À Noisy-le-Grand, un nouveau centre pénitentiaire a proposé à ses détenus de s’adonner à une Fresque du climat pour les sensibiliser au réchauffement climatique… et pourquoi pas leur offrir de nouveaux horizons après leur sortie. Vert y a assisté.
Sous la chaleur battante du mois de juillet, la nouvelle Structure d’accompagnement vers la sortie (SAS) de Seine-Saint-Denis se dresse au beau milieu d’une zone industrielle de Noisy-le-Grand. Cet établissement, qui accueille des personnes condamnées et dont le résidu de peine (ou la peine complète) est inférieur à deux ans, a ouvert ses portes début juillet. Ces centres ont pour objectif de faciliter la réinsertion des personnes après leur remise en liberté grâce à des bilans de compétences, des formations ou encore des ateliers de gestion des émotions.
Dans les couloirs du bâtiment flambant neuf, des feuilles A4 placardées présentent diverses activités proposées aux détenus : football ou basketball, stage de code de la route… et un atelier de la Fresque du climat, organisé le jeudi 18 juillet. «Parce que le dérèglement climatique nous concerne TOUS, nous devons nous mobiliser», annonce l’affiche, qui appelle les volontaires à venir suivre ce jeu pédagogique sur le climat (notre article).
Parmi la quarantaine de personnes détenues à la SAS, une grosse vingtaine a répondu à l’appel. Pour l’occasion, cinq «fresqueur·ses» se sont proposé·es pour animer les ateliers. «Qui sait qu’il existe un changement climatique ?», demande d’emblée Frédéric Giuli, qui a piloté l’organisation de cette Fresque. Quelques timides mains se lèvent. Un condamné lance : «On en a déjà entendu parler, mais ça ne nous intéresse pas».
Des participants curieux et investis
À peine l’atelier débuté, les animateur·rices sont pourtant bluffé·es par l’intérêt des personnes détenues. Estelle Jankowki réalise sa première intervention en milieu carcéral ; elle est agréablement surprise de se retrouver face à des participants «aussi motivés et canalisés». Autour des différentes tables, où les groupes doivent placer des cartes dans le bon ordre pour refaire le fil de la crise climatique, de ses causes jusqu’à ses conséquences, les discussions sont animées et tout le monde se prend au jeu. Les questions fusent, les réponses aussi. «En fait, y a plein de choses qu’on savait déjà», souffle un jeune détenu, à moitié surpris. «Vous avez placé les activités humaines à la base de tous les problèmes, donc vous avez déjà compris l’essentiel», les encourage Frédéric Giuli après quelques minutes. Ragaillardis, les joueurs replongent dans leurs discussions.
«C’est important pour nous d’aller toucher toutes les sphères de la société», dit à Vert Frédéric Giuli, fresqueur de la première heure. «La Fresque s’est quasiment exclusivement développée chez les classes aisées qui ont du temps à allouer à ces sujets. Dans les centres de détention, le temps n’est pas un problème, et ensuite, les détenus ont la possibilité d’aller toucher des gens très différents quand ils sortent», détaille-t-il.
Penser l’après
«Ces personnes-là sont en marge de la société, mais elles vont sortir et retrouver une vie “normale” donc c’est important de les impliquer directement dans des enjeux qui nous concernent tous», rappelle Karim-Romaric Laouedj, le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation(CPIP) qui a coordonné cette action. Il y a quatre ans, il avait déjà co-organisé avec succès une première Fresque à la maison d’arrêt de Villepinte. «Réussir à intéresser les participants à ce genre de sujets et leur donner envie de s’investir là-dessus à l’extérieur contribue aussi à nos missions de prévention de la récidive», ajoute-t-il. Au-delà des actions plus classiques proposées aux résidents, il évoque une vraie demande de leur part sur les sujets environnementaux.
Plusieurs d’entre eux expliquent à Vert que ces enjeux sont souvent évoqués en détention par le biais de leurs contraintes du quotidien : le gaspillage d’eau ou de nourriture, le tri des déchets, etc. Sans oublier les canicules, bien plus fréquentes qu’il y a vingt ans, qui sont particulièrement difficiles à vivre en situation d’enfermement – il y a quelques jours, l’association Notre affaire à tous a notamment publié un vaste rapport sur les risques climatiques dans les prisons françaises.
L’objectif de cette initiation est aussi de motiver les résidents à proposer des actions à mettre en place au sein du centre pénitentiaire, comme à l’extérieur. En partenariat avec la Fresque, la SAS aimerait à terme proposer des formations pour que les personnes détenues puissent à leur tour animer des fresques à leur sortie.
Après trois heures d’atelier, la discussion explore les ressentis de chaque participant. Tristesse, colère, révolte, envie d’agir et «de défendre les personnes les plus touchées» : tous semblent marqués par ce qu’ils ont appris. Les fresqueur·ses invitent les joueurs à réfléchir à des actions à mettre en place pour lutter contre le dérèglement climatique. Certains proposent des stages de sensibilisation pour tous les citoyens, d’autres de lutter contre la surconsommation ou encore de développer le végétarisme et le véganisme.
«Ça donne envie de s’investir»
«On n’a pas vu le temps passer !», se réjouit Sammy sous les approbations de ses camarades, tandis qu’Alexis salue le côté ludique de l’activité, avec des cartes, des photos et des graphiques. L’atelier à peine terminé, quelques détenus foncent vers Karim-Romaric Laouedj pour lui demander ce qu’il est possible de faire par la suite. C’est le cas de Sammy, qui aimerait participer aux formations pour devenir animateur de la Fresque. «Le réchauffement climatique, ça va nous toucher nous, et nos enfants… Il faut que tout le monde change ses habitudes dès maintenant», raconte celui qui dit avoir fait le lien entre de nombreux sujets différents grâce à l’atelier – dont la corrélation entre le dérèglement du climat et l’accroissement des inégalités, ou les impacts directs des activités humaines et de l’utilisation des énergies fossiles sur la santé.
«Ce que je retire de cette journée, c’est ce que oui, ça donne envie de s’investir, et oui, je suis prêt à renoncer à certaines choses», estime Adam. «Mais la question principale, c’est : est-ce que tous les êtres humains sont capables de se passer d’un certain confort et de faire des sacrifices pour que tout le monde puisse aller mieux ?», s’interroge-t-il.
Pas de doute : les fresqueur·ses ont réussi leur mission de planter des graines dans l’esprit des participants. Des réflexions qui feront leur bout de chemin et pourraient ouvrir des portes pour donner envie aux détenus de s’investir dans la transition écologique une fois sortis de prison.
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