Entretien

François Verdet : « Une lutte se gagne en alliant radicalité et pragmatisme »

François Verdet fait partie des figures connues du paysage militant de la Côte Basque. Son Guide pour faire échouer des projets contre (la) nature est un manuel parfait pour agir, localement, contre les projets d’aménagement qui participent au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité.
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Lâcher les basques. Longtemps responsable de l’antenne locale de Surfrider foundation (une association de référence dans le combat pour la protection de l’océan et de ses usagers), François Verdet s’investit depuis 2018 auprès de Bizi ! (association altermondialiste qui promeut la justice et sociale au niveau mondial comme au niveau local, à l’origine du mouvement Alternatiba). Il a contribué à faire naître un collectif citoyen qui a fait échouer, en 2021, un immense projet de surf park à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques).

Votre ouvrage s’appuie sur une lutte citoyenne victorieuse contre un projet de parc de loisirs pour surfeurs à base de vagues artificielles, que certains voulaient aménager au bord de l’océan, sur quatre hectares, à deux kilomètres de chez vous…

Oui, mes engagements associatifs me permettent de faire le lien, depuis longtemps, entre les gens de la mer (avec Surfrider) et les gens de la terre (Alternatiba). Lorsque Biarritz a accueilli le G7 [sommet qui rassemble les sept plus grandes puissances économiques, NDLR] en 2019, nous avons organisé une première manifestation aquatique, avec les surfeurs, pour faire écho à l’arrivée du tour cycliste d’Alternatiba. Cela a donné naissance au collectif Rame pour ta planète qui, un peu partout dans le monde avec ses 70 relais à présent, essaie de faire entendre la voix de l’Océan.

Avec ce collectif, la porte d’entrée était toute trouvée pour remettre en cause le projet de surf park. Cela nous a permis d’intégrer dans la mobilisation des personnes non militantes, mais désireuses d’agir et de changer de cap.

François Verdet © DR

Comment définit-on un projet « contre (la) nature » ?

La parenthèse autour du pronom « la » est un clin d’œil à la convergence des luttes écologistes et sociales, qui s’est renforcée dernièrement grâce au mouvement des Gilets jaunes et au Comité pour Adama [un collectif créé trois ans après la mort d’Adama Traoré, NDLR] ; il est nécessaire que l’écologie ne reste pas un mouvement de bourgeois petits blancs. Aussi ce « la » symbolise-t-il ce qui va à l’encontre de notre bien-être et du vivant en général : un entrepôt Amazon est nuisible en ce qu’il fait le jeu de l’artificialisation des sols, vend des produits fabriqués à l’autre bout du monde, à bas coût, par des gens qui travaillent dans des conditions dégradées… Il ne s’agit donc pas que d’une mobilisation pour protéger les arbres et les oiseaux !

« Cela a envoyé un signal fort, largement repris dans la presse : ce projet était conçu pour des surfeurs, mais les surfeurs n’en voulaient pas ! »

Quels sont les ingrédients d’une lutte réussie ?

Notre réussite contre le surf park est issue d’une stratégie très construite. Nous n’avons rien inventé, mais œuvré à la structuration de la communauté avec des surfeurs déjà fédérés par Rame pour ta planète. Nous avons ensuite reçu le soutien d’une surfeuse éco-engagée, Léa Brassy. Avec sa notoriété, elle a apporté d’autres soutiens de personnalités qui ont refusé de voir émerger un tel complexe au nom du surf. Stratégiquement, cela a envoyé un signal fort, largement repris dans la presse : ce projet était conçu pour des surfeurs, mais les surfeurs n’en voulaient pas !

Guide pour faire échouer des projets contre la nature, François Verdet, 2022, La Relève et la peste, 170p., 20€

L’entreprise Boardriders [propriétaire d’une dizaine de marques de vêtement et de matériel de surf parmi lesquelles Quicksilver, Roxy ou Billabong, NDLR] qui souhaitait implanter ce complexe de loisir, était là pour gagner de l’argent. Sans clientèle, ça ne pouvait pas marcher, et ils ont abandonné leur projet.

Quelles sont les ressources les plus précieuses dans un collectif ?

La force bénévole est assurément la ressource la plus importante : il faut la trouver, la garder, la faire monter en expertise et lui donner des missions. Il faut du temps, ensuite, et donc trouver un petit groupe de personnes qui n’a pas besoin de travailler pour gagner sa vie, qui peut s’auto-organiser et se faire confiance. Vient enfin l’organisation et la gouvernance, pour maintenir l’esprit collectif de la lutte. Il est essentiel de mener sa campagne avec radicalité et pragmatisme.

« Il s’agit aussi de ne pas transiger avec vos adversaires pour leur faire comprendre que vous n’allez pas abandonner la partie. »

Être radical, pour rester fixé·e sur l’objectif de la lutte, puisqu’il est conforme à vos convictions et à vos principes – l’action non-violente par exemple -, et parce qu’il a été mûrement réfléchi et validé par vos allié·es. Il s’agit aussi de ne pas transiger avec vos adversaires pour leur faire comprendre que vous n’allez pas abandonner la partie.

Être pragmatique, c’est accepter de prendre le temps nécessaire pour fédérer le plus grand nombre, essayer de comprendre l’état actuel de l’opinion publique et la direction dans laquelle l’emmener ensuite, pour rester ancré·e dans la réalité et accepter de se remettre en question. C’est être réaliste à chaque instant en se demandant si l’on a les moyens de ses revendications, tactiques et actions.

Ces luttes, à titre individuel, sont parfois éprouvantes. Comment gérer sa colère et sa frustration ?

De plusieurs manières. Il est utile d’avoir un groupe ou une communauté où partager ses idées, où l’on peut se reposer ou se remonter le moral. Mais il ne faut pas tout miser sur les militant·es et garder du temps pour surfer, sortir, aller au cinéma… il y a toujours des choses à faire dans ces combats, et j’ai pris l’habitude de garder du temps et des espaces pour moi. C’est crucial de faire des pauses pour ne pas finir aigri·e, pour ne pas perdre le moral.

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