Analyse

Retraites et planète, même combat ?

La mobilisation contre le projet de réforme des retraites a rassemblé un à deux millions de personnes dans les villes de France ce jeudi. Dans les cortèges, de nombreuses revendications écologistes se sont mêlées aux critiques sociales. Récit.
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« Tra­vailler plus pour pol­luer plus », « Le cap­i­tal avale tout, urgence jus­tice sociale et cli­ma­tique », ou encore « pas de planète, pas de retraite » ; les écol­o­gistes de tout poil étaient de la par­tie ce jeu­di pour pro­test­er con­tre le recul de l’âge de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans en 2030, et l’allongement de la durée de coti­sa­tion, de 42 à 43 ans. À l’instar de Youth for cli­mate, certain·es manifestant·es refusent de « tra­vailler plus pour pro­duire plus dans un monde déjà détru­it par la sur­pro­duc­tion ». « Hoplà », une activiste de ce mou­ve­ment de 17 ans, a promené son mes­sage dans les rues de Paris : « Et un, et deux et trois degrés, et une et deux et trois années, ce sont des crimes con­tre la société ». Attachée au car­ac­tère intergénéra­tionnel de la mobil­i­sa­tion, elle explique à Vert trou­ver « insup­port­able » l’argument selon lequel la réforme pro­tègerait la jeunesse « étant don­né que le gou­verne­ment n’agit pas du tout sur la ques­tion cli­ma­tique ».

Une femme arbore une pan­car­te lors de la man­i­fes­ta­tion con­tre la réforme des retraites à Toulouse, le 19 jan­vi­er 2023. © Alain Pitton/NurPhoto via AFP

« Cette réforme ali­mente un sys­tème de crois­sance auquel nous nous opposons. C’est chercher le prof­it et non la sauve­g­arde du vivant, explique-t-elle à Vert. Je ne veux pas d’un monde dont le but serait d’accumuler des points de PIB, je souhaite que mon tra­vail ait un sens ». Pour le mou­ve­ment citoyen Alter­nat­i­ba Paris, « c’est aus­si le cli­mat qui serait vic­time de cette réforme, qui ne fait qu’ag­graver le mod­èle économique pro­duc­tiviste et néolibéral ».

Sur Twit­ter, Alter­nat­i­ba Mar­seille fustige « la poli­tique du gou­verne­ment qui s’at­taque au(x) vivant(s). Nous pou­vons imag­in­er un mod­èle de société non basé sur le pro­duc­tivisme et sur l’ex­ploita­tion des tra­vailleur-ses ! »

Enrichir des fonds pollueurs

D’autant que, selon les organ­i­sa­tions écol­o­gistes, ce sont les sys­tèmes de coti­sa­tion par cap­i­tal­i­sa­tion qui pour­raient béné­fici­er des change­ments prévus par le gou­verne­ment : les travailleur·ses qui n’ont pas effec­tué une car­rière com­plète ou celles et ceux qui ont le plus de ressources auront ten­dance à épargn­er pour l’avenir auprès de fonds privés. Résul­tat : ce sys­tème « dirig­erait les économies des Français·es vers des ges­tion­naires d’actifs et assureurs qui con­tin­u­ent à soutenir le développe­ment des éner­gies fos­siles, et donc l’aggravation du dérè­gle­ment cli­ma­tique, en con­tra­dic­tion avec l’objectif de lim­iter le réchauf­fe­ment à 1.5°C», alerte l’ONG Reclaim finance.

« L’allongement du temps de tra­vail et l’écologie sont liés, explique Alice Picard, porte-parole d’Attac France, auprès de Vert. On va faire tra­vailler les gens jusqu’à 64 ans, et même sou­vent 67 ans pour par­tir sans décote, et cela va ren­forcer leur vul­néra­bil­ité. À l’âge de la retraite, ces per­son­nes épuisées qui auront moins de ressources vont être exposées aux événe­ments cli­ma­tiques extrêmes ». Même son de cloche chez Green­peace, « cette réforme des retraites pèse sur les caté­gories les plus pré­caires, or ce sont déjà celles les plus vul­nérables face au change­ment cli­ma­tique et les plus exposées aux pol­lu­tions envi­ron­nemen­tales ».

Le texte, abonde Alice Picard, « s’inscrit dans un logi­ciel que le gou­verne­ment ne remet en cause à aucun moment : la néces­sité de pro­duire plus, de con­som­mer davan­tage d’énergie et de ressources », pré­cise-t-elle, rap­pelant que la reven­di­ca­tion de l’Alliance écologique et sociale, qui réu­nit des syn­di­cats et des organ­i­sa­tions de défense de l’environnement, est de tax­er les super­prof­its réal­isés par les com­pag­nies pétrolières ces derniers mois et de mieux répar­tir les richess­es.

Pour l’économiste Chris­tiane Mar­ty, inter­rogée par Reporterre, il faudrait « réori­en­ter rad­i­cale­ment l’économie pour sat­is­faire en pri­or­ité les besoins soci­aux, et engager vrai­ment la tran­si­tion écologique : élim­in­er les pro­duits néfastes et se con­cen­tr­er sur une pro­duc­tion utile. […] Le partage du temps de tra­vail, c’est une réduc­tion glob­ale du temps de tra­vail qui rap­proche les préoc­cu­pa­tions écologiques et sociales. C’est tra­vailler moins pour pou­voir tra­vailler mieux et tous. » En par­al­lèle, le tis­su asso­ci­atif, par­ti­c­ulière­ment act­if en matière d’écologie en France, repose en grande par­tie sur les retraité·es et pour­rait se retrou­ver affaib­li par le recul de l’âge de départ en retraite.

Solidarité

Présente dans la man­i­fes­ta­tion bor­de­laise, l’eurodéputée EELV Marie Tou­s­saint estime qu’« il existe en France une vraie aspi­ra­tion à plus de démoc­ra­tie, et qu’alors que Macron avait juré l’avoir enten­du, il faut le lui rap­pel­er encore et encore. Le pas­sage en force aggrave tous les prob­lèmes poli­tiques du pays en exac­er­bant les colères. Donc oui, la place des écol­o­gistes attachés à la con­ver­gence des luttes est dans ces cortèges, à chaque fois qu’il le fau­dra ! », estime l’élue inter­rogée par Vert.

Une dynamique col­lec­tive indis­pens­able aus­si pour Alice Picard : « pour faire vivre l’Alliance écologique et sociale, com­posée de syn­di­cats et d’organisations écol­o­gistes, il faut don­ner des preuves de sol­i­dar­ité. Cette journée était appelée par les syn­di­cats qui ont fourni le plus gros du tra­vail : les asso­ci­a­tions et leurs mil­i­tants étaient là ». Green­peace, dont le directeur, Jean-François Jul­liard, a par­ticipé au défilé de jeu­di, ne dit pas autre chose : « à tra­vers cette alliance, on cherche à faire le lien entre les luttes sociales et écol­o­gistes. Ce n’est pas pour autant une mobil­i­sa­tion arti­fi­cielle, car on se rend bien compte que ce pro­jet-là est incom­pat­i­ble avec la vision que l’on porte d’une société plus sobre, plus économe dans la ges­tion de ses ressources naturelles et humaines. Et cela passe par un rap­port au tra­vail dif­férent », explique-t-il à Vert.

Si Green­peace n’entend pas être en pre­mière ligne sur cette mobil­i­sa­tion, « on assume aujourd’hui pleine­ment le fait de dire qu’il faut une durée du tra­vail moins impor­tante, que ce soit chaque semaine, chaque mois, ou au cours de notre vie ».