Les Jeux sont tout verts ? Ce vendredi, Pékin a inauguré en grandes pompes ses jeux olympiques d’hiver. Hélas, contrairement à l’édition estivale de 2008, l’ambiance n’est plus à la fête. Outre les critiques sur la gestion sanitaire de la pandémie et les agissements du régime de Xi Jinping, ces Jeux sont déjà considérés comme les moins écologiques de tous. Dans les régions qui entourent la capitale, il neige si peu; à tel point que l’ensemble de la compétition se déroulera sur de la neige artificielle faite de quelque 185 millions de litres d’eau.
Pour le parti communiste chinois (PCC), cet événement reste pourtant une occasion de communiquer sur la supériorité de son système politique, tout autant qu’une façon de s’adresser à sa population — en témoigne l’affiche des JO où la mascotte Shuey Rhon Rhon s’élance dans un ciel blanc sur lequel est inscrit le slogan « ensemble pour un futur partagé ». S’il est difficile de ne pas voir ici une référence aux nombreux épisodes de pollution de l’air que connaît le pays, c’est surtout une occasion parfaite pour se pencher sur la manière dont la Chine s’est donnée pour ambition de relever le défi écologique mondial.
Un éveil au vert
Nathalie Bastinallli se souvient parfaitement de son installation en Chine : cadre dirigeante pour un groupe de communication international, elle travaille dans le marketing sportif. Nous sommes en 2005, trois ans avant les JO de 2008, et c’est dans ce pays où elle débarque avec mari et enfants qu’elle prend conscience des problèmes liés à la pollution. Les vagues de brouillard toxique se succèdent sans trêve, les tempêtes de sable arrivées tout droit du désert de Gobi recouvrent régulièrement les rues de la capitale, les avions ne peuvent plus circuler, et les maladies respiratoires montent en flèche. « A l’époque le premier réflexe matinal n’est pas de regarder la météo mais l’indice de la qualité de l’air », se souvient celle qui reste malgré tout, encouragée par les « primes de pollutions » que les multinationales proposent alors à leurs cadres expatriés pour plusieurs années.
De retour en France, en 2011, elle prend le temps d’approfondir sa compréhension des enjeux écologiques avant de retourner en Chine, en 2015, pour lancer la première édition d’un événement (We Belong To Change) destiné à promouvoir les innovations durables auprès des consommateur·rices chinois·es : « je suis convaincue qu’on ne peut résoudre la question environnementale que si la Chine et les Chinois s’impliquent et si le reste du monde collabore avec elle » explique-t-elle, « je veux agir au cœur du réacteur dans cet empire où tout est question d’échelle ». Aussi la pandémie lui donne-t-elle l’occasion de prendre du recul et de partager par écrit son vécu d’une réalité de terrain trop souvent occultée par les batailles idéologiques et stratégiques entre la Chine et l’Occident.
Les étapes d’un revirement
Dans Quand la Chine s’éveille verte… (publié aux éditions de l’Aube fin 2021), l’entrepreneuse revient sur l’histoire d’un revirement. Plusieurs événements expliquent pourquoi la deuxième économie mondiale, qui devient le pays le plus pollueur au monde en 2007, engage une révolution verte à marche forcée. Il y a tout d’abord l’airpocalypse : en janvier 2013, un nuage intense en particules fines (993 microgrammes par mètre cube — un seuil 40 fois supérieur à celui estimé à risque pour la santé par l’OMS) enveloppe la ville pendant près de trois semaines. On ne voit pas à un mètre, tout est à l’arrêt, la vie se fige, les patients souffrant d’affections respiratoires affluent dans des hôpitaux surchargés. « C’est un électrochoc pour les dirigeants du pays qui ne peuvent plus nier les ravages environnementaux ni les risques pour la santé publique », analyse l’auteure pour qui cet épisode sonne le glas de la politique de croissance à tout prix. Dépassé par cette pollution étouffante, mis au pied du mur par le désespoir et la colère de son peuple (on dénombre alors 500 manifestations par jour), le PCC doit s’engager dans une guerre contre la pollution.
Dès 2014, le gouvernement marque la fin de son déni environnemental en publiant des informations sur la pollution de l’eau et des terres : 80% des eaux souterraines peu profondes sont polluées, 40% des rivières chinoises le sont gravement et 20% le sont à un niveau trop toxique pour permettre le moindre contact. Le pouvoir reconnaît aussi l’existence de « 450 villages du cancer » et fait le point sur l’état de ses sols : dans ce pays qui utilise le plus de produits chimiques au monde, 16% des terres et 19% des surfaces agricoles sont polluées. On retrouve des polluants toxiques (cadmium, mercure, arsenic, chrome, plomb) dans 82,8% des échantillons prélevés. La pollution de l’air a des effets sur la photosynthèse et sur la pollinisation, qui doit donc être effectuée à la main !
En 2015, le film Under the Dome de Chai Jing ajoute à la brutalité de cette prise de conscience : en dénonçant l’épais brouillard toxique qui embrume les villes du pays, la journaliste dénonce les entreprises polluantes et le lobby chinois de l’énergie. Comme le rappelle sur France Culture Jean-Paul Maréchal, maître de conférence en Sciences économiques à l’Université Paris Saclay et directeur de l’ouvrage La Chine face au mur de l’environnement (CNRS éditions), on compte alors 1,6 million de morts par an à cause de la pollution. En 2021, une étude de la revue Environmental Research estime à 3,9 millions le nombre annuel de morts prématurées liées aux particules fines produites par les énergies fossiles.
Les ambitions affichées pour faire changer le cap
Afin d’imposer son revirement, la Chine commence par renforcer son dispositif législatif pour obliger les entreprises polluantes et les grands groupes publics à publier leurs émissions de CO2 et leurs rejets dans les rivières. Les pollutions sont désormais passibles de sanctions de prison, et même de peines capitales. Si des amendes records ont déjà été infligées, marquant ainsi l’entrée du pays dans l’ère des pollueurs-payeurs, les bureaux locaux de protection de l’environnement ne transfèrent pas toute l’information et les entreprises sont encore loin de respecter les normes environnementales.
Les centrales électriques (qui fonctionnent majoritairement au charbon et représentent 30% des émissions du pays) et les industries polluantes (ciment, acier, aluminium, chimie et pétrochimie) sont soumises au marché carbone et doivent payer des « droits à polluer » depuis juillet 2021. Mais les amendes prévues pour les entreprises qui dépassent les quotas sont encore trop basses pour être dissuasives en raison des pressions du lobby du charbon pour que le prix de la tonne de CO2 reste au plus bas.
Conscient des failles dans l’application locale de sa volonté écologique, le président Xi Jinping donne naissance au CEIT (Central environment inspection team) en 2015 : face à un ministère de l’écologie qui rechigne à faire appliquer les lois, cette structure marque un vrai changement. « Les enquêtes de terrain du CEIT peuvent se produire aussi bien de jour que de nuit et les fonctionnaires locaux n’en sont plus informés à l’avance. Qui plus est, dans les provinces les cadres dirigeants du parti qui n’atteignent pas leurs objectifs environnementaux sont désormais sanctionnés », souligne Nathalie Bastianelli. « Des lignes de téléphone sont mises à disposition du public pour qu’il puisse facilement dénoncer des cas de pollution ou de non-respect de la législation et apporter des preuves qui sont alors rendues publiques ».
De surcroît, les ONG environnementales ne sont plus muselées comme auparavant. Elles bénéficient d’une marge de manoeuvre plus large que celles qui s’occupent des questions sociales ou sociétales, et sont officiellement au nombre de 4 000. Parmi les plus connues : Friends of nature, Better blue, China retail sustainable consumption platform, CYCAN, IPE, Riverwatcher. « Une révision de la loi sur la protection de l’environnement entrée en vigueur début 2015 leur permet désormais d’intenter des procès d’intérêt public contre des entreprises et des organismes pollueurs, alors qu’elles ne pouvaient auparavant que demander des dommages et intérêts pour des préjudices personnels. » Même si les litiges restent coûteux et compliqués à mener, les ONG ont plus une grande liberté d’action. D’autant que le mieux, d’après les militant·es, n’est pas tant de manifester que de collaborer avec le gouvernement.
Un géant des renouvelables, du nucléaire… et du charbon
Autre élément-clef : le concept de « civilisation écologique », inscrit dans la constitution en 2018. Son objectif : créer l’harmonie entre les humains et la nature et réaffirmer l’objectif de neutralité carbone pour 2060. En fixant la part des énergies non fossiles à 20% de son mix énergétique d’ici 2025, cette stratégie hisse le pays au rang de premier investisseur mondial dans les énergies bas-carbone (100 milliards de dollars par an). Aujourd’hui, la Chine est le plus gros producteur mondial d’énergie solaire (32% du parc mondial, mais seulement 2,5% de la production totale d’électricité du pays), d’énergie éolienne (40% du total mondial, 5,4% de la production du pays) et hydraulique (27,2% du total mondial, avec des barrages dont les dégâts environnementaux sont massifs). Elle a placé le nucléaire au cœur du programme de transition énergétique. Actuellement au 3ème rang mondial, avec 5% de la production totale du pays, elle souhaite doubler sa capacité d’ici 2035. Mais 58% de son électricité vient encore du charbon.
Pour améliorer son bilan carbone, lutter contre la désertification et le manque d’eau, la Chine a aussi prévu de reforester 25% du territoire national d’ici 2025. Le « dragon jaune » avale 3 000 km² de terres cultivables chaque année, menace 27% du territoire et a déjà provoqué le déplacement de 400 millions de personnes. Pour lutter contre le désert de Gobi, une large muraille verte de 4 800 km de long et 1 500 km de large est en cours de plantation dans le nord du pays. En cinq ans, elle a replanté l’équivalent de la surface de la Finlande (338 000 km²) et possède la plus grande forêt artificielle du monde avec plus de 65 milliards d’arbres. Hélas, la rapidité de ces plantations, effectuées en monocultures, nuit aux sols et à la biodiversité. Pour l’heure, la stratégie ne fonctionne pas partout et le nord de la Chine a encore essuyé une énorme tempête de sable en mars 2021. Comme le souligne encore à juste titre Jean-Paul Maréchal sur France Culture, « la Chine fait ainsi feu de tout bois » : malgré des plans quinquennaux volontaristes, accompagnés d’engagements croissants à l’échelle internationale, la Chine a mis de nouvelles centrales à charbon en 2020, pour un total de 38,4 gigawatts de nouvelles capacités. Soit plus du triple de ce que l’ensemble des autres pays ont développé.
Des contradictions majeures
Pour Nathalie Bastianelli, le cap ambitieux annoncé par le gouvernement s’accompagne d’initiatives portées par de nombreux entrepreneurs engagés. Aujourd’hui, « la Chine ne veut plus être l’usine du monde mais le laboratoire du monde », explique-t-elle. Le pays souhaite passer d’une économie industrielle à une économie de l’innovation et de la technologie. Dans cette quête, il s’inspire des innovations occidentales pour alimenter ses propres innovations technologiques, de l’habitat aux modes de transport, en passant par la protection de l’air, de l’eau, le zéro déchet ou la mode recyclée. Alors que le pays ne disposait pas de TGV en 2008, son réseau ferroviaire à grande vitesse représente deux tiers des réseaux de TGV au monde. Des entreprises comme Soho ou Broad exportent partout dans le monde leurs innovations en termes d’immobilier et de climatisation. Le marché de la voiture électrique n’est pas dominé par Tesla (qui pourtant y écoule un quart de sa production) et d’immenses cités vertes et bas carbone — telles Shenzhen, font figure de modèle pour le reste du monde.
Si chaque innovation est l’occasion de se positionner sur un marché international, de maîtriser sa dépendance aux importations et de limiter la pollution dans les centres urbains, les effets de changement de cap ne se font pas encore sentir. La Chine reste le plus gros émetteur de CO2 (28 % des émissions mondiales). En cause, « les contradictions du gouvernement chinois qui veut vraiment développer une croissance plus qualitative pour l’environnement, et en même temps maintenir des objectifs de croissance élevés », estime Nathalie Bastianelli.
Passion surconsommation
Alors que la consommation ne représente que 40% du produit national brut chinois (contre 65% en France et 70% aux Etats-Unis), le gouvernement fait tout pour stimuler cette frénésie consommatrice. En 40 ans, le PIB par tête a été multiplié par 16 et un événement comme le Black Friday y est désormais très attendu. Le 11 novembre 2019, les Chinois·es ont dépensé pas moins d’un milliard de dollars en 78 secondes ! Une évolution qui n’est pas sans conséquence, d’autant que les habitudes alimentaires ont aussi énormément changé : avec 1,4 milliard d’habitant·es, la Chine est désormais au premier rang des carnivores, ce qui a des conséquences sur ses approvisionnements internationaux et génère de nombreux scandales sanitaires. Si le gouvernement fait la promotion du végétarisme depuis 2016, la tendance ne s’inverse pas encore.
A ce nouvel opium du peuple qu’est la consommation, il faut ajouter une autre préoccupation. Comme l’a détaillé Le 1 Hebdo cette semaine, l’ultra-numérisation des échanges et des transactions est telle que l’innovation verte s’accompagne d’une innovation beaucoup plus sombre. Digne d’Orwell ou des meilleurs épisodes de Black Mirror, le développement de l’intelligence artificielle s’est alliée à la stratégie « zéro Covid », au point qu’il est impossible de se déplacer ou de faire un quelconque achat sans passer par les applications des géants chinois Wechat ou Alibaba. Si cet essor du numérique a incontestablement des effets en termes de pollution numérique, ce n’est pas tout : les Chinois·es disposent d’un crédit social dont le montant dépend de leurs agissements — y compris en matière de comportements écoresponsables.
Difficile, enfin, de ne pas souligner les contradictions dans les objectifs affichés à travers les « nouvelles routes de la soie ». Cette stratégie développée depuis 2013 consiste à ériger un ensemble tentaculaire d’infrastructures portuaires, ferroviaires et terrestres permettant à l’empire du milieu de s’approvisionner en matières premières et d’exporter massivement ses produits. Pour les nombreux pays concernés par ces investissements, cette ceinture économique est un piège qui a « encouragé la dépendance aux combustibles fossiles dans les pays en développement et l’investissement dans des projets d’infrastructures nuisibles à l’environnement », d’après un rapport du Groupe d’études géopolitiques. On lui reproche aussi d’être une source d’endettements et de dégâts environnementaux majeurs.
Si Xi Jinping s’est engagé, fin 2021, à ne plus financer de centrales à charbon à l’étranger, sa vision d’une croissance de « haute qualité », avec l’environnement comme nouvel enjeu de suprématie nationale et internationale, a de quoi laisser songeur.