­cent l’interdiction de pêch­er et de con­som­mer le pois­son dans le lit­toral entourant notre archipel. Il ne saurait donc être reproché aux par­ties civiles d’avoir tardé à met­tre en mou­ve­ment l’action publique, en por­tant plainte le 23 févri­er 2006 », affirme le doc­u­ment cité par France Info.

Le dossier est tou­jours entre les mains des juges d’instruction du pôle san­té publique du tri­bunal judi­ci­aire de Paris, qui n’ont pas pro­gram­mé d’au­di­ence.