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Elyze, l’application qui veut « réintéresser les jeunes » à la vie politique, est victime de son succès

Tinder surprise. Lancée début janvier par un groupe d’étudiant•es et de jeunes entrepreneurs, l’application Elyze, qui veut réconcilier les jeunes et la politique, connaît un succès foudroyant. Avec plus de 500 000 téléchargements, elle s’est hissée, mercredi, en tête des applications des plateformes. Une réussite qui va de paire avec de nouvelles responsabilités.
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Un car­ton jaune appa­raît à l’écran avec la men­tion « Rétablir l’impôt sur la for­tune », puis un rose « Ajouter le « burn-out » dans la caté­gorie des mal­adies pro­fes­sion­nelles », vient ensuite un bleu « Inve­stir dans du matériel dédié à la police (véhicules à haute pro­tec­tion, héli­cop­tères, etc) ». Les propo­si­tions des candidat•es à l’élection prési­den­tielle s’énoncent de manière syn­thé­tique, voire lap­idaire, dans la nou­velle appli­ca­tion Elyze.

Fondée par Gré­goire Caz­car­ra, 22 ans, étu­di­ant à l’ESCP Busi­ness School (son por­trait dans le Monde) et François Mari, 19 ans, étu­di­ant à HEC Mon­tréal, Elyze se veut le « Tin­der de la prési­den­tielle », per­me­t­tant de faire « match­er » les utilisateur•ices et les idées-phares des candidat•es, déclaré•es ou non, à l’élection prési­den­tielle. Les usager•es sont invité•es à « swiper » (com­pren­dre : bal­ay­er avec leur doigt) vers la droite s’ils approu­vent la mesure ou vers la gauche s’ils la rejet­tent. Un mécan­isme dévelop­pé par l’application de ren­con­tre Tin­der, très pop­u­laire chez les jeunes. A par­tir de 50 cartes, une ten­dance se des­sine et per­met de con­naître son ou sa candidat•e préféré•e. Une cen­taine de coups d’index sup­plé­men­taires est néces­saire pour affin­er le podi­um.

Ce tra­vail de référence­ment titanesque – 500 propo­si­tions fig­urent dans l’application – a été opéré par une ving­taine de bénév­oles étudiant•es de l’association « aparti­sane » Les engagés, fondée en 2017 par le même Gré­goire Caz­car­ra. On peut toute­fois regret­ter le manque de péd­a­gogie sur les mesures en elles-mêmes. Au-delà de leur énon­cé suc­cinct, Elyze ne prévoit pas de descrip­tion plus com­plète des propo­si­tions poli­tiques et ne ren­voie pas vers des arti­cles d’analyse. Ain­si, les inter­nautes sont censé·es savoir les impli­ca­tions du « pass[age] à une six­ième République » (Jean-Luc Mélen­chon) ou en quoi con­siste la mise en place d’un « impôt sur la for­tune (ISF) cli­ma­tique » portée par plusieurs candidat·es de gauche. Inter­rogé par Vert, Wallerand Moul­lé-Berteaux, fon­da­teur du média de débat Le cray­on qui a rejoint le pro­jet il y a quelques semaines, recon­naît le manque de pré­ci­sion des mesures. Pour lui, « la voca­tion d’Elyze, c’est de réin­téress­er les jeunes à l’élection prési­den­tielle et aux idées des can­di­dats. Des gens nous dis­ent qu’ils se met­tent à regarder les pro­grammes et réé­couter les mati­nales. » Selon un sondage IFOP de décem­bre 2021, moins de deux tiers (61%) des Français·es de 18 à 30 ans se déclar­ent intéressé·es par la cam­pagne de 2022 et 59% envis­agent de s’abstenir lors du pre­mier tour de l’élection.

Et l’écologie dans tout ça ? L’environnement est l’une des neuf caté­gories de propo­si­tions mis­es en avant, qui compte une cinquan­taine de mesures aus­si divers­es qu’« arrêter la con­struc­tion d’éoliennes sur tout le ter­ri­toire » (Flo­ri­an Philip­pot), « laiss­er le choix de fer­me­ture des cen­trales à l’Autorité de sécu­rité nucléaire » (Arnaud Mon­te­bourg) ou « inter­dire la chas­se à courre » (Nathalie Arthaud). A not­er que les deux cartes d’Emmanuel Macron sur cette thé­ma­tique « inter­dire le glyphosate » et « rénover 1 mil­lion de loge­ments mal isolés » sont issues de son pro­gramme de 2017. Sous la pres­sion de la FNSEA, prin­ci­pal syn­di­cat agri­cole (Noveth­ic), Emmanuel Macron avait finale­ment remis aux cal­en­des grec­ques la sor­tie du glyphosate à la fin 2020 (Vert).

Wallerand Moul­lé-Berteaux remar­que que « selon nos ressen­tis, Yan­nick Jadot arrive dans le top 3 dans 60 à 70% des cas. Je pense que c’est la preuve que l’écologie est une préoc­cu­pa­tion intense pour les jeunes. » Une remar­que qui pose aus­si la ques­tion de l’usage des don­nées qui en sera fait, Elyze s’étant engagé à ne pas ven­dre les infor­ma­tions recueil­lies ni aux par­tis poli­tiques ni à des entre­pris­es. « Nous pour­rions réus­sir à sor­tir des sondages made-in-Elyze. Mais pour cela nous nous appuieri­ons sur des parte­nar­i­ats avec des insti­tuts pro­fes­sion­nels. On ne veut pas faire d’erreur », note encore le jeune entre­pre­neur. 

Le suc­cès immé­di­at de l’application – téléchargée plus de 500 000 fois en deux semaines – a sur­pris jusqu’à ses fon­da­teurs qui tablaient sur « 150 à 200 000 télécharge­ments à la veille du pre­mier tour ». Ils se dis­ent con­scients de la grande respon­s­abil­ité qui l’accompagne. Si Elyze se veut « neu­tre » et promet d’accorder à chaque prétendant·e à la fonc­tion prési­den­tielle une place équitable, ce n’est pas l’avis de Jean-Luc Mélen­chon, can­di­dat de La France insoumise. Mer­cre­di, sur Twit­ter, il a fustigé un « coup tor­du » et s’est demandé : « À qui prof­ite ce mau­vais coup ? Devinez… », partageant la pho­to d’un podi­um où Emmanuel Macron (LREM) arrive sur la pre­mière marche, devant Anne Hidal­go (PS) et Yan­nick Jadot (EELV), mal­gré un score sim­i­laire. « On est en train de pren­dre con­tact avec toutes les équipes de cam­pagne », pré­cise encore Wallerand Moul­lé-Berteaux.