«La transition écologique est un sujet sérieux mais aussi une occasion de fêtes et de partage […] pour fédérer les énergies de toutes celles et ceux pour qui la résignation n’est pas une option», avait écrit François Bayrou, en octobre dernier lors de la deuxième édition du festival des Transitions de sa ville, Pau (Pyrénées-Atlantiques).
Le nouveau Premier ministre français, qui se présente comme un «paysan béarnais», est né à Bordères (Pyrénées-Atlantiques), parle couramment le béarnais et milite pour la sauvegarde des langues régionales, comme l’occitan. Pendant la campagne présidentielle de 2007, on l’avait aperçu sur le tracteur de son père, un vieux Pony de 1952. Connu pour sa passion pour les chevaux, François Bayrou «a le bon sens paysan».
«Ce n’est pas forcément quelqu’un qui a toujours été écologiste, mais qui a développé cette sensibilité au fil du temps», assure auprès de Vert Antoine Duarte, président du laboratoire d’idées Les Écologistes et de l’Union des centristes et des écologistes (UCE), un parti qui défend une «écologie pragmatique» – proche de la majorité présidentielle. Celui-ci a bien connu François Bayrou, dont il était le porte-parole sur l’écologie pendant la campagne de 2007.
Une «écologie pragmatique» centrée sur l’énergie
À cette époque, sous l’impulsion du pacte écologique de Nicolas Hulot, le candidat Bayrou présente des mesures en faveur de l’environnement, comme le déploiement d’éoliennes, l’installation de panneaux solaires et une baisse de la consommation d’énergie. Plus tard, l’arrivée au Modem de figures comme l’ancienne ministre de l’environnement Corinne Lepage et l’ex-député européen des Verts Jean-Luc Bennahmias démontre une volonté de constituer un pôle écologiste au sein du parti centriste.
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En 2020, le Béarnais est nommé Haut-commissaire au plan, chargé d’animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective pour le compte de l’État et d’éclairer les choix des pouvoirs publics. Censé répondre au défi de «la grande transition écologique», le dossier lui est finalement retiré au profit d’Antoine Peillon, secrétaire général à la planification écologique.
Son seul fait d’arme est cette note publiée en octobre 2022 et intitulée «Responsabilité climatique : la géothermie de surface, une arme puissante». Dans ce document de 32 pages, le haut-commissaire au plan cherche comment mieux exploiter l’énergie pompée dans le sous-sol. Il défend alors un rapport «absolument révolutionnaire» qui permettrait d’économiser 15% d’électricité, relate Le Monde. Celui-ci a été laissé de côté par le ministre de la transition écologique de l’époque, Christophe Béchu.
Béton, mon amour
Maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) depuis 2014, François Bayrou est aussi aux commandes de l’agglomération. Un bon terrain pour analyser ses choix de politiques publiques.
Au festival des possibles d’octobre dernier, le centriste vantait ses initiatives vertes : «le carreau des producteurs aux halles de Pau, la ceinture verte de notre agglomération qui nous permet d’aider à l’installation de nouveaux maraîchers ou le réseau de chaleur urbaine long de 44 kilomètres et appelé à toujours s’étendre tant il est plébiscité.»
Pour Étienne Breton, porte-parole de la Confédération paysanne du Béarn, «Bayrou a soutenu le projet de ceinture verte pour installer des maraîchers dans l’agglomération paloise, mais il a retourné sa veste quand la FDSEA [la fédération départementale de la FNSEA, principal syndicat agricole français, NDLR] s’est rendue compte que ce projet mettait de la pression sur le foncier et qu’il ne rentrait pas dans leur schéma productiviste.»
«Il appartient à la catégorie des maires constructeurs, pour qui le bilan se mesure au nombre de constructions, juge l’élu écologiste d’opposition à la mairie de Pau, Jean-François Blanco. Il est pour la remise en cause du principe de zéro artificialisation nette (notre article) que sa majorité a pourtant voté à l’Assemblée nationale. Il y a un risque de régression». Multiplication de dalles de béton comme aux halles, préservation de l’aéroport malgré la proximité de deux autres plateformes aériennes, absence de projets d’espaces verts : un grand nombre d’exemples locaux disent son amour du béton et le manque de prise en compte des besoins d’adaptation au changement climatique et de verdissement de la ville.
Pour Julien Brunel, responsable des Écologistes dans le Béarn et candidat du Nouveau Front populaire (NFP) aux élections législatives, cette politique est symptomatique d’un «logiciel des années 1980» dont le «Febus» est un exemple emblématique. Ce bus à hydrogène, présenté comme décarboné, repose sur une logistique énergivore avec de l’hydrogène livré par camions depuis Lyon. Son coût élevé aurait également freiné d’autres projets de mobilités durables. Selon le média Off investigation, François Bayrou a aussi soutenu la construction d’un méthaniseur controversé à Sendets, à une dizaine de kilomètres de Pau.
Chasse, pêche, nature et gavage d’oies
Côté bien-être animal, François Bayrou s’est vu attribuer la note de 7,5/20 par l’organisation de défense des animaux L214. En cause : sa défense de la chasse, du gavage des oies et des canards («le gavage d’aujourd’hui n’a rien à voir avec le gavage d’hier», avait-il déclaré sur BFMTV en 2021), et sa position sur l’accueil de cirques avec des animaux dans sa ville. Pau s’était aussi retrouvée dans les «flops» 2023 du classement «Une ville pour les animaux» de L214.
«Pour certains, chasse et environnement ne s’accordent pas, avait répondu le Béarnais à la fédération des chasseurs lors de la campagne présidentielle de 2007. Ce sont en effet bien souvent des intégristes voire des extrémistes de l’environnement qui entretiennent l’image négative de la chasse. Pourtant, comme vous le soulignez, la loi reconnaît à la chasse un rôle de gestion de la nature et de la biodiversité.» Le site Chassons.com souligne ainsi que François Bayrou «reconnaît la chasse comme une tradition rurale importante, notamment dans sa région, où elle joue un rôle culturel et social».
«Il y a un côté brillant chez Bayrou, reconnaît Julien Brunel. Ce n’est pas un antiécologiste à la Trump ou comme Les Républicains mais il n’est pas capable d’imaginer quoi que ce soit d’autre que les années 1980.» Même son de cloche du côté de Jean-François Blanco pour qui «Bayrou n’a pas pris conscience de l’urgence écologique et estime que ce qu’on pourrait faire au niveau national ou local n’a pas beaucoup d’effet.»
«Un homme de compromis capable de faire des concessions»
François Bayrou incarne une position centriste et consensuelle, «capable de transcender les clivages politiques», selon le centriste Antonin Duarte. Son opposition régulière à une écologie perçue comme «dogmatique» reflète une approche pragmatique, mais souvent en deçà des enjeux climatiques actuels. Pour ses détracteur·ices, ce pragmatisme pourrait basculer vers une complaisance dangereuse, sacrifiant l’écologie sur l’autel des compromis politiques.
Cette posture soulève d’ailleurs des interrogations, notamment sur ses interactions avec l’extrême droite. En 2022, il a accordé son parrainage à Marine Le Pen pour garantir sa participation à l’élection présidentielle, une décision qui a suscité de vives critiques. En novembre dernier, il s’était opposé à l’exécution provisoire de la possible peine inéligibilité de la cheffe du Rassemblement national, réclamée par le parquet dans le cadre de l’affaire des emplois fictifs de son parti au Parlement européen.
Julien Brunel redoute que cette normalisation des relations avec le Rassemblement national (RN) ne se traduise par des concessions sur des thématiques écologiques, comme le rejet des énergies renouvelables ou un manque de mesures ambitieuses sur le climat. Pour Antonin Duarte au contraire, François Bayrou «a toujours été sur la ligne du Front républicain».