Portrait

Françoise, 72 ans, retraitée au boulot pour le climat

Le recul de l’âge de départ à la retraite pourrait affaiblir la lutte contre le dérèglement climatique, car le tissu associatif de l’écologie vit en partie grâce au concours de nombreux·ses retraité·es. Comme Françoise Blandel, 72 ans, qui consacre tout son temps à la défense de l’environnement dans le Tarn. Portrait.
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Elle n’a plus un moment pour elle. Depuis qu’elle est dev­enue co-prési­dente en 2017 de l’Union pro­tec­tion nature envi­ron­nement du Tarn (Upnet), une fédéra­tion d’associations rat­tachée à France nature envi­ron­nement Midi-Pyrénées, Françoise Bland­el est sur tous les fronts. «C’est effrayant le nom­bre de pro­jets anti-écologiques con­tre lesquels il faut se mobilis­er aujourd’hui. Au total, je tra­vaille presque à temps plein», témoigne cette mil­i­tante bénév­ole, habi­tante de la petite com­mune de Lisle-sur-Tarn.

À l’heure actuelle, l’Upnet accom­pa­gne les asso­ci­a­tions adhérentes con­tre le pro­jet autorouti­er entre Cas­tres et Toulouse, que beau­coup jugent inadap­té aux besoins de mobil­ité du Tarn sud et cat­a­strophique sur le plan envi­ron­nemen­tal. Françoise mène égale­ment la fronde con­tre l’extension d’un poulailler géant dans le vil­lage de Lescout ou con­tre l’implantation d’une usine d’enrobés — un revête­ment routi­er — dans le parc naturel du Haut Langue­doc.

En 2021, il a aus­si fal­lu alert­er les inspecteurs de l’Office français pour la bio­di­ver­sité (OFB), car le gérant d’un gigan­tesque verg­er de 300 hectares de la com­mune de Lavaur avait épan­du des pes­ti­cides par grand vent. Une affaire dont l’instruction est tou­jours en cours. En atten­dant que la jus­tice se prononce, Françoise et ses cama­rades défenseur·ses de l’environnement ont pris les devants. «Nous nous sommes bat­tus pour que les com­munes alen­tour dis­posent d’appareils pour mesur­er la vitesse du vent. Ce sys­tème décourage l’agriculteur de répan­dre à nou­veau ces pro­duits quand bon lui chante», se réjouit Françoise. En octo­bre dernier, l’écolo sep­tu­agé­naire a par ailleurs organ­isé la Journée nationale de la qual­ité de l’air, un événe­ment cru­cial, alors que se pro­file le pro­jet de rac­corde­ment d’une autoroute entre Lyon et Toulouse en plein milieu de l’ag­gloméra­tion d’Albi.

Mais le pro­jet qui l’inquiète le plus est celui qui gronde à nou­veau près de chez elle : la con­struc­tion d’une nou­velle retenue d’eau à Sivens, neuf ans après un pre­mier pro­jet avorté de bar­rage. D’après Françoise, les élus locaux tar­nais sont tou­jours déter­minés à détru­ire les zones humides du Testet près du Tescou, mal­gré la mort de Rémi Fraisse — tué en 2014 par l’explosion d’une grenade lancée par un gen­darme -, et le fait que la jus­tice ait finale­ment don­né rai­son aux opposant·es au bar­rage. «Rien ne les fera chang­er d’idée, pour eux, ils ont une revanche à pren­dre», assure celle qui, à l’époque, soix­ante ans passés, était déjà mem­bre du Col­lec­tif pour la sauve­g­arde de la zone humide du Testet. «En 2014, j’ai été malade pen­dant quelques mois, donc je n’ai pas pu men­er des actions sur le ter­rain, mais j’ai tout même aidé autant que je le pou­vais», souligne-t-elle avec humil­ité.

Françoise Bland­el. © DR

Cet engage­ment en faveur de l’environnement a accom­pa­g­né Françoise tout au long de sa vie. Née à Paris, ayant passé son enfance à Sar­celles, elle com­mence sa car­rière pro­fes­sion­nelle en tant qu’infirmière psy­chi­a­trique à prox­im­ité de Paris avant de se sauver vers Toulouse. «Je ne voulais pas pass­er ma vie entre ces murs», témoigne-t-elle. Au cours de ses années de jeunesse, elle enchaîne les petits boulots — ouvrière agri­cole, vendeuse de tick­ets SNCF — et essaie tou­jours de tra­vailler sans renier ses valeurs éco­los. «Une fois, dans le Gers, j’ai trou­vé un emploi de can­ton­nière. Pour l’entretien de la place du vil­lage et du cimetière, je refu­sais tou­jours de répan­dre des pes­ti­cides». Plus tard, elle rejoint les mou­ve­ments anti­nu­cléaires et se retrou­ve par­mi les pre­mières à défendre l’agriculture biologique. «Bref, j’étais une vraie soix­ante-huitarde», plaisante-t-elle.

Vingt-deux ans après avoir «inter­dit d’interdire», Françoise, qui fête alors ses 40 ans, réalise une for­ma­tion pour tailler les arbres fruitiers. C’est la révéla­tion : elle enchaîne les stages et s’apprête à devenir une pro­fes­sion­nelle de l’arboriculture quand naît sa fille. Jugeant l’école mater­nelle trop «bru­tale», elle choisit d’arrêter de tra­vailler pour garder son enfant auprès d’elle jusqu’aux six ans de la petite. Le temps passe et l’écolo des pre­miers jours finit par trou­ver un emploi aidé à la Fédéra­tion des con­seils de par­ents d’élèves (FCPE), un con­trat qui ne dure que quelques années.

En par­al­lèle, Françoise com­mence à militer auprès de l’antenne de FNE à Lisle-sur-Tarn, où elle habite désor­mais. Quant à trou­ver un poste fixe, cela relève du par­cours du com­bat­tant. À l’époque, Françoise a près de 60 ans et les emplois en tant qu’ar­boricul­trice dans sa com­mune se font rares. «À Pôle emploi, on me pro­po­sait des postes de bûcheron. C’est ridicule, je n’ai jamais util­isé une tronçon­neuse de ma vie», sourit-elle. Elle finit par renon­cer à l’idée de retrou­ver du tra­vail mal­gré la per­spec­tive d’une retraite minus­cule (env­i­ron 400 euros par mois) et s’engage à corps per­du dans la lutte pour la préser­va­tion de l’environnement. «Je n’ai pu le faire que parce que mon mari a con­tin­ué de tra­vailler et touche désor­mais une meilleure retraite que la mienne. D’ailleurs, il est à mes côtés dans tous mes com­bats», tient-elle à rap­pel­er.

Aujourd’hui, la sep­tu­agé­naire se ver­rait bien habiter ailleurs que dans le Sud de la France, où les étés promet­tent d’être de plus en plus étouf­fants. La Bre­tagne, où elle a passé toutes ses vacances d’enfance, lui tend les bras. Et à Sivens alors, qui s’occupera de défendre les zones humides ? «Oh, vous savez, il y a des tas de gens qui sont mobil­isés et puis, glisse-t-elle, je ne suis pas irrem­plaçable».