Censure prise. Cette semaine, le rédacteur en chef de Vert revient sur le piège de la «liberté d’expression» telle qu’elle est présentée par l’extrême droite et sur le risque que cette conception fait peser sur la démocratie. Cliquez ici pour (ré)écouter cette chronique diffusée sur France inter, mercredi 29 janvier 2025.
Mathieu Vidard : Loup, vous avez une grande nouvelle à nous annoncer, de quoi s’agit-il ?
Vous vous souvenez, la semaine dernière, je vous avais annoncé la mort de Mark Zuckerberg et vous m’aviez dit que – soi-disant – ça n’était pas vrai. Bon, eh bien, cette fois-ci, tenez-vous bien, je viens vous faire part du décès tragique du milliardaire Elon Musk, à l’âge de…
Mais enfin Loup, c’est encore une fake news ça, je ne peux pas vous laisser dire ça à l’antenne de France inter…
Ah non, ce n’est pas une fake news, c’est ma liberté d’expression !
Comme pas mal de gens en ce moment, j’estime que dans une «vraie démocratie», on peut dire tout ce qu’on veut, y compris en direct sur une radio nationale. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 nous dit, je cite : «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement.» Voilà, CQFD, je dis ce que je veux !
📻 Vert est sur France inter ! Tous les mercredis à 14h50, retrouvez une nouvelle chronique d’actualité de nos journalistes Loup Espargilière et Juliette Quef en direct dans la Terre au carré.
Vous en avez oublié un bout, je crois…
Ah oui pardon : «sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi.» Si je comprends bien, ça voudrait dire qu’on n’a pas le droit d’insulter, diffamer ou harceler les gens…
En tout cas, depuis l’élection de Donald Trump, favorisée par Elon Musk et son réseau social en roue libre, un certain nombre de personnalités françaises issues d’un certain bout de l’échiquier politique se disent que c’est pas mal finalement, ce free speech à l’américaine. Parce que le premier amendement de la Constitution étasunienne, lui, interdit carrément au congrès de limiter la liberté d’expression.
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En France, en réalité, ça fait longtemps que la presse de droite radicale, notamment, se fait la championne d’une vision maximaliste de la liberté d’expression. Récemment, le nouvel hebdomadaire du groupe de Vincent Bolloré, baptisé le JDNews (JDD+Cnews, oui), a vu le jour avec ce slogan : «vive la liberté d’expression !» Clairement, on s’est pas fait iéch…
Extrait du premier édito, signé du journaliste star du groupe, Pascal Praud :
«Amusez-vous à critiquer un rapport du Giec ! La planète brûle. L’homme est responsable. C’est une vérité révélée. Je reçois sur le plateau de CNews des scientifiques qui nuancent cet axiome. Ils sont cloués au pilori. Il existe des mots qui tuent. Climatosceptique, complotiste sont des étiquettes qui, collées au dos de certains, promettent des fins de carrière.»
Bon, pas celle de Pascal Praud, visiblement. Mais passons. Cette partie du champ politique et médiatique défend le droit de tout dire, et donc de croire ou de ne pas croire aux consensus scientifiques sur le climat ou la rotondité de la terre : non seulement quand on est un quidam sur Facebook, mais aussi quand on est un journaliste de premier plan.
Et sur les réseaux sociaux, justement, ça donne quoi ?
Depuis un an, le règlement européen du Digital services act (ou loi sur les services numériques) contraint les patrons des réseaux sociaux américains à lutter contre les contenus illicites et… les fausses informations. Et ça, c’est intolérable.
Jordan Bardella (le président du Rassemblement national), qui se rêve le destin de Donald Trump, vient d’ailleurs de publier une vidéo de soutien à Elon Musk contre les odieux technocrates de Bruxelles qui voudraient «censurer» son réseau social !
Tant pis si Musk multiplie les fake news, les sorties racistes et antisémites, les ingérences dans les élections européennes, etc. Un réseau social, ce n’est pas une grande agora où chacun pourrait parler librement avec le même volume sonore. Il s’agit avant tout d’entreprises privées qui cherchent à maximiser leurs revenus publicitaires – sinon pire –, et qui, pour ce faire, privilégient certains contenus plutôt que d’autres au travers d’algorithmes dont la recette est secrète.
Exemple : depuis que Musk a racheté Twitter, en 2022, la portée des comptes pro-climat (dont ceux des scientifiques) s’est rapidement effondrée, dépassée par celle des profils climatosceptiques.
Pour la politologue Asma Mhalla, ce concept de «liberté d’expression» a été «arsenalisé». Il est devenu une «arme de guerre idéologique», et il va de pair avec un renversement orwellien du langage : la modération, censée permettre un débat sain, c’est la censure.
La liberté d’expression absolue, c’est en fait la loi du plus fort, du plus riche et du plus méchant ; c’est la liberté d’insulter ses adversaires, harceler les minorités, nier la science.
Un espace où il n’y a aucune restriction à la parole est un espace moins démocratique et, paradoxalement, moins libre.
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