Reportage

La justice étudie l’intérêt de l’autoroute A69, l’arrêt du chantier en ligne de mire

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Recours toujours. Lundi, le tribunal administratif de Toulouse (Haute-Garonne) a étudié lors d’une audience le recours des organisations opposées à la construction de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres (Tarn) pour faire annuler l’autorisation environnementale du projet. Le jugement est attendu dans deux semaines. Vert y était.

Lundi matin, huit heures, parvis de la gare Toulouse-Matabiau. Le rendez-vous est matinal, mais les mines sont joyeuses et déterminées. À l’appel des organisations requérantes, dont la Confédération paysanne, Attac, France nature environnement (FNE) ou encore le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA), plus d’une centaine de personnes se sont rassemblées avant le début de l’audience prévue au tribunal administratif, à quelques encablures de la gare.

Des pancartes «Protégeons nos terres», «Les gens demandent la justice» ou encore «Merci les zadistes» essaiment dans la foule regroupée autour d’une installation symbolique : une balance de la justice qui repose sur le Code de l’environnement. Des applaudissements et des chants rythment les prises de parole. «Le jour de la justice est enfin arrivé et nous sommes convaincus qu’elle saura faire appliquer le droit», se ravit Denis Baréa, du collectif La voie est libre. «Tant que le béton n’est pas coulé, tout l’espoir est permis», scande la députée insoumise de la Haute-Garonne Anne Stambach-Terrenoir, soutenue par la foule.

Rassemblement des opposant·es à l’A69 devant la gare de Toulouse, à quelques pas du tribunal administratif. © Justine Prados/Vert

169 espèces protégées sur le tracé

Il faut dire que cette audience est attendue depuis longtemps : voilà un an et demi qu’une quinzaine d’associations plaident pour l’annulation de l’autorisation environnementale (AE) de l’autoroute A69, accordée en mars 2023. Elles ont déposé de nombreux recours en référé (des procédures d’urgence pour interrompre les travaux), mais le fond du dossier n’a, jusqu’à présent, jamais été étudié au tribunal. Pour l’occasion, la salle d’audience est pleine à craquer. De nombreuses personnes sont restées debout dans le couloir pour suivre les échanges.

Pour rappel, l’autoroute A69 est censée relier Castres à Toulouse sur 53 kilomètres le long d’une nationale existante, la N126, pour un prix de dix-sept euros l’aller-retour. Objectif : gagner entre quinze et vingt minutes de trajet pour relier les deux villes et désenclaver le bassin économique de Castres. Plus de 300 hectares de terres agricoles sont directement situés sur le tracé de l’A69.

Au cœur de tous les débats du jour : la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) du projet A69. C’est sur cet acronyme un peu barbare que repose toute l’autorisation environnementale qui a permis le début des travaux, il y a un an et demi, puisque la RIIPM permet de déroger à l’interdiction d’atteinte à des espèces protégées. 169 d’entre elles (faune et flore) ont été décomptées le long du tracé de la future autoroute. Concrètement, l’intérêt public du projet doit être jugé impératif (c’est-à-dire s’imposer avec nécessité) et revêtir une importance majeure : il doit être suffisamment indispensable pour justifier l’atteinte à des espèces protégées, qui est interdite par la loi.

La semaine dernière, la rapporteure publique (la magistrate chargée d’éclairer les débats après une étude approfondie du dossier), Mona Rousseau, a créé la surprise en préconisant l’abrogation de l’autorisation environnementale. Elle a longuement détaillé ses conclusions lors de l’audience.

Un intérêt «ni impératif, ni majeur»

La RIIPM repose sur trois éléments : l’intérêt économique, sécuritaire et social du projet. Concrètement, l’autoroute doit améliorer les conditions de circulation (une autoroute étant moins accidentogène qu’une nationale), l’attractivité du territoire (désenclaver le bassin de Castres-Mazamet) ou les conditions de vie des usager·es (par une réduction de la pollution, un gain de temps ou de confort par exemple). Au moins un de ces éléments doit être absolument nécessaire ou urgent.

La députée insoumise de la Haute-Garonne, Anne Stambach-Terrenoir, est venue apporter son soutien au recours contre l’autoroute lundi matin à Toulouse. © Justine Prados/Vert

Or, la rapporteure publique souligne des approximations et une impossibilité de chiffrer les impacts concrets de l’A69 sur chacun de ces points. «La défense a du mal à justifier de l’enclavement du bassin de Castres, l’étude des retombées économiques du projet reste assez vague et le gain en matière de sécurité ne paraît pas significatif», détaille la magistrate. C’est sans compter la dégradation de la nationale existante, qui verra son trajet rallongé (de dix minutes à vingt-cinq minutes selon les estimations) et sera moins sécurisée qu’avant puisqu’elle traversera des bourgs jusqu’à présent épargnés.

«La barre est haute pour justifier d’une telle raison impérative d’intérêt public majeur», relève la rapporteure publique. «Il n’y a nul doute que le projet dispose d’un intérêt public, mais cet intérêt n’est ni impératif ni majeur», tranche Mona Rousseau, qui appelle à l’annulation de l’autorisation environnementale dans son intégralité. L’avis du rapporteur public est souvent suivi par le tribunal, mais ça n’est pas toujours le cas.

«Je vous encourage à rendre une décision audacieuse»

Appelée à la barre, l’avocate des quatorze requérants, maître Alice Terrasse, salue les conclusions de la rapporteure publique. «Le chantier est certes avancé, mais il est loin d’être terminé et rien n’est irréversible», rappelle l’avocate. Lors d’une conférence de presse tenue le 20 novembre, le concessionnaire Atosca a révélé que 45% des travaux de terrassement et 70% des ouvrages d’art (ponts, tunnels) avaient été réalisés. Mais le béton n’a pas encore été coulé, puisque les deux centrales d’enrobés qui viendront produire le revêtement en bitume ne sont pas encore installées le long du tracé.

«Je vous encourage à rendre une décision audacieuse», demande-t-elle à la cour. «Ce n’est pas facile, étant donné les impacts financiers et les lobbies qui sont derrière, mais je vous appelle à annuler le projet et ordonner la remise en état des terres», conclut maître Terrasse.

C’est ensuite le tour de l’avocat d’Atosca, Carl Enckell, de défendre la légitimité de l’autorisation environnementale et l’intérêt majeur de désenclaver le territoire sud-tarnais. «On doit faire le constat que nos compatriotes périurbains et ruraux sont considérablement dépendants à l’automobile. Remettre en cause le RIIPM, c’est d’une certaine façon remettre en cause le droit à la mobilité de cette population», plaide la défense. «Affirmer qu’il n’y a pas de raison impérative d’intérêt public majeur, ce serait faire un pur hasard des plus de vingt ans de développement du projet A69. Ce serait incohérent», cingle maître Enckell.

Un recours loin d’être tranché

Une position largement soutenue par le représentant de l’État présent au tribunal, Maxime-Yasser Abdoulhoussen, directeur du projet auprès du préfet du Tarn. Pour ce dernier, le bénéfice attendu de l’autoroute est suffisamment avéré pour constituer une raison impérative d’intérêt public majeur : «en définitive, le projet est véritablement un projet d’aménagement du territoire et de rééquilibrage territorial». L’A69 permettrait de rétablir l’équité en reliant Castres à la métropole régionale, tout comme d’autres villes moyennes comme Montauban (Tarn-et-Garonne) ou Albi (Tarn), qui bénéficient déjà de liaisons autoroutières avec Toulouse. «C’est tout un écosystème industriel, logistique, touristique et sportif qui s’inscrit dans une nouvelle dynamique grâce à l’autoroute A69», argumente Maxime-Yasser Abdoulhoussen.

Au bout de plus de quatre heures d’audience, l’affaire a été mise en délibéré. Le jugement sera rendu dans quinze jours. «On ne pouvait pas espérer une meilleure audience qu’aujourd’hui», se réjouit Maître Alice Terrasse à la sortie du tribunal. L’avocate se dit confiante sur l’arrêt des travaux.

Si le tribunal suit les recommandations de la rapporteure publique et annule l’autorisation environnementale du projet, le chantier devra s’arrêter. Il est très probable que la défense (Atosca et l’État) fasse appel. Elle pourrait alors réclamer la suspension du jugement pour poursuivre les travaux, mais il n’est pas sûr que la cour y accède.

Si, au contraire, le tribunal confirmait l’autorisation environnementale du projet, les associations requérantes ont d’ores et déjà promis de faire appel. Quoi qu’il en soit, cette affaire est loin d’être terminée.