Il avait enfilé son plus beau costume, celui des grandes occasions. Maraîcher en Savoie et militant de la Confédération paysanne, Thierry B. s’est présenté à la barre du tribunal correctionnel de Paris, mardi après-midi. Les traits tirés et la voix hésitante, il a raconté la «peur» et le «stress» qui l’ont saisi en cette froide journée du 5 décembre 2024, lors de l’apparition en manifestation de la Brav-M – la très décriée Brigade de la répression de l’action violente motorisée, dont certains membres ont été condamnés pour des faits de violences.
Ce jour-là, son syndicat agricole organisait une action (sans déclaration préalable en préfecture) qui se voulait pacifique, devant le Grand Palais à Paris, pour l’inauguration de la 64ème Bourse de commerce européenne, un grand raout du marché des céréales. En pleine crise agricole, une centaine de manifestant·es s’étaient rassemblé·es à l’extérieur pour dénoncer la spéculation sur les produits agricoles – certain·es s’étaient même introduit·es à l’intérieur pour perturber l’événement.
Chemises déchirées, coup de tête et doigt croqué
«C’était une manifestation hautement symbolique et médiatique, mais nous avons été très violemment réprimés», dénonçait en février auprès de Vert Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne au moment des faits. Alors que la manifestation touchait à sa fin, plusieurs agent·es de la Brav-M sont intervenu·es et ont encerclé les personnes présentes : «Nous nous sommes soudainement retrouvés nassés sans sommation, se souvient l’éleveuse arriégoise, auditionnée comme témoin lors du procès. J’ai vu des nez cassés, des vestes déchiquetées, des lunettes écrasées au sol, du sang couler.»
«Le but, aujourd’hui, n’est pas de faire le procès de la police, nous jugeons des personnes qui ont commis des faits de violence sur des agents de maintien de l’ordre», a rappelé l’accusation. Interpellés sur le moment avec trois autres camarades, Thierry B. et une autre manifestante (qui souhaite rester anonyme) ont été renvoyé·es en procès ce 14 octobre pour des faits de «violence» et de «rébellion» contre des fonctionnaires de police.
L’autre prévenue – cultivatrice de fruits en reconversion – est notamment accusée d’avoir résisté à son interpellation en ayant étranglé un policier. Voix grave et tremblante, l’agricultrice raconte avoir été prise d’une «crise d’angoisse» lors de la nasse policière, puis avoir «perdu connaissance» après un violent choc au sol lorsqu’elle a été extraite de la foule. «Je n’ai eu aucune intention d’étrangler qui que soit, a-t-elle répété devant les juges. J’ai 58 ans, je ne sais même pas ce que que je pourrais faire face à quelqu’un des forces de l’ordre, surentrainé et suréquipé.»
Quant à Thierry B., il lui est notamment reproché – photos à l’appui – d’avoir mordu à la main droite un agent de la Brav-M. «Heureusement que j’avais un gant de protection, sinon je pense qu’il m’aurait arraché le pouce», déplore à la barre le policier à l’origine de la plainte. Carrure imposante, ce dernier raconte aussi la cohue, les interpellations dans la foule et réfute avoir étouffé le prévenu en posant sa main sur son visage.
Fait «suffisamment rare pour être souligné», selon la présidente du tribunal, l’accusé à de lui-même reconnu cette morsure et a présenté ses «excuses sincères» à la barre : «Quand on tente de m’extraire de la foule en mettant la main sur mon visage, je perds mon sang-froid et je mords son pouce, c’était comme un instinct de survie», s’est-il défendu. Il réfute les autres accusations de «rébellion» et «dégradations», affirmant avoir lui-même été violenté lors de son interpellation.
Quelle violence est légitime ?
«Toute cette affaire est traitée de manière antéchronologique, a argué son avocate, maître Cléa Paschos. On pose la question de la violence des manifestants avant de poser celle des policiers.» Elle a notamment rappelé que le Conseil d’État avait demandé la suppression de la «technique des nasses» en 2021, conduisant à une mise à jour du schéma national du maintien de l’ordre par le ministère de l’intérieur. Il stipule désormais que ces encerclements de manifestant·es doivent «systématiquement ménager un point de sortie contrôlé pour ces personnes» – condition non remplie, selon la défense.
«Je ne doute guère que monsieur B. ait été victime de gestes violents, de même que je ne remets pas en cause la noblesse de la cause qui l’a mené à manifester, mais cela n’autorise pas les violences envers ceux chargés de la gestion de cet événement», a expliqué la procureure de la République. Rappelant que la question du jour n’était pas celle de la «légitimité» de la violence du maintien de l’ordre, elle a requis 90 jours d’amendes à cinq euros (soit 450 euros au total) pour Thierry B., et un stage de citoyenneté pour l’autre agricultrice.
Le tribunal a finalement été plus sévère, appliquant la peine d’amende de 450 euros aux deux prévenu·es pour «rébellion» et «violences sur personne dépositaire de l’autorité publique» (Thierry B. a finalement été relaxé du chef de «dégradation»). Les deux paysan·nes devront aussi indemniser les préjudices subis par les différents policiers, estimés à plusieurs centaines d’euros. Elle et il n’ont pour l’instant pas fait appel, indique à Vert leur défense.
De son côté, la Confédération paysanne n’a cessé de dénoncer les «violences» des forces de l’ordre et le «deux poids, deux mesures» appliqué aux autres syndicats agricoles, comme la FNSEA ou la Coordination rurale. Ces deux organisations ont par le passé dégradé plusieurs permanences parlementaires, avec «avec zéro empêchement, zéro répression» de la police, selon Laurence Marandola. En parallèle du procès, la Confédération paysanne a organisé mardi à Paris une grande manifestation de soutien à ses militant·es et de dénonciation des accords de libre-échange (notre article).
Le syndicat a aussi saisi la défenseure des droits et a déposé une dizaine de signalements à l’Inspection générale de la police nationale (l’IGPN, la «police des polices») concernant la nasse du 5 décembre 2024. Thierry B. a quant à lui annoncé au tribunal avoir retiré sa «plainte» contre le policier : «Je me suis dit que ce n’était pas à l’individu que j’en voulais, mais à l’ensemble de la chaîne de commandement.»
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