Portraits

En amont de la COP15 sur la biodiversité, les jeunes tiennent leur sommet pour défendre le vivant

En début de semaine, à Montréal (Canada), le Forum mondial de la jeunesse sur la biodiversité a précédé la 15ème conférence des Nations unies (COP15) sur le même sujet. Portraits de trois participant·es engagé·es pour la sauvegarde du vivant.
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« C’est le moment de se réc­on­cili­er avec la nature et les jeunes sont notre meilleure source d’espoir », a salué Anto­nio Guter­res, le secré­taire général des Nations unies, ce mar­di, pour accueil­lir les quelque 300 jeunes participant·es au som­met. Par­mi les ques­tions qui ont fusé : com­ment pren­dre en con­sid­éra­tion les dif­férentes valeurs de la nature ? Com­ment lier cli­mat et vivant, séparés par les insti­tu­tions de l’ONU ? Com­ment instau­r­er un sys­tème économique et financier plus juste ? « La prochaine fois, ne me posez pas de ques­tions à moi. Invitez des représen­tants des États et deman­dez-leur de vous écouter, vous ! », a‑t-il lancé. Vert a enten­du son con­seil et vous pro­pose d’écouter trois de leurs rich­es témoignages.

Joel Rojas, République Dominicaine : « Nous devons rendre responsables les pays développés pour les décisions qu’ils ont prises : les pollutions, les guerres, la disparition d’espèces »

Joel Rojas, 25 ans, est biol­o­giste en République domini­caine. Il tra­vaille au min­istère de l’environnement sur la biolo­gie molécu­laire et la géné­tique, et il est venu à la COP pour « porter la voix des jeunes dans les négo­ci­a­tions ». Guidé par un amour pro­fond des baleines — un tatouage sur son avant-bras pour preuve -, Joel plaide pour que l’on apprenne à « vivre comme par­tie de la nature ».

Joel Rojas, le 6 décem­bre à Mon­tréal © Juli­ette Quef / Vert

Il salue le plan de restau­ra­tion de la bio­di­ver­sité entre­pris par la République domini­caine, « mais nous avons encore beau­coup à faire sur les change­ments d’usage des sols et l’agriculture ». Pour cela, il pro­pose de mieux pren­dre en compte les intérêts des peu­ples autochtones et de trans­fér­er les ressources du Nord vers le Sud. « Nous devons aus­si ren­dre respon­s­ables les pays dévelop­pés pour les déci­sions qu’ils ont pris­es : les pol­lu­tions, les guer­res, la dis­pari­tion d’espèces comme l’anguille améri­caine en République domini­caine. »

Joel est arrivé à Mon­tréal avec de grandes attentes. Parce qu’il est expert des objec­tifs « d’Aichi » sur la bio­di­ver­sité qui n’ont pas été respec­tés (Vert), il espère que le nou­veau cadre inter­na­tion­al qui doit être défi­ni pour la présente décen­nie lors de la COP15 « pour­ra vrai­ment être appliqué. Les États doivent trou­ver un con­sen­sus sur dif­férentes cibles, en par­ti­c­uli­er sur les droits des com­mu­nautés, les femmes et les jeunes », avance-t-il. La ren­con­tre avec des jeunes du monde entier lui per­met d’« ouvrir les yeux sur des choses que nous tenons pour acquis­es », et ren­force sa volon­té de tra­vailler sur les solu­tions liées à la bio­di­ver­sité.

Espérance Priscille Noumbou Vehpoubouot, Cameroun : « Les étrangers et les gens de la ville devraient apprendre auprès des communautés locales, car elles ont toujours respecté la nature »

Espérance Priscille Noum­bou Veh­poubouot, 33 ans, est ingénieure en con­cep­tion halieu­tique à Yaoundé (Camer­oun) et étudie l’hydrobiologie, en par­ti­c­uli­er la restau­ra­tion des man­groves. Activiste écol­o­giste et artiste, elle utilise ses ban­des dess­inées pour alert­er enfants et ado­les­cents au sujet de la pro­tec­tion du vivant.

Espérance Priscille Noum­bou Veh­poubouot à Mon­tréal le 6 décem­bre 2022 © Juli­ette Quef / Vert

Espérance est venue à Mon­tréal pour alert­er sur la sit­u­a­tion des peu­ples autochtones. « Lorsqu’un pro­jet de plan­ta­tions d’hévéa ou de cacao est décidé par les autorités, ils n’hésitent pas à déplac­er les pop­u­la­tions. Ils dis­ent : “on va con­stru­ire des routes et vous pour­rez aller à l’école”. Mais en réal­ité, ils utilisent des pes­ti­cides ; l’eau et les sols sont con­t­a­m­inés. » La Camer­ounaise dénonce égale­ment l’exploitation minière, qui ne respecte aucune norme envi­ron­nemen­tale. Tout comme l’action de cer­taines ONG étrangères qui « vien­nent appren­dre à pro­téger la forêt à des pop­u­la­tions qui ont tou­jours vécu en har­monie avec la nature ».

Biol­o­giste marine, Espérance voudrait que soit mis en avant le rôle cru­cial des zones humides — comme les man­groves, les marais, les tour­bières -, pour la repro­duc­tion d’espèces et la lutte con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Elle veut aus­si alert­er sur l’importance des planc­tons marins et des invertébrés à la base de la chaîne ali­men­taire.

Espérance croit au pou­voir de la jeunesse : « Quand je ren­tr­erai chez moi, je dirai qu’il y a des jeunes partout dans le monde qui vivent la même réal­ité que nous et qui se bat­tent ; cela don­nera de l’espoir pour le change­ment ». Pour que les jeunes changent le monde, « nous devons être à la table des négo­ci­a­tions ».

Lino Paoletti, Belgique : « La meilleure chose à faire pour la biodiversité, c’est de ne plus financer l’agrobusiness »

Lino Pao­let­ti, 24 ans, tra­vaille à Brux­elles depuis un an chez « Vrac », une asso­ci­a­tion qui œuvre à l’accessibilité ali­men­taire dans les quartiers pop­u­laires. Intéressé de longue date par la diver­sité du vivant, Lino est « triste de voir qu’on fait dis­paraître des espèces pour con­stru­ire des cen­tres com­mer­ci­aux ». Il se mobilise pour la défense de la bio­di­ver­sité à tra­vers le Forum des jeunes, l’organe de représen­ta­tion offi­ciel de la jeunesse fran­coph­o­ne belge.

Lino Pao­let­ti à Mon­tréal. © Juli­ette Quef / Vert

Jeune délégué de l’ONU pour la bio­di­ver­sité depuis deux ans, il est chargé de recueil­lir l’opinion de ses con­tem­po­rains sur le vivant pour la porter dans les instances onusi­ennes, notam­ment à la COP. « On fait des enquêtes, des vidéos infor­ma­tives, détaille-t-il. On se rend compte que les jeunes ne sont pas suff­isam­ment infor­més et ne se mobilisent pas beau­coup sur les ques­tions de bio­di­ver­sité. »

Lino s’est ren­du à Mon­tréal avec la délé­ga­tion belge et le Glob­al youth bio­di­ver­si­ty net­work (Gybn), un réseau inter­na­tion­al de jeunes qui lut­tent pour la sauve­g­arde du vivant. Il est aus­si présent pour faire con­naître le crime d’écocide ; la Bel­gique ayant ouvert la voie à sa recon­nais­sance mon­di­ale en 2021. À celles et ceux qui lui deman­dent si les COP sont utiles, Lino répond qu’« elles peu­vent sem­bler hyp­ocrites, mais elles sont tout à fait néces­saires si on veut agir un min­i­mum au sein du “sys­tème” économique. Con­crète­ment, la meilleure chose à faire pour la bio­di­ver­sité, c’est de ne plus financer l’a­grobusi­ness. Et ça peut com­mencer avec son ali­men­ta­tion ».