Analyse

La France pourrait-elle bientôt se retrouver à sec ?

La sécheresse que connaît la France paraît s’éterniser. Se pourrait-il que le pays soit à sec dans un horizon proche ? Que se passerait-il alors ?
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Eau sec­ours. La semaine passée, la France a vu le mer­cure dépass­er locale­ment les 34°C et les tem­péra­tures pul­vérisent tous les records depuis main­tenant 40 jours con­sé­cu­tifs, nav­iguant entre 5 et 15 degrés au-dessus des moyennes de sai­son. Alors que l’épisode de chaleur paraît s’éterniser, la sécher­esse des sols s’aggrave et les réserves en eau s’amenuisent, lais­sant présager un été com­pliqué.

Pour­tant, nous sommes plutôt bien lotis avec un cli­mat tem­péré et des ressources en eau con­sid­érables, estimées à env­i­ron 210 mil­liards de mètres cubes (m3) par an, soit env­i­ron 3 200 mètres cubes par per­son­ne et par an. C’est bien loin du seuil de stress hydrique fixé par l’Organisation mon­di­ale de la San­té (OMS) à 1 700 m³/personne/an, mais c’est surtout beau­coup plus que ce que le pays ne con­somme (31 mil­liards de m3/an sur 210 mil­liards, donc). Mais cet énorme vol­ume d’eau cor­re­spond à ce qui tran­site par notre ter­ri­toire, et non pas à l’eau disponible, c’est-à-dire celle que nous sommes capa­bles de stock­er dans des réser­voirs souter­rains ou de sur­face. De cette capac­ité de stock­age, mise à mal par le boule­verse­ment du cli­mat, dépend donc notre résis­tance face à la sécher­esse.

© Vert à par­tir des don­nées du min­istère de la tran­si­tion écologique

Alors pourquoi crain­dre de nous retrou­ver à sec ? La ressource en eau n’est pas équitable­ment répar­tie sur le ter­ri­toire, car elle dépend de la présence de réserves souter­raines — les nappes phréa­tiques, qui four­nissent 50% de l’eau douce util­isée chaque année, en dehors du refroidisse­ment des cen­trales nucléaires et de l’approvisionnement des canaux. L’état des nappes, nor­male­ment rechargées durant la fin de l’automne et l’hiver, varie en fonc­tion de plusieurs fac­teurs météorologiques : la quan­tité de pluie tombée, ou les tem­péra­tures et le vent, qui peu­vent faire s’évaporer l’eau plutôt que de la laiss­er s’infiltrer dans les sols. Con­clu­sion : s’il n’y a pas suff­isam­ment de pluie en hiv­er, il man­quera de l’eau en été. Depuis plusieurs années déjà, les nappes peinent à faire le plein. Peu con­nec­tées aux sources de sur­face (retenues, riv­ières, lacs, canaux) ou rac­cordées à des nappes frag­iles, cer­taines local­ités ont déjà con­nu des pénuries, avec des coupures au robi­net et un achem­ine­ment d’eau par camions-citernes, comme dans la com­mune de Seil­lans (Var) durant l’été 2019.

« C’était de l’ordre de la science-fiction »

« Vous m’auriez demandé en 2015–2016 si on allait se retrou­ver avec des ter­ri­toires qui ne seraient pas ali­men­tés en eau potable, je vous aurais répon­du que c’était de l’ordre de la sci­ence-fic­tion », con­state l’hydrologue Emma Haz­iza. Pour la sci­en­tifique, la donne a changé depuis 2017, avec l’installation durable d’une nou­velle ten­dance cli­ma­tique à l’assèchement général, cou­plé à une moin­dre capac­ité de stock­age des sols. « En plus, il y a une par­tic­u­lar­ité cette année : les nappes sont très peu rechargées en rai­son d’un déficit plu­vial inédit, en par­ti­c­uli­er sur les qua­tre pre­miers mois de 2022. On com­mence donc sans les réserves qui nous ont per­mis de tenir dans la durée les autres années ». D’après les dernières don­nées du ser­vice géologique nation­al (BRGM), l’état des réserves est jugé préoc­cu­pant, avec des niveaux « bas » à « très bas » locale­ment, et plus de la moitié des niveaux en dessous de la moyenne. Est-ce à dire qu’il n’y aura plus d’eau au robi­net cet été ?

Le Comité d’an­tic­i­pa­tion et de suivi hydrologique (CASH), chargé par le Comité nation­al de l’eau de mieux anticiper et gér­er les épisodes de sécher­esse, s’est réu­ni mer­cre­di 18 mai pour faire le point et ren­forcer les mesures d’économie d’eau, à l’approche d’un été poten­tielle­ment prob­lé­ma­tique.

Le pré­cieux liq­uide peut tou­jours être achem­iné depuis les réserves envi­ron­nantes, mais 19 départe­ments français sont d’ores et déjà sous le coup d’alertes sécher­esse, entrainant des restric­tions d’utilisation, ce qui est inédit si tôt dans l’année. Douze autres sont sous vig­i­lance, en prévi­sion de poten­tiels arbi­trages à venir dans l’usage de la ressource. Chargé d’anticiper et de gér­er les épisodes de sécher­esse, le comité d’anticipation et de suivi hydrologique (CASH) prévoit d’ailleurs des éti­ages (cours d’eau réduit au débit min­i­mal) et des baiss­es impor­tantes des nappes sur l’ensemble du ter­ri­toire cet été.

La sit­u­a­tion de crise actuelle se fait de plus en plus pré­coce et sévère, et qui risque bien d’empirer encore, comme l’explique Emma Haz­iza : « l’eau est tou­jours présente en même quan­tité sur la terre, mais le change­ment cli­ma­tique en accélère le cycle. Alors que nous allons en avoir besoin en plus grande quan­tité, les sols ne sont plus capa­bles de la retenir, et elle s’évapore en rai­son de la chaleur pour devenir, dans l’air, le prin­ci­pal gaz à effet de serre. Réchauf­fant à son tour la planète et ali­men­tant un cer­cle vicieux ».

Locale­ment, l’ac­croisse­ment des besoins fait déjà naître des con­flits. À tra­vers le pays, un nom­bre crois­sant d’agriculteur·rices, dont les pro­duc­tions néces­si­tent de grandes quan­tités d’eau, creusent de vastes retenues arti­fi­cielles, bap­tisées « méga-bassines » par leurs opposant·es. Ces réser­voirs à ciel ouvert (sujets à une forte éva­po­ra­tion) acca­parent une eau qui n’at­teint pas les sols et ne grossit plus les cours d’eau ; elle est ain­si con­fisquée à l’ensem­ble du vivant. « Les mégabassines par­ticipent à arid­i­fi­er un ter­ri­toire à la base tem­péré, explique à Vert Emma Haz­iza. L’accaparement de l’eau empêche le cycle de se faire, et on voit bien une cor­réla­tion entre les zones asséchées et la présence de retenues arti­fi­cielles ».

Quant à savoir si une pénurie totale se pro­duira un jour en France, c’est un scé­nario encore très virtuel, même si le con­stat mon­di­al est alarmiste : plus de la moitié de la pop­u­la­tion est déjà touchée par des restric­tions au moins un mois par an. Le dernier rap­port du Giec iden­ti­fie le manque d’eau comme l’un des qua­tre « risques clés » pour l’Europe liés au change­ment cli­ma­tique. Une forte aug­men­ta­tion du risque de pénurie ne devrait pas inter­venir avant que le réchauf­fe­ment mon­di­al n’atteigne trois degrés de plus qu’à l’ère préin­dus­trielle (milieu du 19ème siè­cle). En out­re, il faudrait que notre société se soit faible­ment ou moyen­nement adap­tée, selon des pro­jec­tions pour la zone Europe de l’Ouest, dont la France fait par­tie. Mais le risque est déjà non nég­lige­able, et de nom­breuses incon­nues sub­sis­tent encore dans l’équation : la tra­jec­toire d’émissions que nous emprun­terons dans les années à venir ; le déclenche­ment de cer­tains « points de bas­cule »  ; et des vari­ables cli­ma­tiques de plus en plus incer­taines et imprévis­i­bles.