Reportage

Balayé par l’élévation des températures, un village islandais panse ses plaies

Il y a un an, le village de Seydisfjördur était ravagé par de violents glissements de terrain, provoquant la pire catastrophe naturelle recensée dans une zone habitée en Islande. Un an plus tard, les habitant·es se remettent peu à peu de leurs émotions alors que les scientifiques se préparent à une intensification de ces évènements en raison du dérèglement climatique. Reportage.
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Il est environ 15 heures, le 18 décembre 2020, lorsque la nuit commence à tomber sur Seydisfjördur, dans les fjords du nord-est de l’Islande. Thora Bergny Gudmundsdottir, gérante de l’auberge de jeunesse du village, s’inquiète à sa fenêtre en compagnie d’un ami. « On s’attendait à ce qu’il se passe quelque chose car il y avait eu des éboulements la veille et la pluie ne semblait pas vouloir cesser, se souvient-elle, le visage grave, confortablement installée devant la fenêtre qui offre une vue privilégiée sur le flanc de la montagne opposée. Soudain, nous avons entendu un bruit incroyablement fort, comme une explosion… Et un énorme morceau de roche s’est décroché, c’était horrible. » Lorsque l’épais nuage de poussière provoqué par l’éboulement retombe quelques instants plus tard, l’Islandaise de 68 ans observe avec effroi qu’une quinzaine de bâtiments ont littéralement disparu.

Les images des glissements de terrains survenus en décembre 2020 © BBC

Du 15 au 18 décembre 2020, le village de Seydisfjördur a connu la plus grande catastrophe naturelle que l’Islande ait jamais recensée dans une zone habitée. Si aucune victime n’est à déplorer, une trentaine de maisons ont été pulvérisées ou endommagées lors de la vingtaine de glissements de terrain qui ont eu lieu durant cette période. De quoi secouer les 650 âmes de cette bourgade encerclée par les montagnes qui fut, au 18e siècle, l’un des villages les plus prospères de l’île grâce à l’industrie de la pêche au hareng. Il est aujourd’hui réputé pour son église bleue pastel, ses maisons colorées au style norvégien et ses ferries menant aux îles Féroé.  

Hausse des précipitations et fonte du permafrost

« Nous ne pouvons pas attribuer avec certitude cet évènement au dérèglement climatique, mais il faisait en tout cas plus chaud que d’habitude à cette période de l’année, souligne Guðfinna Aðalgeirsdóttir, glaciologue à l’université d’Islande et co-autrice principale du dernier rapport du Giec. Résultat : au lieu de neiger, il a plu des cordes pendant plusieurs jours. Sur une zone instable cela ne pardonne pas… ». 569 mm de pluie se sont abattus sur Seydisfjördur en cinq jours, un record pour le pays. En comparaison, il pleut en moyenne 860 mm par an à Reykjavik, la capitale. Les chercheur·euses islandais·es peuvent en revanche affirmer que les changements climatiques multiplieront les glissements de terrain. « Outre l’augmentation attendue des précipitations l’hiver, la fonte du permafrost due à la hausse moyenne des températures posera problème car ce dernier joue le rôle de ciment dans le sol des montagnes », ajoute la glaciologue.

Une série de panneaux retrace le déroulement de la catastrophe du 18 décembre. © Julie Renson Miquel / Vert

« C’est sûr que le climat est en train de changer, il fait plus chaud en hiver. Regardez dehors, il pleut encore alors qu’on est en décembre. Et cet été il a fait 28 degrés. Ici, en Islande… C’est fou ! », lance Ingrid Karis, installée dans le pays depuis deux décennies. Cette Estonienne de 42 ans, aux cheveux courts blonds platine et à l’énergie communicative, a tout perdu dans la catastrophe de Seydisfjördur. « C’est tout ce qu’il reste de ma maison », dit-elle, l’air absent, en tenant entre ses mains un morceau de tuile. A l’époque infirmière, Ingrid Karis s’apprête à rentrer chez elle pour faire la sieste vers 14h30 après avoir été de garde la nuit du 17 décembre. Un policier présent sur les lieux lui demande alors d’évacuer immédiatement, mettant en avant l’instabilité de la zone. 

« Au début, je n’y croyais pas vraiment. Je n’ai rien pris à part quelques vêtements et mon chat, raconte-t-elle. Si j’avais su…» Une vingtaine de minutes plus tard, sa maison est réduite en bouillie par les 73 000 m3 de terre qui dévalent la montagne à une vitesse vertigineuse. La totalité du village est rapidement évacuée. Il faudra aux habitant·es plusieurs jours, voire pour certain·es plusieurs semaines, avant de pouvoir revenir sur place. Pendant trois mois, Ingrid Karis a accusé le coup. « J’étais incapable d’aller travailler, je n’avais plus de force, confie-t-elle. Si elle vit aujourd’hui chez des amis le temps de racheter un logement, la jeune femme a récemment ouvert un petit café grâce à l’argent du fond dédié aux victimes de catastrophes naturelles.

Le sapin au fond de l’image est le seul vestige de cette zone autrefois peuplée de maisons. © Julie Renson Miquel / Vert

« On se sent plus en sécurité »

Un an plus tard, la neige a recouvert une bonne partie de l’herbe plantée par la municipalité sur le flanc de montagne. Mais des stigmates sont encore visibles le long de la rue Hafnargata. Des bâtiments ont été rafistolés avec des planches en attendant d’être reconstruits, des amoncellements de pierres issus de l’éboulement et des débris venant du chantier naval parti en fumée gisent ça et là… « C’est un miracle que personne n’ait été tué ou blessé, souffle Aðalheiður Borgþórsdóttir, ancienne maire du village, aujourd’hui assistante du maire, en parcourant du regard les vestiges des fondations d’une partie du musée technique. Ce n’est pas la première fois que nous devons faire face à des éboulements, mais jamais nous n’en avons vu d’une telle ampleur ».

Aðalheiður Borgþórsdóttir, ancienne maire, devant les ruines d’un bâtiment du musée technique du village. © Julie Renson Miquel / Vert

Depuis, des dispositions ont été prises. Plus personne n’est autorisé à vivre dans la zone accidentée et trois bâtiments construits au début des années 1880 et considérés comme « trésors nationaux » (dont la mairie, première station de télégraphe d’Islande) vont être déplacés dans une partie plus sûre du village. Les scientifiques de l’Office météorologique islandais ont également installé des instruments de mesure sur la montagne pour être rapidement alertés en cas de nouveaux mouvements. « Des digues et des murs ont aussi été construits derrière les maisons aux abords de la zone, abonde Aðalheiður Borgþórsdóttir. Maintenant, on est mieux préparés, on se sent plus en sécurité ». Malgré les risques de nouvel éboulement, personne n’a quitté le village, se réjouit l’élue, mais les habitant·es le savent : personne n’est à l’abri de ce que la montagne ne s’éveille à nouveau.

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