Tribune

Philippe Grandcolas : «Crise écologique, et si on sonnait la fin de la récré ?»

Alors que les enquêtes soulignent régulièrement les préoccupations des Français·es pour les crises du climat et de la biodiversité, une réelle prise en compte de ces enjeux tarde toujours du côté politique. «Jusqu’à quand ?», s’interroge l’écologue Philippe Grandcolas.
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Les joutes poli­tiques des derniers mois, en par­ti­c­uli­er dans le con­texte des élec­tions européennes du 9 juin, ne lais­sent guère de place pos­i­tive aux sujets qui trait­ent de l’environnement. Dans ce domaine, on assiste à des reculs en tous gen­res : depuis la sus­pen­sion du plan Éco­phy­to, qui entend lut­ter con­tre l’usage mas­sif des pes­ti­cides, les faveurs accordées aux NGT (ces nou­veaux «qua­si-OGM»), en pas­sant par la tolérance affichée vis-à-vis de la destruc­tion d’espèces pro­tégées… mais non-inten­tion­nelle (oups !).

Bien sûr, rien de tout cela ne pour­ra aider les petits agricul­teurs vertueux, étran­glés par les cir­cuits de dis­tri­b­u­tion ou la con­cur­rence déloyale ; ou encore ceux et celles qui s’essaient à l’agroécologie ou au bio. Rien donc qui pour­rait réelle­ment per­me­t­tre de nour­rir les Français·es, et de les garder en bonne san­té, de con­cert avec une bonne ges­tion de l’environnement.

Les Français·es se soucient pour­tant très sincère­ment des ques­tions envi­ron­nemen­tales ; sans oubli­er tous ces sci­en­tifiques, éco­logues, agronomes ou médecins qui pren­nent la parole publique­ment pour dire leur extrême inquié­tude quant à la dégra­da­tion des écosys­tèmes naturels. Pen­dant ce temps, une par­tie notable de la classe poli­tique s’obstine à rétropé­daler.

52% des électeur·ices européen·nes pensent que l’action cli­ma­tique est une pri­or­ité, selon une enquête con­duite dans 18 pays de l’Union. © Markus Spiske/Unsplash

Un peu comme si les ten­ants des par­tis dom­i­nants (d’après les sondages !) pen­saient échap­per à ces ques­tions cru­ciales, et à la réal­ité, en pra­ti­quant une sorte de pen­sée mag­ique tech­nocra­tique. Ou en cul­ti­vant l’ignorance.

En somme, la préoc­cu­pa­tion envi­ron­nemen­tale est prise en tenaille entre le pre­mier de la classe et le can­cre. Le pre­mier de la classe cul­tive la pen­sée mag­ique, pen­sant résoudre les crises du cli­mat et de la bio­di­ver­sité grâce à la cap­ta­tion du car­bone, l’avion à l’hydrogène ou les plantes géné­tique­ment mod­i­fiées. Cela séduit ceux et celles qui aiment leurs pro­pres modes de vie à forte empreinte et ont foi dans la tech­nolo­gie pour trou­ver les solu­tions aux prob­lèmes qu’ils et elles ont eux-mêmes créés. Tous ceux et toutes celles qui ont une con­fi­ance aveu­gle (c’est bien le mot) dans la tech­nolo­gie et l’érigent en totem social ou de pou­voir.

Le can­cre, quant à lui, est ver­sa­tile dans l’ignorance, mais il prend sys­té­ma­tique­ment le con­tre-pied de la sci­ence, surtout quand elle est con­trari­ante, et pré­tend défendre tout ce qui est local. Il oublie la réciproc­ité des échanges et que les fron­tières n’arrêtent ni le gaz car­bonique ni le loup. Ce faisant, il amuse la galerie et se fait plein de «potes».

Pour ma part, j’ai l’impression d’être revenu au col­lège, avec des forts en thème, bien peu réal­istes et entichés de leur posi­tion dom­i­nante ; et des can­cres, dont la pop­u­lar­ité éphémère cache une igno­rance et une incon­séquence crass­es.

Que faire, au final ? Atten­dre la fin de l’année sco­laire et se dire que l’on tombera dans une classe plus sym­pa l’année prochaine ? Ou espér­er la rixe qui con­duira à l’exclusion du pre­mier et du can­cre ?

En matière de crises du cli­mat et de la bio­di­ver­sité, dif­fi­cile d’attendre l’année prochaine ou la chute prov­i­den­tielle des mau­vais ten­ants, au regard de l’extrême urgence de la sit­u­a­tion.

On en viendrait à espér­er stu­pide­ment la sur­v­enue d’un aléa majeur, comme la pandémie de Covid qui a momen­tané­ment figé la sit­u­a­tion et lais­sé briève­ment entrevoir un monde nou­veau. Ce serait trag­ique­ment oubli­er qu’elle a causé des mil­lions de morts. Et c’est bien ce qui se passe désor­mais : entre pics de chaleur, feux, inon­da­tions, mal­adies émer­gentes et pro­duc­tion ali­men­taire défail­lante.

Réveil­lons-nous et n’attendons pas la son­ner­ie de la fin de la classe pour restau­r­er une vraie prise en compte de ce qui gou­verne tous les aspects de nos vies : le cli­mat et la bio­di­ver­sité !

Par Philippe Grand­co­las, éco­logue et directeur de recherche au CNRS.