Nous faisons face aux effets terrifiants de la pollution dans toutes ses formes cancéreuses. » Prononcés à Strasbourg un jour de février 1970 lors d’une conférence internationale sur la pollution, ces mots sont ceux du jeune prince de Galles. Charles a 22 ans, et c’est le premier d’une très longue série de discours vibrants sur l’écologie qu’il prononcera jusqu’à son accession au trône, 52 ans plus tard.
Véritable précurseur en son royaume dans ses combats pour la préservation du vivant, il prend – tôt – position pour la sauvegarde des haies, contre l’usage des pesticides, ou la culture des organismes génétiquement modifiés (OGM). Il fait de sa résidence de Highgrove, dans le Gloucestershire (ouest de l’Angleterre), un havre de biodiversité en même temps qu’un laboratoire de l’agriculture régénératrice et sans intrants. Il y jardine, se lie avec le monde naturel – ne rechignant pas à serrer « une poignée de main amicale » aux branches des arbres – et développe une marque de produits bio, Duchy originals.
Un influenceur avant l’heure…
Au milieu des années 1980, sortant de son rôle de monarque, il s’étonne publiquement de ce que le Royaume-Uni continue de rejeter des eaux usées en Mer du Nord ; une pique indirectement adressée au gouvernement, dont le secrétaire à l’environnement d’alors est « furieux », rapporte le Guardian. Malgré sa neutralité statutaire, le prince adresse régulièrement des notes manuscrites aux ministres (les fameux black spider memos) sur l’écologie comme sur d’autres sujets.
Il n’aura de cesse de porter un discours avant-gardiste dans tous les cénacles, jusqu’au forum économique mondial de Davos où, en 2020, il se fait l’allié de la Suédoise Greta Thunberg, et présente un plan pour agir contre la crise climatique. Il y propose notamment de mettre fin aux « subventions perverses qui empêchent l’économie de devenir plus durable » ou d’utiliser les taxes, les politiques publiques et la législation pour verdir le business.
… qui vole au secours du climat en jet privé
Hélas, pour se rendre à Davos comme à la COP26 de Glasgow (Écosse), où il prononcera une autre poignante adresse aux dirigeant·es quelques mois plus tard, le prince Charles privilégie volontiers le jet privé, mode de transport le plus polluant qui soit (Vert). Vendredi 9 janvier, premier jour de son règne, c’est à bord d’un jet Embraer 600 que le nouveau roi a rallié Londres depuis Aberdeen (Écosse).
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En 2021, Charles a pris plus de 20 vols privés à l’intérieur du Royaume-Uni pour « éviter de rester coincé dans les bouchons » (The Telegraph). Entre 2013 et 2021, année de la COP26, la famille royale a dépensé au moins 13,5 millions de livres (15,42M€) en vols à bord de divers appareils, dont des hélicoptères, a révélé une enquête de The Independent. On trouve par exemple une facture de 200 000€ pour les vols affrétés afin de permettre la visite officielle du prince Charles en Arabie Saoudite, au Qatar, à Abou Dabi et au Bahreïn en 2014.
Depuis 2007, le prince publie chaque année son bilan carbone. De quoi révéler qu’en 2018, par exemple, son foyer émettait plus de 3 271 tonnes de CO2, l’équivalent des émissions annuelles de 330 Français·es. La flotte de la famille royale est dotée de trois hélicoptères, de deux Airbus, un A330 et un A321neo, ainsi que d’un jet Dassault Falcon 900LX.
« Celui ou celle qui veut être vue comme un modèle en matière d’environnement devrait regarder de plus près son usage du jet privé », a raillé Doug Parr, scientifique en chef de Greenpeace UK. En novembre 2021, si Charles a consenti à s’envoler pour la COP26 sur le climat à bord d’un jet, jure-t-on, c’est après s’être assuré que celui-ci serait alimenté avec du « carburant durable d’aviation ». Des carburants issus de végétaux, qui n’ont, en réalité rien de « durable ».
L’innovation et le business vert plutôt que la décroissance
Le carburant « durable » des avions, c’est d’ailleurs le sujet de l’une des premières vidéos de la chaîne Re: TV, lancée par le prince Charles en septembre 2021 en partenariat avec Amazon Prime ; le géant mondial de l’e-commerce, connu pour son lourd impact environnemental et son greenwashing éhonté. Au milieu de reportages sur le réensauvagement de la nature, d’autres vidéos proposent d’innover pour créer des plastiques biodégradables ou aspirer les particules polluantes issues des pneus des voitures. Pro-business et pas décroissant pour un sou, à Davos, le prince de Galles a milité pour « investir dans la nature » et protéger le « capital naturel ». A Glasgow, il signe le livre d’or d’une compagnie spécialisée dans la capture et séquestration des échappements de CO2 de l’industrie.
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Plus question de parler de politique
Devenu roi, la parole de Charles sera verrouillée sur l’écologie comme sur les autres sujets ; mais le moindre de ses gestes aura des conséquences potentiellement immenses, alors qu’il s’apprête à régner sur les quelque 2,4 milliards de sujets du Commonwealth. Les politiques en matière d’agriculture, d’énergie ou de transports qui seront appliquées sur les innombrables résidences et terres de la couronne britannique – parmi les plus grands propriétaires fonciers du Royaume-Uni -, auront aussi des conséquences sur le climat et le vivant.
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