Décryptage

Et si l’on faisait enfin le ménage dans l’espace ?

Les déchets spatiaux se sont tellement accumulés autour de la Terre qu’ils menacent le bon fonctionnement des satellites. Depuis plus de dix ans, les appels se multiplient pour faire le ménage, mais très peu de solutions concrètes ont émergé. Le vent pourrait tourner avec une mission européenne imminente, une forte volonté politique du côté des Etats-Unis et des entreprises qui se creusent la tête pour inventer le prochain camion-poubelle spatial.
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Le 4 octobre 1957, Spoutnik-1 s’envole depuis la base soviétique de Baïkonour, au Kazakhstan. Cette sphère en aluminium de quelques dizaines de centimètres de diamètre se place en orbite à plus de 900 kilomètres d’altitude et devient le premier satellite artificiel de l’histoire de l’humanité. Trois semaines plus tard, ses batteries s’épuisent : bienvenue au premier débris spatial.

Visualisation des débris spatiaux réalisée par l’Agence spatiale européenne. © ESA

Plus d’un demi-siècle plus tard, le 4 avril 2022, le dernier décompte fait état de plus de 30 000 débris de plus de dix centimètres de diamètre. Ceux-ci sont traqués quotidiennement par les agences spatiales qui craignent qu’ils heurtent l’un de leurs précieux satellites en activité. Certains de ces fragments, qui continuent de tourner plusieurs centaines de kilomètres au-dessus de nos têtes, finissent par tomber. Mais d’autres se percutent, occasionnant davantage de débris encore plus petits, parfois indétectables. On en dénombre plus de 130 millions d’une taille comprise entre 1 millimètre et 1 centimètre, d’après les estimations de l’Agence spatiale européenne (ESA).

Finis, les missiles destructeurs de satellites

Deux événements récents montrent que les États-Unis semblent prendre le problème au sérieux. En décembre 2021, la première réunion du National space council (organe dédié à la politique spatiale américaine) depuis l’élection de Joe Biden à la tête du pays, a largement évoqué ce problème. Une surprise, alors que ce rendez-vous est d’habitude plutôt dirigé vers les missions d’exploration à venir. Puis, le 19 avril dernier, la vice-présidente Kamala Harris a  annoncé que les tests de missiles destructeurs de satellites feraient désormais partie du passé. Ces opérations, qui consistaient à détruire de vieux engins inopérants, créaient de nouveaux nuages de petits débris. Or, lancée à pleine vitesse, une poussière peut devenir un projectile dangereux. C’est la première fois qu’une nation prend ce type de décision et le gouvernement Biden espère donner l’exemple pour que les autres suivent. Mais si ces avancées sont saluées par les agences, elles restent secondaires devant l’ampleur de la situation.

« Actuellement, c’est un problème que nous pouvons gérer, confie à Vert Pierre Omaly, spécialiste des débris spatiaux au Centre national d’études spatiales (Cnes). Mais cela demande des efforts et de l’argent. » Concrètement, chaque agence spatiale surveille les débris pour s’assurer qu’ils ne menacent pas ses satellites en activité. Et si c’est le cas, il faut manœuvrer pour les éviter. Ce qui est techniquement possible, mais laborieux. Et comme le nombre de satellites continue d’augmenter, notamment avec les constellations du type Starlink de SpaceX (qui regroupent plusieurs milliers de satellites pour fournir un accès à internet), l’orbite terrestre devient de plus en plus fréquentée. Les manœuvres sont plus nombreuses et plus délicates.

Un « camion-poubelle » spatial

Face à cela, deux solutions existent. La première : ne pas créer de nouveaux débris. En France, la loi sur les opérations spatiales de 2008 oblige tous les engins qui vont en orbite à ne pas produire de pertes (par exemple, pas de petits éléments qui se détachent une fois là-haut comme le cache d’un objectif). De plus, les satellites doivent être construits de manière à redescendre seuls une fois leur mission achevée. Ainsi, ils se consument en rentrant dans l’atmosphère terrestre. Cette contrainte est également mentionnée dans la norme internationale ISO 24113. Le problème, c’est que les satellites hors d’usage peuvent rester en orbite plusieurs dizaines d’années avant de retomber.

Autre solution : aller chercher les débris. L’agence spatiale européenne travaille sur un projet avec une start-up Suisse, Clearspace, qui doit lancer un « camion-poubelle spatial » en 2025. L’objectif est d’aller récupérer un étage de fusée Vega (un petit lanceur européen) à 800 kilomètres d’altitude… avant de foncer vers la Terre pour que tout ce petit monde s’embrase dans l’atmosphère. Luisa Innocenti, en charge du projet à l’ESA, précise : « Les études montrent que le seul moyen de limiter les débris est de retirer les plus gros. Nous allons développer des systèmes de navigation et de capture afin de montrer que ces technologies peuvent fonctionner efficacement. » Si la mission est couronnée de succès, il s’agirait d’une première mondiale. Au Japon, l’entreprise privée Astroscale conçoit un système similaire. L’année prochaine, elle devrait commencer par une analyse des débris en orbite, avant d’envoyer une mission pour les récupérer.

Expédié en 2025, Clearspace-1 utilisera ses bras robotiques pour récupérer l’étage supérieur de la fusée Vega lancée en 2013. © ESA

Ces pistes sont encourageantes, mais loin d’être suffisantes. Le contrat passé avec Clearspace ne se monte qu’à 100 millions d’euros, bien loin des plus de 7 milliards d’euros que compte le budget annuel de l’ESA. Pire, il n’existe actuellement pas de technologie pour les plus petits débris, eux aussi dangereux, mais indétectables. Un défi technique à relever… sans oublier les obstacles politiques. « Il n’y a pas de réglementation internationale sur le sujet, déplore Pierre Omaly. À qui appartiennent les débris ? Qui doit payer ? Qui est responsable si Clearspace provoque une autre collision ? Tout cela est encore très flou. »

Les tensions géopolitiques menacent le nettoyage de l’espace

Plus de 90 % des débris sont des restes d’engins américains, russes, ou chinois. Et si chacun à intérêt à limiter les obstacles dans l’espace, personne n’a envie de payer. Dès 2010, lors du vote de la National space policy destinée à définir le cadre de la politique spatiale américaine, les États-Unis ont annoncé le développement d’une technologie pour retirer les débris. Mais si peu a été fait depuis lors.

Pire, ces dernières années, la recrudescence des tensions internationales semble rendre illusoire une entente entre ces pays sur ce sujet très sensible : même obsolètes, ces technologies sont bien souvent liées à la recherche militaire et à l’espionnage. Aucune des grandes puissances ne tient à voir les autres fouiller dans ses poubelles !

Même si une règle de bonne conduite était acceptée par tous, il resterait un obstacle économique : les débris n’ont pas de valeur. Si chaque mission destine entre 5 et 10% de son budget à éviter les accrochages, personne ne désire assumer le coût d’une action de nettoyage. Astroscale tente une approche neuve en s’associant aux opérateurs de constellations de satellites. Par exemple, SpaceX pourrait employer Astroscale comme un prestataire pour qu’il retire un débris gênant de sa constellation Starlink. Mais cela ne sera pas suffisant sans un vrai investissement de la part des États. Pour Pierre Omaly, les choses vont toutefois dans le bon sens : « La déclaration de Kamala Harris nous montre que nous sommes à l’aube d’un grand changement. Les Etats-Unis ont conscience qu’ils ont beaucoup à perdre s’ils ne font rien. Et c’est le cas des autres puissances spatiales qui n’auront bientôt plus le choix. »

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