Le 11 octobre, un bus achemine les paysan·nes et volontaires issu·es de différents pays (France, Angleterre, Espagne, Irlande, États-Unis) vers les champs d’oliviers de la vallée de Qana, une réserve naturelle située au nord du territoire palestinien de Cisjordanie. Le véhicule s’arrête enfin au bout d’une route poussiéreuse et cabossée, à défaut de pouvoir emprunter la voie principale interdite aux Palestinien·nes. Et pour cause : celle-ci dessert les 15 colonies israéliennes qui surplombent les montagnes environnantes.
Tout au long du mois d’octobre, plus d’une centaine de volontaires en provenance d’Europe et des États-Unis ont participé à la campagne nationale de récolte des olives, à l’initiative d’organisations palestiniennes dont l’UAWC (Union des comités de travail agricole), une ONG agricole, et l’ISM (International Solidarity Movement). Un groupe, suivi par Vert, a récolté du 8 au 16 octobre dans la région de Naplouse, au nord de la Cisjordanie.
Quand les volontaires se répartissent en différentes équipes de récolte, Pablo, jeune paysan français membre du syndicat agricole Confédération paysanne, rejoint un vieil homme palestinien, Fayez, qui complète sa retraite de professeur d’anglais en vendant chaque année les 1 300 kilos d’huile qu’il tire de ses 400 oliviers. Si des colons l’ont déjà menacé sur ses terres avec des armes à feu, ils n’ont jamais réussi à l’empêcher de récolter. Alors qu’il sert cafés et thés avant de débuter le travail, il déclare compter davantage sur la présence des volontaires que sur l’armée israélienne pour le protéger de ces agressions, en précisant que «les colons et l’armée sont les deux faces d’une même pièce».

Au fil des heures, les sacs en toile se remplissent du précieux fruit, tandis que les conversations battent leur plein sur la situation de la Palestine. Fayez se dit optimiste au vu de «l’effondrement de la réputation d’Israël» sur la scène internationale.
Il garde en souvenir ce jour de 1978 où des soldats israéliens l’ont expulsé de sa maison avec toute sa famille, «pour des raisons de sécurité, leur éternel prétexte». Située à flanc de montagne, en face des champs d’oliviers, il ne reste de cette habitation que des ruines, tandis que des maisons de colons ont été installées à proximité. Pendant la récolte, le paysan raconte aux volontaires son engagement communiste, qui l’a forcé à l’exil pendant près de 10 ans. Lorsque Pablo se cogne la tête à une branche d’arbre, Fayez l’avertit : «Ne sois pas trop pressé, cette terre a besoin de patience.»
Au terme de la journée de récolte, le vieil homme désigne le plus grand arbre de son champ : «Cet olivier, c’est mon grand-père qui l’a planté il y a plus de 70 ans. Les plus petits ont été enraciné par mon père et moi. Les oliviers de Palestine ne meurent jamais.» Nommé Al Badawi et planté il y a 4 500 ans, le plus vieil olivier du monde se situe dans un village de Cisjordanie, près de Bethléem.
«L’agriculture est la première cible des impérialistes»
Un sentiment d’urgence a poussé Pablo à partir dans la région. «Je voulais voir la réalité de l’occupation coloniale de mes propres yeux», rembobine-t-il. Pauline, une jeune salariée agricole syndiquée à SUD Agri Béarn, évoque quant à elle son «sentiment d’impuissance» et son besoin de «s’impliquer physiquement dans le soutien au peuple palestinien».

Fanny Métrat, paysanne d’Ardèche et porte-parole de la Confédération paysanne, s’est elle-même rendue en Cisjordanie en décembre 2024, resserrant ses liens avec les agriculteur·ices du coin à travers le mouvement Via Campesina, qui réunit plus de 200 millions de paysan·nes dans le monde. «L’agriculture est la première cible des impérialistes, car l’autonomie alimentaire est vitale pour les populations», explique-t-elle.
Elle déplore «une année presque blanche en 2023 pour la récolte des olives en Cisjordanie, à cause du début de la guerre à Gaza». Enthousiasmée par l’engagement de paysan·nes et volontaires pour la saison 2025, elle rappelle que le cofondateur de la Confédération paysanne et ex-eurodéputé «José Bové s’était rendu en 2003 à Ramallah [en Cisjordanie, NDLR], alors assiégée, pour rencontrer Yasser Arafat [l’ancien président de l’Autorité palestinienne, NDLR] et dénoncer le blocus israélien, avant de se faire expulser du pays par l’armée».
Salwa, une activiste palestinienne impliquée dans la solidarité avec les paysan·nes, explique l’importance des oliveraies en Cisjordanie : «L’olive est le produit qui a le plus d’utilisations possibles en Palestine. Elle garantit notre subsistance et notre dignité.» Elle considère la venue de volontaires comme primordiale : «Leur présence maintient une pression contre l’occupation coloniale, même si elle dissuade de moins en moins les colons de commettre des violences, galvanisés par le ministre [d’extrême droite, NDLR] Bezalel Smotrich.»

Elle souligne l’aide précieuse qu’elles et ils apportent aux agriculteur·ices : «Comme les paysans ont un accès limité à leurs terres, la venue de volontaires permet de profiter au mieux du peu de temps imparti pour y travailler. Ils viennent souvent remplacer des jeunes qui cumulent plusieurs emplois et qui ne peuvent plus aider leurs parents durant les récoltes.»
Un autre militant palestinien, Tarek, renchérit : «L’année dernière, de nombreux champs n’ont pas été récoltés parce que les paysans avaient trop peur de s’y rendre. Cette année, l’objectif est de mettre le pied dans chaque zone de récolte, même si c’est pour se faire refouler par les colons et l’armée. Le plus important, c’est de tenir le terrain.»
À Aqraba, une ferme en agroécologie attaquée
Le 14 octobre, un groupe de six volontaires se rend au village d’Aqraba, dans la ferme en agroécologie Al Juna Farm. Son propriétaire, Hamza, mène la visite en montrant les fertilisants biologiques qu’il utilise, jusqu’à ce qu’un message automatique s’active depuis un haut-parleur, sommant aux intrus de partir. Sur la page Instagram de la ferme, il montre des photos du lieu grouillant d’enfants venu·es pour des activités pédagogiques. «Tout ça, c’est devenu trop dangereux», déclare-t-il avec amertume. «Il y a trois mois, une nouvelle colonie s’est installée près de mes terres. Lors d’une attaque, des colons ont assassiné un jeune homme et ont menacé de tuer quiconque irait au-delà de cette limite», continue-t-il en désignant une haie de pierres.

Depuis, les problèmes se sont accumulés : des colons lui ont volé trois réservoirs d’eau, et l’armée a sommé ses employés agricoles de démissionner. Désormais, il ne peut accéder qu’à 150 de ses 550 oliviers. La mairie d’Aqraba a envoyé une demande d’autorisation à l’armée pour qu’il puisse récolter les autres via le système israélien de «coordination», sans réponse pour l’instant, alors que la période de récolte est déjà bien entamée. Cette procédure officiellement mise en place par l’armée israélienne pour protéger les Palestinien·nes des colons sert en réalité à restreindre l’accès à leurs terres.

Le travail commence avec les volontaires, qui sont rejoint·es au cours de la matinée par un ambulancier et une infirmière, ami·es de Hamza. La récolte s’accomplit dans la bonne humeur, en scrutant la montagne d’en face, que des colons sillonnent au loin avec leurs quads. Au fil des discussions, Pablo et Hamza réalisent qu’ils se sont déjà rencontrés en France le mois précédent, sur un stand de falafels de la Fête de L’Humanité. Réjoui de cette coïncidence, Hamza emmène le groupe en fin de journée visiter le pressoir d’olives du village. Sur le retour, Pablo déclare se «faire un devoir de documenter cet apartheid, et de témoigner de ce que j’ai vu en rentrant chez moi».
32 volontaires arrêtés et expulsés
Si cette journée se déroule sans encombre, la présence de l’armée et des colons vient troubler d’autres sessions de travail. Pauline décrit «un ascenseur émotionnel entre les instants de joie à récolter auprès des familles palestiniennes et les moments de mise en danger. On pouvait passer de l’un à l’autre en quelques secondes.»

Les 9 et 16 octobre, des volontaires et paysan·nes palestinien·nes se rendent à Huwara pour récolter les oliviers situés près d’un avant-poste colonial installé depuis mars 2024. Accaparées par les colons, ces terres sont devenues inaccessibles aux Palestinien·nes. Le même schéma se répète les deux jours : dès l’arrivée des récolteur·ses, des colons font des rondes à pied et en quad. Puis, des soldats israéliens rappliquent avec plusieurs véhicules blindés.
Les négociations avec l’armée aboutissent à chaque fois au départ précipité des paysan·nes et volontaires. Le 9 octobre, une scène choque ces dernier·es : deux colons tabassent deux Palestiniens qui récoltaient des oliviers, éloignés du reste du groupe. Maintenu à genoux, l’un des récolteurs tente de se relever avant d’être rejeté à terre par un colon. Au bout d’une dizaine de minutes, l’armée rejoint le lieu de l’agression et les colons finissent par repartir. À propos de ces violences quotidiennes, Tarek refuse de désespérer : «Nous sommes prêts à mourir pour notre terre, ce qui n’est pas le cas des colons. C’est ce qui leur fait peur, même si nous ne sommes pas armés comme eux.»

Dans la journée du 16 octobre, la répression cible directement les volontaires. Au village de Burin, certains champs sont subitement déclarés zone militaire – ce n’était pas le cas 48h auparavant. En s’appuyant sur cette disposition juridique, la police israélienne arrête 32 volontaires – y compris l’auteur de ces lignes – au cours d’une récolte, avant de les expulser du territoire au bout de cinq jours de détention.
Selon le paysan Nabil, qui a lui aussi été placé en détention, ces décisions relèvent de l’arbitraire : «Si je récoltais des olives cinq kilomètres plus loin, ils pourraient revenir avec une nouvelle carte prolongeant la zone militaire.» Les volontaires expulsé·es ne devraient pas revenir de sitôt : les autorités israéliennes déclarent les avoir interdit·es de séjour pendant 99 ans.
À lire aussi
- 							
À Gaza, l’écocide s’ajoute au génocide : «Cultiver, c’est aussi un symbole de notre résilience»
Ces dernières décennies, les Gazaoui·es ont développé un solide réseau pour assurer un semblant de souveraineté alimentaire et parvenir à se nourrir pendant le siège imposé par Israël. Mais à force d’attaques à répétition sur Gaza, l’armée israélienne provoque un écocide qui conduit à la famine de la population. - 							
Destruction de l’environnement et du patrimoine à Gaza : «un futuricide», selon la chercheuse Stéphanie Latte Abdallah
Historienne et anthropologue, directrice de recherche au CNRS, Stéphanie Latte Abdallah est spécialiste du Moyen-Orient. Elle explique à Vert pourquoi l’écologie palestienne, qu’elle qualifie d’«existentielle», est une forme de résistance à la destruction d’une terre et du peuple qui y vit.