Pourquoi avoir écrit un livre sur l’écologie, et plus spécifiquement sur les vers de terre ?
Mon ambition était d’écrire un roman d’apprentissage sur notre époque, très documenté et ancré dans le réel. Dans les romans d’apprentissage du 19ème siècle, les héros recherchent l’amour et la gloire. Aujourd’hui, nos jeunes héros veulent sauver la planète, ou du moins la fine couche d’humus qui l’entoure. Alors même que j’avais cet objectif, je me suis intéressé aux vers de terre de mon potager. Et ça a donné Humus.
Les vers de terre sont une parabole. L’être humain a toujours regardé au-dessus de sa tête, et ce, depuis 2 500 ans, alors que cette vie organique d’une richesse incommensurable est juste sous nos pieds. C’est aussi un sujet drôle, original, mignon. Les vers de terre sont de vrais personnages de roman, avec des espèces et des couleurs très variées. Personne ne les avait regardés d’aussi près en littérature.
Les deux protagonistes, Arthur et Kevin, ont des vies diamétralement opposées. Pouvez-vous nous en parler ?
Cette symétrie inversée des deux personnages est une technique romanesque pour faire voir le monde qu’ils découvrent à travers des yeux candides. Ainsi, le citadin débarque à la campagne, et l’enfant du Limousin arrive dans le monde des startups.
Cette technique permet à l’écrivain d’exercer tout son sarcasme, à la fois sur Kevin qui ne comprend pas les mots anglais lorsqu’il veut lever de l’argent ; et Arthur qui s’imagine nettoyer son champ à la faux.
Votre livre commence avec la scène d’appel à la bifurcation d’élèves lors de la remise de diplômes d’AgroParisTech. Les deux protagonistes n’en font pas partie alors qu’ils se questionnent énormément sur l’avenir. Pourquoi ?
J’ai voulu que mes deux héros aient un peu la conscience écologique moyenne de leur génération. Dans les premières scènes du livre, je ne voulais pas que Kevin et Arthur montent sur scène avec les bifurqueurs pour ne pas les classer comme des militants déjà un peu marginaux par rapport à leur génération. Je voulais que ce soit juste des gens de leur génération, parfaitement normaux, et donc un peu éco-anxieux, comme tout le monde.
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À quel personnage vous identifiez-vous le plus ?
Je suis ravi qu’on me pose cette question car cela signifie que c’est un vrai roman au sens où la position de l’auteur ne transparaît pas dans le livre. La question écologique me semble si complexe que l’honnêteté me pousse à exposer diverses voies possibles, sans vraiment me prononcer sur laquelle est la meilleure. J’oscille entre Kevin et Arthur.
Je ne condamne ni l’un ni l’autre de ces modes d’action. Mon travail d’écrivain est de les confronter à la complexité du réel, de mettre dans les pattes de ces héros aux grandes illusions tous les problèmes sociaux, économiques, agronomiques, juridiques, administratifs de notre société, et de voir comment ils s’en tirent.
Le livre aborde aussi la question de l’éco-anxiété des deux protagonistes. Est-ce que vous êtes éco-anxieux ?
Évidemment que je suis éco-anxieux, comme tout le monde. Tocqueville, à la fin de son ouvrage De la démocratie en Amérique, s’inquiète des dérives de la démocratie, du totalitarisme, et dit qu’il faut entretenir une crainte salutaire. C’est ça, l’éco-anxiété. C’est salutaire d’avoir cette crainte, parce qu’elle permet d’agir. Comme le font nos deux héros. Il ne faut pas faire toute une histoire de l’éco-anxiété, c’est une réaction parfaitement normale et saine.
Dans votre livre, vous abordez le thème du militantisme et de la radicalisation. Comment percevez-vous l’usage du terme «écoterrorisme», de plus en plus utilisé par les politiques aujourd’hui ?
Le terme d’écoterrorisme utilisé aujourd’hui par le ministre de l’Intérieur n’a aucun sens. C’est d’ailleurs à la fois totalement délirant par rapport aux militants actuels et une perte complète de repères par rapport à la nature même du terrorisme.
Ce qui se fait aujourd’hui est étonnamment très sage. Les jeunes couvrent de peinture des œuvres d’art vitrées, ils font attention à mettre la bonne couleur de chasuble lors de leurs manifestations. Cette jeunesse s’appuie sur les rapports, elle convoque les scientifiques à ses assemblées.
Dans mon livre, j’ai mis en scène la génération d’après, c’est-à-dire celle qui est adolescente aujourd’hui, 10 ans après. Si les jeunes de cette génération ont l’impression que les actions bien gentilles de leurs aînés n’ont servi à rien, ils vont rentrer dans une tout autre logique : celle de prendre le pouvoir par tous les moyens pour résoudre la crise écologique, et non plus de faire prendre conscience. Ce sera du vrai terrorisme avec des morts, des bombes, du sang.
Les personnages féminins sont plus secondaires dans le livre mais ils peuvent paraître insupportables, chacun à leur manière. Que vouliez-vous faire passer à travers ces personnages ?
Anne représente le personnage qu’on ne peut pas sauver, un personnage insupportable appartenant aux jeunes bourgeois de Sciences Po, qui se sont révoltés parce qu’ils participent à toutes les AG [Assemblées générales, NDLR], signent toutes les pétitions, mais qui après vont travailler dans le lobbying.
Philippine est prête à tout pour arriver à ses fins, et peut-être que la fin justifie les moyens. Après avoir sacrifié tout le monde, y compris Kevin, on ignore dans le livre si son entreprise Veritas réussit. Il est possible que, finalement, Philippine, avec son cynisme, parvienne à faire quelque chose d’extrêmement vertueux, à savoir recycler 20% des déchets français pour en faire du terreau. Le livre suggère une complexité, une faille dans le personnage. Le moment où elle parle de son père permet de réaliser qu’elle ne fait pas tout ça pour l’argent, mais pour prouver quelque chose à sa famille. Quand elle envoie le dernier texto à Kevin, on sent qu’elle a beaucoup de sentiments pour lui et qu’elle n’arrivera jamais à les dire, jamais à les exprimer tellement elle est coincée dans son propre cynisme. Et ça, je trouve que ça la rend émouvante.
Le troisième personnage féminin, qui est pour moi quand même le meilleur personnage du livre et qui n’est pas central, c’est Léa. Elle est un peu la naturopathe de Saint-Germain, la sorcière moderne. Elle arrive à tisser dans ce village contemporain des liens entre des sociologies assez éloignées. Et à la fin, son sacrifice est héroïque. Les deux héros masculins sont attachants, mais sont quand même bourrés de défauts. Léa, elle n’a pas tellement de défauts. J’ai voulu en faire une figure féminine qui sauve tout le monde mais de manière assez discrète.
Philippine lance une fausse accusation de harcèlement sexuel et moral à l’encontre de Kevin pour sauver son entreprise. Pourquoi avoir choisi ce ressort particulièrement lourd ?
La fausse accusation lui permet de potentiellement sauver son entreprise, et donc de mettre en place son permis de compostage à grande échelle. C’est une logique utilitariste. Est-ce qu’il faut être vertueux dans son comportement ou efficace dans ses actions? L’intentionnalisme contre le conséquentialisme, c’est une très, très vieille question, mais elle, elle l’a totalement résolue. Je laisse la porte ouverte parce qu’elle a de bonnes raisons de le faire.
Comment vivez-vous le fait d’avoir été finaliste du Prix Goncourt ?
Évidemment, je suis très content d’avoir été finaliste, et soulagé d’une certaine manière car cela signifie que je me réinscris bien dans la catégorie de romancier. Je perçois cette nomination comme une validation de mes pairs. Je craignais d’être bloqué dans la case d’essayiste et miraculeusement ce roman de société a été plus que bien perçu. Cela me motive à continuer à travailler sur des travaux dans la même veine qu’Humus et sur la cause écologique. Le roman est un outil bien plus puissant que la thèse car il laisse la place à une certaine ambiguïté.
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