Reportage

Au Séquestre, commune pionnière de la tarification progressive de l’eau, plus on consomme et plus on paye

Avec les sécheresses à répétition, le sujet revient dans les débats : faut-il faire payer davantage les plus gros consommateurs d’eau ? Depuis 2006, la ville tarnaise du Séquestre pratique la tarification progressive, avec des résultats encourageants. Reportage.
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Eurobi­net. Petite com­mune de 1 900 habitant·es située dans la com­mu­nauté d’agglomération de l’Albigeois, Le Séquestre (Tarn) n’a rien de très pit­toresque. La ville, agglomérat de sages pavil­lons, est éven­trée par quelques kilo­mètres d’autoroute, deux échangeurs, une zone com­mer­ciale en taule, un cir­cuit auto­mo­bile, un aéro­port et même un ter­rain mil­i­taire désaf­fec­té.

Cette col­lec­tiv­ité sans éclat peut cepen­dant se van­ter d’être une pio­nnière. En 2006, le maire (PS) Gérard Pou­jade a été le pre­mier en France à met­tre en place la tar­i­fi­ca­tion pro­gres­sive de l’eau. Le principe ? Au-delà d’un cer­tain vol­ume, plus l’on con­somme d’eau, plus le prix du mètre cube est élevé. Une mesure des­tinée à favoris­er l’accès à l’eau potable pour les foy­ers les plus mod­estes, mais aus­si à encour­ager la sobriété, con­cept remis au goût du jour ces derniers mois en rai­son du risque élevé de sécher­ess­es. Lors de la présen­ta­tion de son «plan eau» à Savines-le-Lac (Hautes-Alpes), Emmanuel Macron a ain­si souhaité la général­i­sa­tion du dis­posi­tif à l’échelle nationale.

Petit retour en arrière. Il y a quinze ans, la raré­fac­tion de la ressource eau n’est pas ce qui préoc­cupe le plus Gérard Pou­jade. «Au départ, notre pri­or­ité était avant tout la lutte con­tre la pau­vreté», explique-t-il à Vert depuis son bureau munic­i­pal. À l’époque, le sys­tème de tar­i­fi­ca­tion qui pré­vaut au Séquestre favorise les gros con­som­ma­teurs, donc a pri­ori les plus for­tunés, via des économies d’échelle.

Chang­er de dis­posi­tif n’est pas si sim­ple. La ville appar­tient à un syn­di­cat mixte regroupant une cinquan­taine de com­munes rurales. Celle-ci gère la part «dis­tri­b­u­tion de l’eau» des fac­tures, et s’oppose à la mise en place de la tar­i­fi­ca­tion pro­gres­sive. Seule la part «assainisse­ment» (un tiers de la fac­ture) relève de la com­pé­tence com­mu­nale. C’est donc sur cette dernière que le maire, ingénieur de for­ma­tion, décide d’appliquer sa mesure.

Le Séquestre est une petite com­mune tar­naise de 1900 habitant·es. © Gérard Pou­jade

En 2006, il com­mence par sup­primer la part d’abonnement fixe pour éviter de frap­per trop dure­ment le porte­feuille des petits con­som­ma­teurs. Puis en 2009, l’édile conçoit une nou­velle grille tar­i­faire : les 30 pre­miers mètres cubes sont gra­tu­its ; au-delà, le prix monte par paliers : 0,15€/m3 pour les con­som­ma­teurs les plus mod­estes (entre 31 et 61 m³ par an), jusqu’à 0,70€/m3 pour les con­som­ma­teurs les plus gour­mands en eau (plus de 200 m³ par an). Chez Veo­lia, qui s’occupe d’éditer les fac­tures pour le compte de la com­mune, on grince un peu des dents : «Il leur fal­lait chang­er leur logi­ciel infor­ma­tique pour seule­ment quelques cen­taines de comp­teurs, au départ, c’é­tait com­pliqué», soupire Gérard Pou­jade. Finale­ment, la multi­na­tionale accepte, et le nou­veau sys­tème se met en place.

Aucune perte de revenus pour la commune

Lors de la pre­mière année, en 2009, env­i­ron 80 % des fac­tures des Séquestrois·es ont bais­sé, quand 20 % ont aug­men­té. «Or l’augmentation des fac­tures des plus gros con­som­ma­teurs a suf­fi à com­penser la diminu­tion de celles des petits et moyens con­som­ma­teurs. Donc les recettes de la com­mune sont restées les mêmes» se réjouit Gérard Pou­jade.

Selon l’édile, ce sys­tème est plus juste puisque ce sont surtout les retraité·es pro­prié­taires de piscines qui ont été pénalisé·es. Une affir­ma­tion qui relève cepen­dant d’hypothèses jamais véri­fiées sci­en­tifique­ment. «C’est tout le prob­lème de la tar­i­fi­ca­tion sociale, les fac­tures aug­mentent pour une petite par­tie de la pop­u­la­tion, mais il est impos­si­ble de dire avec cer­ti­tude s’il s’agit de foy­ers rich­es qui peu­vent se le per­me­t­tre, ou juste de familles nom­breuses», estime auprès de Vert le chercheur en économie Alexan­dre May­ol, auteur d’une thèse sur le sujet en 2017.

Pour autant, Gérard Pou­jade, né au Séquestre et maire depuis vingt ans, assure qu’il con­naît par­faite­ment la struc­ture des foy­ers de sa com­mune. «On s’est ren­dus compte que la con­som­ma­tion d’eau vari­ait en fonc­tion des revenus du foy­er et non en fonc­tion du nom­bre de per­son­nes com­posant ce même foy­er.»

Maire du Séquestre depuis 2001, l’élu de gauche veut croire en un sys­tème «envi­ron­nement effi­cace, sociale­ment juste et économique viable». © Gérard Pou­jade

Pour ras­sur­er les familles nom­breuses d’une éventuelle hausse de leur fac­ture suite à l’instauration de la mesure, la ville s’était d’ailleurs engagée à com­penser la hausse des prix via le Cen­tre com­mu­nal d’action sociale (CCAS). «Per­son­ne n’est venu se plain­dre», souligne Gérard Pou­jade. Mais là encore, Alexan­dre May­ol est scep­tique : «Il ne faut pas sous-estimer la prob­lé­ma­tique du non-recours. À Dunkerque, qui a égale­ment opté pour la fac­tura­tion pro­gres­sive de l’eau potable, la ville a pro­posé un “chèque eau”, mais de l’ordre d’une ving­taine d’euros. Les gens n’osent pas le réclamer, car c’est humiliant».

Faire passer un message

Quant à mod­i­fi­er le com­porte­ment des plus rich­es, la ques­tion reste entière. «La fac­ture d’eau représente 1% du bud­get des ménages, soit quelques cen­taines d’euros par an. Même si elle aug­mente, cela ne va pas néces­saire­ment enclencher une évo­lu­tion des modes de vie, surtout pour les plus aisés», estime le chercheur.

Juste ou pas, la réforme a en tout cas per­mis de faire baiss­er dras­tique­ment la con­som­ma­tion glob­ale de la ville. Entre 2006 et 2010, la con­som­ma­tion moyenne d’un foy­er du Séquestre est passée de 120 m³ par an — la moyenne française -, à 80 m³. Il faut dire que Gérard Pou­jade a mis le paquet sur la com­mu­ni­ca­tion. «À l’occasion de n’importe quelle réu­nion publique, j’en remet­tais une couche. Lors de la céré­monie des vœux du 1er jan­vi­er 2009, j’ai même offert à cha­cun des habi­tants un économiseur d’eau pour les robi­nets pour leur rap­pel­er qu’ils allaient économiser 15 euros à la fin de l’année», explique-t-il. Preuve de l’ef­fi­cac­ité de la mesure dans le temps, la con­som­ma­tion moyenne d’un foy­er au Séquestre a chuté pour attein­dre 70 m³ par an en 2020 : «C’est aus­si que la con­som­ma­tion d’eau en France a dimin­ué au cours des dix dernières années. Ma com­mune ne fait pas excep­tion à la règle» pré­cise l’édile.

Alexan­dre May­ol en con­vient : «Ce type de réforme per­met de faire pass­er un mes­sage, celui que le gros con­som­ma­teur sera pénal­isé. Cela con­duit à faire chang­er les men­tal­ités». Pour autant, la con­som­ma­tion des ménages ne va pas tout chang­er. À l’heure actuelle, l’eau potable en France ne représente que 26 % de la con­som­ma­tion totale d’eau con­tre près de 57 % pour l’agriculture, 12 % pour le refroidisse­ment des cen­trales élec­triques et 5 % les usages indus­triels, selon le min­istère de la Tran­si­tion écologique. Sol­lic­ité par le gou­verne­ment pour évo­quer la tar­i­fi­ca­tion pro­gres­sive de l’eau potable, Alexan­dre May­ol a invité l’exécutif à appli­quer la mesure aux autres usages que ceux sim­ple­ment domes­tiques. Une propo­si­tion accueil­lie par un silence gêné.