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Le panthéon du greenwashing en dix publicités

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Le green était presque par­fait. Mer­cre­di 23 mars, lors de sa soirée d’an­niver­saire, Vert a ren­du hom­mage aux kings du green­wash­ing au tra­vers d’une expo­si­tion élaborée avec le col­lec­tif Pour un réveil écologique. Par­mi les dix pub­lic­ités présen­tées, des créa­tions de grands groupes qui sur­ven­dent leurs efforts pour réduire leur empreinte envi­ron­nemen­tale (Ama­zon, H&M, Crédit mutuel), sèment le doute sur la nature de leurs activ­ités (Easy­jet, Inter­bev) voire, mentent éhon­té­ment sur les ordres de grandeur (Exxon­mo­bil, Toy­ota).

L’ex­po­si­tion présen­tée le 23 mars à la Recy­clerie de Paris. © Nico­las Serve / Vert

À une large majorité, le pub­lic a décerné le pre­mier « Green­wash d’or » à Ama­zon. Dans sa pub­lic­ité, le géant du e‑commerce fait la part belle aux chèvres qui broutent le gazon de ses entre­pôts géants pour détourn­er l’at­ten­tion du lourd impact envi­ron­nemen­tal de ses activ­ités plané­taires. Le prix du jury a été attribué à Exxon­mo­bil pour sa promesse de puits de pét­role « neu­tres en CO2 » au Texas. Une expo­si­tion à décou­vrir ci-dessous.

Le grand bluff (2018)

Décon­nage immi­nent. Nous ven­dre un voy­age en avion… sans mon­tr­er les avions. C’est l’exploit de la com­pag­nie aéri­enne Easy­Jet, qui choisit plutôt de nous faire miroi­ter un voy­age bas-car­bone à vélo sous le soleil. Incon­scient ou pas, on se gardera bien de tranch­er, mais, pour rap­pel, un Paris-Nice en Air­bus c’est 158 kilo­grammes de CO2, con­tre… 100 fois moins en TGV.

La voiture qui ne manque pas d’air (2021)

Elle nous pompe l’air ! « Plus vous con­duisez, plus vous net­toyez l’air » : c’est le mes­sage affiché, sans tou­ss­er, dans cette pub­lic­ité qui vante la nou­velle Toy­ota Mirai, une voiture à hydrogène équipée d’un fil­tre à par­tic­ules. Vis­i­ble­ment très sat­is­fait de son inven­tion, le con­struc­teur a voulu faire un coup de com’ qui vire au green­wash­ing bien crasse. Car pour établir le véri­ta­ble bilan écologique du véhicule, il faut compter les émis­sions issues de la fab­ri­ca­tion de l’hydrogène (aujourd’hui majori­taire­ment pro­duit de manière très car­bonée), celles qui sont générées par la con­struc­tion du véhicule, et… les par­tic­ules fines émis­es par la fric­tion des pneus et des freins. Celles-ci sont loin d’être nég­lige­ables : rien qu’en Île-de-France, deux tiers des par­tic­ules émis­es par les véhicules le sont par fric­tion. Il est men­songer, et même grossier, d’affirmer que ces véhicules ont un effet vertueux pour l’environnement.

Petit geste = grande communication (2021)

Tu mou­tonnes ! Plutôt que les mil­liers de camions et d’avions qui inon­dent le marché de ses col­is, Ama­zon préfère met­tre en avant ses actions en matière d’é­copâ­turage. Une pra­tique qui con­siste, en deux mots, à ton­dre la pelouse de ses entre­pôts avec des mou­tons. Hélas, les gains envi­ron­nemen­taux sont ridicules au regard des 60 mil­lions de tonnes de CO2 émis­es en 2020 par l’entreprise dans le monde (+19 % par rap­port à 2019), prin­ci­pale­ment dues aux trans­ports en avion et en camion – et non en char­rette tirée par des chèvres, comme la pub­lic­ité peut le laiss­er penser.

Le puits sans fond de la neutralité carbone (2021)

For­ages, faux espoirs. La bonne nou­velle, c’est que même Exxon mobil a com­pris que l’extraction de pét­role nous pose un prob­lème exis­ten­tiel. Hélas, l’entreprise racon­te n’importe quoi pour amélior­er son image. En l’oc­cur­rence, elle tente désor­mais de faire croire que l’extraction de pét­role de ses gigan­tesques puits du bassin Per­mien, à cheval entre le Texas et le Nou­veau-Mex­ique, aux États-Unis, pour­rait devenir « neu­tre en car­bone » d’ici à 2030. Autrement dit, leurs émis­sions de CO2 seraient com­pen­sées par ailleurs, notam­ment en plan­tant des arbres ou au moyen d’aspirateurs à car­bone. Com­ment est-ce pos­si­ble ? C’est bien sim­ple, Exxon ne compte que les émis­sions liées à l’extraction de pét­role, omet­tant les mil­lions de tonnes de CO2 qui seront relâchées pen­dant la com­bus­tion de ce même pét­role. 

Carte blanche pour financer les énergies fossiles (2021)

Débits pro­fonds. Les cartes ban­caires recy­clées, c’est sym­pa. Mais le réel impact envi­ron­nemen­tal des ban­ques, ce sont les finance­ments qu’elles accor­dent. La pri­or­ité absolue, c’est de cess­er les finance­ments aux indus­tries du char­bon, du pét­role, du gaz… Dom­mage, parce que le Crédit Mutuel n’est pas la banque française la plus en retard en la matière : en octo­bre, Crédit Mutuel Alliance Fédérale a pris de nou­velles mesures pour arrêter tout sou­tien direct à de nou­veaux pro­jets pétroliers et gaziers (mais pas ceux cou­verts par sa poli­tique spé­ci­fique au secteur mar­itime, le dia­ble est dans les détails). Ce qui rend cette pub­lic­ité d’autant plus absurde.

Le greenwashing est éternel (2021)

Big bijou. Le Respon­si­ble jew­ellery coun­cil se pré­tend la «  prin­ci­pale organ­i­sa­tion de dura­bil­ité et d’éthique pour le secteur de l’horlogerie et de la bijouterie ». Cette affir­ma­tion est peut-être vraie mais occulte… tout le reste. Notam­ment le fait que les activ­ités minières à l’origine de votre dia­mant (naturel) causent un grand nom­bre de pol­lu­tions des eaux, de l’air et des sols, en plus d’être mas­sive­ment émet­tri­ces de gaz à effet de serre – autant de fac­teurs qui con­tribuent forte­ment à l’effondrement de la bio­di­ver­sité. Le tout, pour une activ­ité que l’on peut dif­fi­cile­ment qual­i­fi­er d’« essen­tielle ». Pour rap­pel, offrir un dia­mant pour une demande en mariage est une tra­di­tion très récente : elle date des années 1930 et a émergé à la suite de cam­pagnes de pub­lic­ité mas­sives de la part d’entreprises extrac­tri­ces de dia­mants.

Plus facile de changer de sac que de business model (2021)

Habil­lée comme un sac. H&M rend la fast-fash­ion durable… en l’en­robant dans un sac en papi­er. L’en­tre­prise com­mu­nique active­ment sur le rem­place­ment de ses sacs en plas­tique. Bien sûr, il faut élim­in­er ce plas­tique. Mais l’im­pact envi­ron­nemen­tal de H&M provient avant tout de la con­fec­tion et de la vente de vête­ments au rythme effréné des col­lec­tions qui s’en­chaî­nent. C’est là que réside le green­wash­ing : la capac­ité à détourn­er l’at­ten­tion avec une action « verte » de façade pour ne pas remet­tre en ques­tion son busi­ness mod­el. Au lieu de pro­duire des vête­ments plus durables et d’éviter de pouss­er à la sur­con­som­ma­tion, H&M détourne les consommateur·rices des vrais enjeux en lais­sant croire que la mode peut réduire son impact envi­ron­nemen­tal sans se réformer en pro­fondeur.

La liberté de manger de la viande (2021)

Elle défend son bifteck. Dans une récente pub­lic­ité, l’Association nationale inter­pro­fes­sion­nelle du bétail et des vian­des (Inter­bev) – prin­ci­pal lob­by de la bidoche – vante les mérites des régimes flex­i­tariens. Jusque-là, tout va bien. Sauf que, dans son clip, elle fait de ce régime ali­men­taire un syn­onyme d’« omni­vore », alors qu’il s’agit d’un régime riche en pro­duits végé­taux, avec peu d’aliments carnés. Pas vrai­ment com­pat­i­ble avec le bar­be­cue bien carné mis en avant ici. L’occasion de rap­pel­er qu’en France, notre ali­men­ta­tion représente le quart de notre empreinte car­bone, une moitié de ce quart étant imputable à la viande et au pois­son. Ni les pro­grès tech­nologiques raisonnable­ment envis­age­ables ni un appro­vi­sion­nement local ne pour­ront faire suff­isam­ment baiss­er ces émis­sions pour attein­dre la neu­tral­ité car­bone en 2050.

Un raccourci dangereux (2020)

Sans (hydro)gêne. La con­fi­ance des citoyen·nes est pré­cieuse, n’en abu­sons pas. Cela implique de ne pas racon­ter n’importe quoi sur le trans­port à hydrogène. Cette molécule a des pro­priétés intéres­santes pour aider à décar­bon­er le secteur des trans­ports. Mais en aucun cas le fait de rouler à l’hydrogène ne rejette que de l’eau : il faut pren­dre en compte le CO2 issu de la fab­ri­ca­tion du véhicule et, surtout, les émis­sions liées à la pro­duc­tion de l’hydrogène, qui n’est qu’un vecteur d’électricité – elle-même par­fois pro­duite à base de char­bon. Aujourd’hui encore, l’hydrogène util­isé dans le monde est à 95 % pro­duit de manière très car­bonée : dix kilo­grammes de CO2 sont émis par kilo­gramme d’hydrogène (en moyenne, dans le monde). On est mal­heureuse­ment loin de n’émettre que de l’eau…

Le coup du chapeau (2021)

Aile de pigeons. Des jeunes qui mul­ti­plient les gestes tech­niques balle au pied, le célèbre gar­di­en Gian­lui­gi Buf­fon qui éteint la lumière et baisse le chauffage d’un shoot bien placé, et ce mes­sage : «What’s your trick» (« C’est quoi ton geste ? »). La vidéo catchy de la cam­pagne de la fédéra­tion européenne de foot­ball (UEFA) encour­age à « pro­téger le cli­mat ».

Si l’efficacité de cette inci­ta­tion aux petits gestes est déjà dis­cutable, elle devient obscène lorsque l’on sait qu’en par­al­lèle, l’UEFA a signé un con­trat pub­lic­i­taire avec le géant Gazprom, parte­naire des deux prochains Euros de foot­ball et de la Ligue des cham­pi­ons jusqu’en 2024. Par­mi les pre­miers pro­duc­teurs mon­di­aux de gaz fos­sile, l’entreprise est aus­si à l’origine d’un intense tra­vail de lob­by­ing pour affaib­lir les poli­tiques cli­ma­tiques au sein de l’Union européenne. L’UEFA a finale­ment rompu son con­trat avec le géant gazier fin févri­er, suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.