Le vert du faux

Face à la sécheresse, faut-il interdire de construire de nouvelles piscines individuelles ?

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Piscines, out ? L’interdiction de vendre des piscines hors-sols dans des Pyrénées orientales asséchées a provoqué un petit tollé. Face aux sécheresses à répétition, le modèle de la piscine individuelle, gonflable ou creusée, est-il à enterrer ?

Combien de piscines et quelle consommation ?

Cocorico ! La France est championne d’Europe des piscines. On en comptait 3,4 millions en 2022 – hors-sols ou creusées. Ces installations de confort n’utiliseraient que 0,15% de l’eau prélevée chaque année à l’échelle du pays, jure la Fédération des professionnels de la piscine et du spa (il n’existe pas d’autre estimation). Celle-ci assure qu’une piscine n’est emplie qu’une fois, au moment de son achat, et que les bâches qui recouvrent les bassins permettent d’éviter l’évaporation de l’eau. Des gestes pas franchement généralisés, puisque les piscinistes lancent une vaste campagne de sensibilisation pour inciter les usagers à économiser l’eau de leur bassin.

«Il ne faut pas aborder le problème comme ça, toute consommation est une consommation en plus», rappelle à Vert Nicolas Roche, spécialiste des problématiques de l’eau à l’Université Aix-Marseille. Une piscine creusée mesure en moyenne près de 30 mètres carrés pour 1,40 m de profondeur. Si ces dimensions diminuent avec le temps, ce sont toujours autant de nouveaux mètres cubes d’eau consommés et d’espaces artificialisés.

Une mauvaise adaptation au réchauffement climatique ?

À la faveur du réchauffement climatique, on creuse désormais des piscines partout en France. Solution d’adaptation aux canicules pour des personnes à la recherche de fraîcheur, les piscines peuvent en retour avoir des conséquences néfastes sur l’eau et l’environnement. Elles contribuent à artificialiser les sols, les privant de leur capacité à stocker l’eau et à la rendre à la biodiversité. Or, sols et végétaux sont les meilleurs aspirateurs à gaz à effet de serre qui soient. De quoi aggraver, en retour, le changement climatique. Les piscines creusées présentent aussi un potentiel de «verrouillage» : lorsqu’on a creusé une piscine, on compte s’en servir pendant au moins quelques décennies. Autant de consommations à venir.

«L’impact potentiel des piscines privées peut expliquer pour partie les plus fortes consommations constatées dans le Sud», indiquait l’Observatoire national des services de l’eau et d’assainissement (Sispea) en 2020. Cette pression, qui s’étend à tout le pays, est en majorité le fait d’usagers privilégiés.

Des piscines enterrées plutôt réservées aux privilégiés

Malgré leur démocratisation, les bassins creusés sont avant tout la propriété d’entrepreneurs et de cadres (à 47%). Les employés, ouvriers et agriculteurs sont, quant à eux, les premiers détenteurs de piscines hors-sols fixes. En interdisant la vente ou la pose de piscines par des particuliers dans les Pyrénées orientales, c’est à cette deuxième catégorie que les pouvoirs publics ont décidé de s’adresser pour faire face à la sécheresse.

Cette mesure vise à éviter «d’avoir des gens qui achètent des piscines et qui ensuite auraient la tentation de les remplir» (des mots du ministre de l’écologie, Christophe Béchu). Cependant, la construction et le remplissage des nouveaux bassins creusés reste autorisé si le chantier a été engagé avant la publication de l’arrêté. La Fédération des professionnels de la piscine y voit tout de même une «communication dénigrante des pouvoirs publics» et annonce aujourd’hui contester le texte devant la justice.

«En situation de crise, ces mesures exceptionnelles se justifient», tranche Christophe Emblanch, hydrogéologue à l’université d’Avignon. «C’est significatif, pour économiser des volumes d’eau et rappeler à tout le monde qu’il va falloir faire des efforts. Par contre, sur une vision de plus long terme, ce n’est pas la solution». Parmi les pistes étudiées, la tarification progressive de l’eau – plus chère passée un certain volume – peut inciter à réduire toutes les consommations de confort, dont les piscines. Pour protéger le climat et la biodiversité, les Français sont-ils prêts à reboucher leur bassin privatif pour faire piscine commune ?