Chronique

«Elon Musk», biographie d’un sociopathe qui se rêve l’égal des dieux

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Le Musk et la plume. À l’heure où cet entre­pre­neur adulé con­cen­tre un pou­voir économique et cul­turel sans équiv­a­lent sur Terre, planète dont il se veut le sauveur à grands ren­forts de tech­nolo­gie, il est temps de lire la biogra­phie con­sacrée par le jour­nal­iste Wal­ter Isaac­son à Elon Musk.

Le jeune Elon grandit dans la vio­lence : celle d’un père insta­ble et bru­tal, et d’une société sud-africaine colo­niale où les hommes blancs appren­nent tôt la loi du plus fort. Entre deux bas­tons, il développe un appétit dévo­rant pour les jeux vidéos, qu’il apprend à pro­gram­mer tout jeune, seul à la mai­son. De quoi l’entraîner vers les États-Unis, où il étudie la physique, con­tin­ue de se repaître de romans de sci­ence-fic­tion et lance sa pre­mière boite avec son frère Kim­bal. Une fois Zip2 (sortes de Pages jaunes sur le web dis­posées sur une carte) reven­due au géant Com­paq, il empoche ses pre­miers 22 mil­lions de dol­lars à l’âge de 27 ans.

Pen­dant deux ans, l’ancien directeur de la rédac­tion du Time mag­a­zine, Wal­ter Isaac­son, a eu un accès priv­ilégié (et inédit) à Musk et son entourage. Son réc­it des­sine un esprit doué d’une puis­sance de cal­cul et d’un flair red­outa­bles, un tra­vailleur «hard­core» accro au risque, un requin en affaires, un ran­cu­nier mal­adif et un véri­ta­ble sociopathe. Son syn­drome d’Asperger lui sert d’excuse pour se com­porter «comme un con­nard».

Musk aligne, comme per­son­ne avant lui, toutes les tares néces­saires pour accom­plir l’impossible au mépris de tout ce (et tous ceux) qui se trou­ve en tra­vers de son chemin. De quoi met­tre à bas des monopoles, comme celui des géants de l’aéronautique sur le trans­port spa­tial ; redonner vie à la voiture élec­trique, tuée par les con­struc­teurs dom­i­nants d’alors ; désoss­er un réseau social, Twit­ter, dont il prend le con­trôle dans une bru­tal­ité féroce. Virant 75% des employé·es en quelques semaines, et faisant de cette plate­forme à la cul­ture pro­gres­siste un enfer, où les voix les plus tox­iques (et cli­matoscep­tiques) sont ampli­fiées comme jamais, au nom de la «lib­erté d’expression».

Doté d’un ego aux dimen­sions bibliques, il pré­tend sauver l’humanité d’une intel­li­gence arti­fi­cielle (IA) vouée à nous échap­per, dit-il, en dévelop­pant… sa pro­pre IA, entraînée par les mil­liards d’images cap­tées par ses Tes­la et les mil­lions de mes­sages échangés sur Twit­ter (devenu X). Mais aus­si en ouvrant la voie à la coloni­sa­tion de Mars, pour fuir une planète qu’il estime con­damnée.

Musk est un démi­urge aus­si destruc­teur de notre monde que de sa pro­pre per­son­ne. IA, robo­t­ique, tran­shu­man­isme, con­quête spa­tiale… Miroir affreux de notre époque, la biogra­phie d’Elon Musk est indis­pens­able pour com­pren­dre com­ment les géants de la tech nous con­duisent dans le mur à 200 km/h — en Tes­la.

Elon Musk, Wal­ter Isaac­son, Fayard, sep­tem­bre 2023, 672p., 28€