«À l’instar de nombreuses personnes, de collectifs et d’associations citoyennes, nous pensons que le moment est grave et nous invitons à une large mobilisation face à cette menace dans les urnes les 30 juin et 7 juillet prochains». Dans une tribune que Vert a pu consulter en avant-première, les quelque 2 000 sympathisant·es de la branche française du collectif Scientifiques en rébellion ont décidé de parler clairement et d’une seule voix contre la perspective d’une arrivée au pouvoir du Rassemblement national.
«Nous nous sommes posés la question de savoir si nous pouvions prendre position publiquement, notre organisation se déclarant comme apartisane, explique à Vert Kévin Jean, maître de conférences en épidémiologie au Cnam et membre de Scientifiques en rébellion. Mais il y a un consensus sur la nécessité de s’exprimer sur les dangers que représenterait le RN au pouvoir en France. Ce parti constitue une menace pour les valeurs d’universalisme et d’internationalisme que portent les sciences. La situation nous force donc à sortir de l’apolitisme». Actif depuis 2020 en France, le collectif est connu pour prôner des actions de désobéissance civile afin d’alerter contre l’inaction face au dérèglement climatique.
Le texte s’alarme des effets délétères des mesures prises par Trump aux États-Unis, Bolsonaro au Brésil, Orbán en Hongrie, Morawiecki en Pologne et Meloni en Italie, notamment contre le pluralisme de l’information et le fonctionnement de la justice. «L’attaque des contre-pouvoirs et de l’État de droit est bien dans les cartons du RN : sous prétexte d’économies, le RN a confirmé vouloir privatiser l’audiovisuel public», avance le collectif dans sa tribune.
D’autres prises de parole de la communauté scientifique ont émergé ces derniers jours, à l’instar d’une autre tribune publiée dans Le Monde ce dimanche et signée par «800 chercheurs, doyens de médecine et patrons des grands instituts, comme le CNRS ou l’Inserm». Un appel qui vise à rappeler que la démarche scientifique se fonde sur «l’ouverture au monde et la libre circulation des individus, le libre-échange des connaissances et de la pensée, la vérité, la transparence, la rigueur et l’exigence, et encore la tolérance, l’éthique et l’humanisme», pour déjouer «l’obscurantisme».
Le scientifique et sa «neutralité»
Si l’image du scientifique éloigné du chaos du monde dans son labo a longtemps circulé, l’accélération de la crise écologique et désormais la bataille politique contre la montée de régimes autoritaires rebat profondément les cartes. Même pour ceux et celles qui revendiquent la prudence et les propos mesurés, prendre position n’a plus rien d’antinomique avec le positionnement scientifique et sa légendaire «neutralité».
Chercheur sur l’adaptation du littoral aux risques côtiers au BRGM et co-auteur du dernier rapport du GIEC, Gonéri Le Cozannet insiste auprès de Vert sur le caractère «non prescriptif» des travaux scientifiques : en produisant des rapports rigoureux, les chercheur·ses alimentent la connaissance sans jamais verser dans l’opinion.
Mais ces mêmes scientifiques, souligne-t-il, «travaillent dans le cadre d’un système de valeurs qui, lui, n’est pas neutre. Les rapports du GIEC sont élaborés dans l’optique des 17 objectifs du développement durable, mis en place par les Nations unies. Ces objectifs prônent des valeurs d’universalisme et d’humanisme, œuvrent pour l’égalité entre hommes et femmes, etc. Je suis plutôt prudent dans mes prises de parole, car je représente aussi mon institution. Mais je considère que je prends position pour des valeurs que je défends en contribuant à des travaux de recherche. C’est dans ce cadre que j’agis aussi comme citoyen».
Un point de vue partagé et défendu par l’autrice du dernier rapport du GIEC, Yamina Saheb, dans un grand entretien à Vert. Spécialiste de la sobriété et de l’énergie, la scientifique estime qu’«un chercheur, c’est un citoyen avant tout. Dans ce moment, je ne comprends pas que les gens ne prennent pas position. Quand on travaille sur le climat, la réponse, elle est politique. Cette séparation-là n’a aucun sens. C’est une hypocrisie».
Des menaces multiples pour les chercheur·ses
Que craignent les scientifiques si le RN arrivait au pouvoir en France ? «D’abord, la chasse aux sorcières, avec des blocages de carrières, voire des exclusions, pour ceux et celles qui contesteraient le nouveau pouvoir, estime Kévin Jean. Il y a aussi la manière dont la recherche serait financée, avec des orientations qui reviendraient à minimiser des programmes sur le climat, les alternatives agricoles, la biodiversité. On pourrait craindre aussi la nomination de personnalités contestées ou la création de chaires sur des thèmes sans solidité scientifique, comme ce concept du “grand remplacement”». La préférence nationale pourrait exclure de très nombreux scientifiques, comme Yamina Saheb, franco-algérienne : «avec des collègues de Sciences Po, on a estimé que deux-tiers des enseignants de cette école étaient étrangers ou bi-nationaux», autant de personnes menacées par l’arrivée du RN au pouvoir.
Quelle forme prendrait la mobilisation de Scientifiques en rébellion en cas de victoire de l’extrême droite aux législatives anticipées ? «Nous sommes une organisation qui prône la désobéissance civile, et nos actions sont conduites par des individus qui s’exposent. Ce mode d’action pourrait-il être encore compatible avec un gouvernement RN ?, s’interroge Kévin Jean. Nous sommes en train de réfléchir aux formes qui pourrait prendre la résistance. Pour l’heure, il s’agit avant tout de monter la digue».
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