Raisons sauvages. Et si la forêt de Bialowieża, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, pouvait annuler le projet de mur anti-migrants envisagé par le gouvernement Polonais ?
Décidée en octobre 2021 après un été marqué par l’arrivée à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie de milliers de personnes qui fuyaient le Moyen-Orient et l’Afrique, cette construction pourrait être bloquée par l’Union européenne (UE) en raison de failles en matière de protection de la biodiversité.
Jeudi 21 avril, la commission « environnement » du Parlement européen a demandé des garanties au gouvernement polonais au sujet de cette construction de béton et d’acier, longue de 186 kilomètres et haute de 5,5 mètres, prévue au cœur de l’écosystème forestier le plus ancien d’Europe. Parmi celles-ci, l’installation de corridors écologiques pour permettre la libre circulation des animaux.
Les eurodéputés libéraux, de gauche et verts ont rappelé que ce projet viole les règles de protection de la nature de l’UE et met en danger des espèces vulnérables comme le loup, le lynx et le bison. Elles et ils regrettent que l’Europe n’ait pas imposé de sanctions à la Pologne. L’eurodéputé du groupe Socialistes et démocrates César Luena décrit le mur polonais comme une « clôture de la honte », « totalement incompatible » avec les lois européennes sur la nature (Politico). Il a demandé à la Commission de veiller à ce qu’il soit « immédiatement » démantelé. L’inaction de l’exécutif européen est « ridicule », a déclaré Michal Wiezik, un député slovaque du groupe Renouveau européen.
Pour Maud Lelièvre, présidente du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) jointe par Vert, « ce projet va couper la forêt en deux et son impact va être terrible à tous niveaux, humain comme non humain ». 1 800 scientifiques ont fait part de leur opposition à cette construction, craignant déboisement, rupture de continuité écologique et difficultés pour la migration des espèces. Signée par des représentant·es de plus de 150 organisations environnementales, leur pétition a été remise au siège de la représentation de la Commission européenne à Varsovie le 8 février 2022.
Située dans un parc national, classée comme réserve de biosphère depuis 1976 et inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979, la forêt de Bialowieża est dite « primaire » : c’est-à-dire préservée de toute intervention humaine, avec une faune et une flore particulièrement riches. « Vous avez à la fois des grands prédateurs, le loup, le lynx, des grands herbivores, les derniers grands bisons d’Europe qui, partout ailleurs, ont pratiquement disparu », a expliqué Laurent Simon, professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne au micro de France Info.
S’il est difficile d’avoir des informations précises sur l’état d’avancement du chantier, les travaux ont débuté en février dernier. « Cette forêt est difficile d’accès, mais nous savons que des camions la traversent d’ores et déjà avec des matériaux de construction », raconte Maud Lelièvre. La demande de garanties formulée par l’UE arrive tardivement, mais elle pourrait servir de levier pour faire condamner les autorités polonaises et obtenir la démolition du mur. En 2018, déjà, Varsovie avait été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne en raison de l’abattage d’arbres jugé contraire au droit européen. La guerre en Ukraine, avec son afflux de réfugiés, rend le sujet particulièrement épineux.
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