À Quiberon (Morbihan), sur le front de mer, une petite cabane en bois retient l’attention des passants, sortis en nombre pour profiter de l’une des rares éclaircies de ce mois de juin. À l’intérieur, Lili, le rire franc et le contact facile, n’y vend ni crêpes ni churros, mais des tickets pour embarquer à bord de Saona, le voilier de la compagnie Îliens.
Depuis 2021, cette dernière assure d’avril à novembre des liaisons régulières à la voile entre le continent et la commune belliloise de Sauzon. L’objectif : proposer une alternative décarbonée au transport maritime de passagers, à l’heure où environ un million de personnes font chaque année la traversée vers Belle-Île à bord d’un ferry.
«Si vous n’êtes jamais montés à bord d’un voilier, c’est l’occasion», entame Lili en direction d’un couple de touristes intrigués, alors que la silhouette de Saona se dessine dans le chenal. Au total, une trentaine de personnes sont attendues pour la dernière traversée de la journée, sur les 74 passagers que peut accueillir le catamaran. En quelques minutes, toutes et tous embarquent à bord, accueillis par l’équipage qui rappelle les consignes à respecter : ne pas monter à plus de dix sur les deux filets à l’avant du catamaran, prendre un des seaux à disposition en cas de mal de mer… «et surtout, profiter», lâche Jean-Philippe, le capitaine du jour, sous les applaudissements des marins en herbe, alors que le voilier quitte le port.
65% des traversées à la voile
Parmi les passagers, certains sont des habitués, comme Estelle et Julien. Installé à Nantes, le jeune couple, dont la famille possède une maison à Belle-Île, essaye de privilégier le voilier au ferry pour effectuer les 17 kilomètres qui séparent l’île du continent. «On est attaché aux solutions qui permettent de décarboner les transports et de préserver l’environnement, avance Julien. Et puis ne pas entendre le bruit du moteur, ne pas avoir les vapeurs de fioul, c’est vraiment agréable, continue Estelle en jetant un œil autour d’elle. On peut vraiment profiter du moment».
Mis à part pour les entrées et sorties de port où l’utilisation du moteur est obligatoire, l’équipage du Saona utilise autant que possible la force vélique. «Quand il n’y a pas de vent, on est contraint d’utiliser le moteur, concède Jean-Philippe, surtout qu’on s’engage à ce que la traversée ne dure pas plus de 1h30, mais en moyenne, on effectue plus de 65% de nos traversées à la voile», continue le marin. Un pourcentage dont se félicite la compagnie, qui estime ne consommer que 0,3 litre de gasoil par passager et par trajet, pour un impact environnemental inférieur de 80% aux autres modes de traversée.
Un projet qui fait des petits
Installés à Vitré (Ille-et-Vilaine), Nicole et André n’en sont pas non plus à leur première traversée. «Nous, ce qu’on aime tout particulièrement, c’est l’ambiance familiale qu’il y a sur le bateau», détaillent les deux retraités. Et à voir le groupe de copains affairé à hisser la grand-voile sous les encouragements de Clarisse, l’une des matelots de l’équipage, on veut bien les croire. «Voyez, c’est une vraie expérience d’embarquer sur ce voilier !», rient-ils.
Une expérience qui, depuis la création d’Îliens, séduit un nombre croissant de passagers : depuis 2021, près de 60 000 personnes ont embarqué à bord de Saona. Surtout, le modèle imaginé par Îliens fait des petits. Depuis 2022, la coopérative Sailcoop – dont Îliens est d’ailleurs sociétaire –, propose des traversées en voilier entre Saint-Raphaël (Var) et Calvi (Corse) à bord de ses deux bateaux, prêtés par des propriétaires qui n’en avaient plus l’usage.
Sur sa première saison, en 2022, la coopérative estime avoir émis 12,8 kilogrammes de CO2-équivalent (kgCO2eq) par passager, contre 219 kgCO2eq pour le ferry. Pour alléger encore son bilan carbone sur sa nouvelle ligne entre Concarneau (Finistère) et l’archipel breton des Glénan, qui vient tout juste d’ouvrir, Sailcoop a fait construire un nouveau catamaran. «On voulait un bateau très vélique et léger, qui permette de naviguer à la voile très rapidement, détaille Maxime de Rostolan, directeur général de Sailcoop. Ce nouveau voilier pèse 17 tonnes, «alors qu’habituellement, il faut compter 25 tonnes pour transporter 80 passagers», ajoute-t-il. À terme, ce bateau doit permettre de transporter entre 15 et 20 000 personnes par an.
«Notre objectif, c’est de remplacer au maximum les vedettes thermiques, continue Maxime Buhry, responsable de la ligne Concarneau-Les Glénan. On voudrait réussir à convaincre autant les passagers qui souhaitent voyager de façon plus écologique que ceux qui cherchent à vivre une expérience unique en mer».
De nouvelles façons de voyager
Une ambition commune à Sailcoop et Îliens, qui butent pourtant sur différents obstacles pour réussir à attirer une clientèle plus large, à commencer par celui du prix. Ni l’une, ni l’autre, n’ont bénéficié de subventions. Entre Saint-Raphaël et Calvi, par exemple, un aller-retour en voilier peut coûter jusqu’à cinq fois plus cher que le ferry. Côté breton, la différence tarifaire est moindre, mais les insulaires restent peu nombreux à envisager le voilier comme une alternative réelle au ferry, ce dernier étant à la fois moins cher, plus rapide et moins soumis aux aléas météorologiques. «Pour certains passagers, il s’agit aussi de réussir à dépasser leur peur de la mer, insiste Lili. Par contre, une fois qu’ils y arrivent, ils découvrent vraiment des sensations incroyables».
Un mouchoir imbibé de menthe poivrée à la main pour lutter contre le mal de mer, Blanche, qui voyage pour la première fois avec Îliens, peut l’attester : «je n’étais pas sereine en montant sur le bateau, mais une fois dessus, c’est vrai que c’est très agréable», conclut la jeune femme alors qu’à l’horizon, Belle-Île fait son apparition. D’ici à l’an prochain, Îliens espère acquérir un deuxième voilier, tandis que Sailcoop réfléchit à la conception de bateaux de très grande capacité, capables d’effectuer des traversées intercontinentales. De l’autre côté de la Manche, le Britannique Andrew Simons porte un projet de liaison régulière entre Douvres, en Angleterre, et Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). Autant de projets de mobilité douce en mer qui, s’ils restent pour le moment marginaux, contribuent à dessiner de nouvelles façons de voyager.
Un article de Cécile Massin.
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