Qu’est-ce que la Fresque du climat ?
La Fresque du climat est un outil pédagogique sur le climat né au printemps 2015. Alors enseignant et conférencier sur le changement climatique, son fondateur, Cédric Ringenbach, décide de troquer son traditionnel Powerpoint contre quelques graphiques imprimés issus des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). L’objectif est simple : distribuer ces bouts de papier aux participant·es pour voir comment elles et ils appréhendent ces graphiques et parviennent à retrouver des liens logiques entre eux. Il est rapidement convaincu par l’intérêt de sa méthode. «Les discussions que ça a déclenché étaient extrêmement pertinentes pour l’apprentissage», se remémore-t-il auprès de Vert.
Les retours des joueur·ses permettent rapidement d’affiner l’outil. Aujourd’hui, le jeu compte 42 cartes comportant des définitions et des graphiques. Celles-ci sont distribuées au fur et à mesure de l’atelier qui se déroule en cinq tours. Leur contenu est entièrement issu des rapports du Giec. Les participant·es doivent réaliser une fresque qui part des causes et des mécanismes du changement climatique et qui les emmène jusqu’à ses conséquences sur les humains. La promesse : trois heures pour «comprendre le fonctionnement, l’ampleur et la complexité des enjeux liés aux dérèglements climatiques». «Quand toutes les cartes sont sur la table, on comprend que tout est lié. Habituellement, on ne relie pas forcément un aléa climatique au changement climatique, et on relie encore moins le changement climatique aux activités humaines. En ressortant de la Fresque, on est obligé de faire ces liens», raconte Juliette Nouel, animatrice de longue date.
Un jeu à l’ampleur inédite
Depuis 2018, l’association de la Fresque du climat — une quarantaine de collaborateur·rices aujourd’hui -, fédère la communauté et tente d’essaimer à l’étranger. Le jeu a été traduit en 45 langues et quelque 132 pays ont déjà accueilli au moins un atelier. La communauté cumule 45 000 animateur·rices dans le monde entier, dont 36 000 en France et 9 000 à l’international. Son succès tient notamment à la démarche collective du projet : les «fresqué·es» (participant·es à l’atelier) peuvent devenir des «fresqueurs» ou «fresqueuses» qui animent des ateliers, et ainsi de suite, afin de diffuser l’outil le plus largement possible. «C’était la condition pour que le jeu puisse être exponentiel», précise Cédric Ringenbach, qui a rapidement compris que le potentiel de son atelier résidait dans la facilité avec laquelle il était possible de former de nouveaux·elles animateur·rices. «Un atelier de la Fresque dure trois heures, et ensuite on peut aussi former des animateurs en trois heures. À partir de là, il y a moyen pour que ça se déploie très rapidement et que l’on atteigne de gros volumes», détaille-t-il. Une échelle essentielle pour espérer insuffler un changement au niveau de la société.
Pour son fondateur, le succès de la Fresque tient aussi à son côté pédagogique et ludique, sans le côté «descendant» que peuvent avoir les formations ou les conférences. «Avec la Fresque, j’ai découvert des concepts dont je n’avais jamais entendu parler et surtout, j’ai compris à quel point tous ces enjeux étaient liés», témoigne Sarah, étudiante en droit fresquée il y a plusieurs mois. «Ce qui fait la force de la Fresque, c’est l’intelligence collective. Ce qu’on découvre pendant l’atelier est terriblement angoissant, mais le fait de partager à plusieurs, et aussi que ce soit fait petit à petit, puis que l’on réfléchisse ensemble aux solutions, ça aide vraiment. On n’est pas seul devant toutes ces informations, et ça, c’est génial», abonde Juliette Nouel.
Enfin, le fonctionnement de la communauté, inspiré du parti pirate suédois, donne aux animateur·ses la liberté d’organiser des ateliers à leur discrétion. Autre élément important : l’atelier peut être commercialisé par les Fresqueur·ses, ce qui signifie que ces dernier·es peuvent le faire bénévolement, mais aussi vivre de leurs animations.
Qui sont les Fresqué·es et qui sont les Fresqueur·ses ?
Cédric Ringenbach estime qu’environ un tiers des ateliers se déroulent au sein d’entreprises ; le reste a lieu dans des contextes variés (dans des écoles, associations, clubs, collectivités, événements divers, etc). «Quand on déploie la Fresque dans une entreprise, ça ne va pas changer le business model de la boîte du jour au lendemain. Mais on se rend vite compte qu’une fois que tout le monde a le même niveau d’information sur le climat, certaines choses ne peuvent plus êtres faites ou dites comme avant», relate Juliette Nouel.
«Beaucoup de gens sont venus me voir après avoir fait la Fresque pour me parler de leur grosse prise de conscience, me raconter comment ils avaient changé de vie pro ou perso, ou comment ils avaient ensuite décidé de devenir animateurs», renchérit le fondateur de la Fresque. À peu près un·e participant·e sur dix se forme à l’animation après avoir fait un atelier, jauge ce dernier.
À l’origine, la Fresque s’est largement déployée au sein de milieux d’ingénieurs, dans les écoles de l’enseignement supérieur ou au sein de cercles déjà sensibles (de près ou de loin) aux enjeux de la transition écologique. Une dynamique qui s’est amplifiée avec le temps et la prise de conscience progressive des enjeux climatiques dans la société. L’enjeu est aujourd’hui de continuer à élargir la base et de rendre la Fresque accessible à tous les publics. C’est notamment la démarche d’Aloïs Le Noan, journaliste et animateur de la Fresque dans le Val-de-Marne, qui tente d’intervenir auprès de publics variés. Il mène notamment des ateliers dans les maisons de quartier à proximité de chez lui, à Ivry-sur-Seine. «Au début, on a souvent des réactions de repli, de gens qui pensent qu’on ne va que leur parler de bio ou bien essayer de leur apprendre la vie avec des injonctions, et il faut leur montrer que non, que c’est ludique et collaboratif. Et évidemment, on adopte des postures différentes que lorsque l’on est devant des sénateurs, avec un ton et une pédagogie qui s’adaptent à la situation», analyse-t-il lors d’un partage d’expérience organisé à l’occasion de la célébration du million de participant·es.
Et ensuite ?
Maintenant que le seuil du million de participant·es est passé, la Fresque met le cap sur le million d’animateur·rices (elles et ils sont 45 000 aujourd’hui). Un immense fossé qui se comblera en partie par un déploiement des ateliers à l’international. «Notre but à l’avenir est de créer des structures dans chaque pays qui seront chargées de faire connaître la Fresque avec de nouveaux animateurs», évoque Cédric Ringenbach.
Avec le temps, la Fresque a inspiré plusieurs dizaines d’ateliers dérivés, qui en reprennent le principe pédagogique à partir de cartes. Spécialisés sur un secteur en particulier (la biodiversité, l’eau, les sols, la mobilité, etc) ou sur un aspect de la crise climatique (les solutions par exemple, avec l’atelier 2 tonnes ou Inventons nos vies bas carbone), ces «petits-enfants» de la Fresque sont recensés ici.
«Le fait que la Fresque ait fait autant de petits prouve que Cédric Ringenbach a inventé une méthode de vulgarisation très efficace», souligne l’animatrice et formatrice Juliette Nouel, qui a elle-même initié les Ateliers de l’Adaptation au changement climatique (Adacc), un outil consacré à l’adaptation aux conséquences des dérèglements climatiques.
En octobre, le gouvernement a annoncé la sensibilisation de 40 000 cadres de la fonction publique aux enjeux de la transition écologique (notre article). Une formation qui comptera des modules théoriques et pratiques, dont peut-être certaines Fresques. «Des animateurs s’organisent à plusieurs pour répondre aux appels d’offre et mener des ateliers dans différentes administrations», précise Cédric Ringenbach. «Et forcément, ça me semble être un bon point de départ pour les formations.»
Aujourd’hui, la Fresque forme le grand public mais aussi les dirigeants politiques et économiques, les journalistes et autres leaders d’opinion dans l’espoir, qui sait, de faire basculer la société. On y est fresque !