Décryptage

Après les élections professionnelles, quel bilan pour le Printemps écologique, le syndicat des écolos ?

Lors de son lancement en 2020, le Printemps écologique se présentait comme le premier «écosyndicat». Il ambitionnait alors d’intégrer les comités sociaux et économiques (CSE) pour que les problématiques environnementales figurent au même rang d’importance que les questions de salaires ou de bien-être au travail. Quatre ans plus tard, le syndicat peine à s’imposer.
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Salarié chez OVH­Cloud, Damien Ladan a très vite été séduit par l’idée du Print­emps écologique. «Pour moi, c’était une évi­dence. Les gros mastodontes, je ne m’y retrou­vais pas», racon­te-t-il. Son entre­prise est spé­cial­isée dans l’hébergement de serveurs infor­ma­tiques et dis­pose d’un réseau de dat­a­cen­ters, une activ­ité par­ti­c­ulière­ment gour­mande en énergie. Avec une quin­zaine d’autres cama­rades, Damien Ladan tente sa chance aux élec­tions. Le suc­cès est au ren­dez-vous : arrivé en sec­onde posi­tion, son écosyn­di­cat obtient 7 élus sur 22. Par­mi les pre­mières reven­di­ca­tions que celui-ci entend porter aux oreilles de l’employeur, fig­ure la semaine de qua­tre jours. «On sait qu’il y a un véri­ta­ble intérêt chez les salariés, assure Damien Ladan. La dif­fi­culté, c’est qu’il y a des sujets qu’on a prévus et d’autres qui s’imposent à nous».

Représenter les salarié·es

Il n’y a pas qu’à OVH­Cloud que les salarié·es étaient appelé·es à vot­er pour élire les mem­bres du CSE de leur entre­prise. En 2023, 70 000 élec­tions ont eu lieu dont 57 000 sur les qua­tre derniers mois de l’année, selon le syn­di­cat Force Ouvrière. Près de 80% des entre­pris­es étaient con­cernées. Organ­isées tous les 4 ans, ces élec­tions con­sti­tu­aient une bonne occa­sion pour le Print­emps écologique d’intégrer mas­sive­ment les entre­pris­es. Et peut-être d’atteindre le Graal syn­di­cal : la représen­ta­tiv­ité. Un syn­di­cat qui agrège au moins 8% des voix au niveau d’une branche pro­fes­sion­nelle ou au niveau nation­al obtient le droit de négoci­er des accords à une plus grande échelle que l’entreprise. Un enjeu stratégique qui per­met de peser dans le rap­port de force dans les négo­ci­a­tions sur le chô­mage, sur les salaires min­i­mums… ou sur des ques­tions envi­ron­nemen­tales. En avril 2023, la CFDT et la CFTC ont cosigné avec les organ­i­sa­tions patronales, un accord qui, bien que non con­traig­nant, encour­ageait les bonnes pra­tiques envi­ron­nemen­tales au sein des entre­pris­es. Il est par exem­ple sug­géré aux organ­i­sa­tions syn­di­cales et patronales d’instaurer des critères envi­ron­nemen­taux dans leur poli­tique de rémunéra­tion ou de con­cevoir un plan de mobil­ité pour les salariés favorisant notam­ment les trans­ports en com­mun, le vélo ou le cov­oiturage.

À son lance­ment, le Print­emps écologique s’était fixé un objec­tif : être représen­tatif au niveau nation­al en 2027. L’objectif pou­vait paraître ambitieux, étant don­né que l’Unsa ou Sol­idaires n’ont tou­jours pas franchi cette étape, après plusieurs décen­nies d’existence. À mi-par­cours, le doute est plus que per­mis. Selon les chiffres don­nés par l’organisation syn­di­cale, 300 salarié·es ont été élu·es sous sa ban­nière dans une soix­an­taine d’entreprises. Anne le Corre, co-fon­da­trice du Print­emps écologique et mem­bre de son bureau fédéral admet que l’objectif aurait été revu à la baisse. Fini les grandes ambi­tions nationales, les efforts sont main­tenant déployés à un éch­e­lon plus local.

Course aux votes

Chez Orange, l’écosyndicat a réus­si à obtenir des élu·es dans plusieurs branch­es de l’entreprise. «Là où on s’est présen­té, les autres syn­di­cats se sont mis à par­ler écolo­gie», explique Dominique Poitevin. Élu au sein d’Orange Inno­va­tion, il a décidé de rejoin­dre le syn­di­cat écol­o­giste après quelques années passées à la CGT. Pour l’heure, les effec­tifs du Print­emps écologique restent mod­estes chez Orange. Out­re ses 3 élu·es, il compte une cinquan­taine d’adhérent·es. «Ils n’ont pas beau­coup de mil­i­tants. Or, pour gag­n­er des voix, il faut aller à la ren­con­tre des salariés», souligne Eric Lechat, élu à la CFDT, tout en con­cé­dant : «il y a les réseaux soci­aux, le numérique. Là dessus, la CFE-CGC était en avance. Ils n’avaient pas beau­coup de bras pour aller à la ren­con­tre directe des salariés. Donc ils ont util­isé le numérique». Aujourd’hui, le syn­di­cat des cadres est en tête chez Orange. Une stratégie que suit à son tour le Print­emps écologique, plus adeptes des réseaux soci­aux et des mes­sageries en ligne que du trac­tage à la sor­tie d’usine.

Une ban­de­role ten­due lors d’une des pre­mières man­i­fes­ta­tions publiques du syn­di­cat en 2020. © Coll Pri­mav­era / Wiki­me­dia

Si cer­taines propo­si­tions écol­o­gistes infusent désor­mais dans le reste du champ syn­di­cal, l’élu a peu d’espoir que son syn­di­cat devi­enne représen­tatif dans la branche des télé­com­mu­ni­ca­tions : «C’est une branche qui est déjà his­torique­ment syn­diquée». Cinq syn­di­cats y ont gag­né leur représen­ta­tiv­ité et la con­cur­rence s’annonce rude pour attein­dre le seuil des 8%.

En France, plus d’une dizaine d’organisations dif­férentes défend­ent les salarié·es. Une par­tic­u­lar­ité hexag­o­nale fruit de nom­breuses scis­sions tout au long du XXème siè­cle. Mais depuis une ving­taine d’années, l’heure est plutôt à l’union. Bien qu’embryonnaire, des dis­cus­sions ont ain­si régulière­ment lieu entre la CGT, la FSU et Sol­idaires pour évo­quer un pos­si­ble rap­proche­ment. Dans un tel con­texte, créer un nou­veau syn­di­cat ne risque-t-il pas de divis­er une nou­velle fois le front syn­di­cal ? «Dans le proces­sus his­torique du syn­di­cal­isme, oui on est une anom­alie», admet Dominique Poitevin, tout en assur­ant réus­sir à s’adresser à des salarié·es qui ne votaient pas avant. «Je pense qu’ils ne nous ont pas atten­dus pour se divis­er», rel­a­tivise de son côté Anne Le Corre. En gage de bonne foi, le syn­di­cat a présen­té une quin­zaine de listes com­munes lors des élec­tions, une pra­tique peu courante dans un milieu où cha­cun veut garder son iden­tité pro­pre.

Mobiliser des militant·es solitaires

À Ubisoft, chez Too Good to Go ou dans le stu­dio de jeux-vidéos Arkane, c’est l’arrivée même d’un syn­di­cat qui est his­torique, tant il est dif­fi­cile de s’implanter dans un désert syn­di­cal. «Il y a un effet de con­ta­gion», souligne Anne Le Corre. Après qu’une sec­tion syn­di­cale a été créée dans une entre­prise, le bouche à oreille fait son œuvre et des salarié·es d’entreprises du même secteur peu­vent à leur tour franchir le pas.

Mais cette méth­ode a ses lim­ites. Le Print­emps écologique revendique 500 adhérent·es présent·es dans env­i­ron 200 entre­pris­es. Or, entre l’acte de se syn­di­quer et celui de créer une sec­tion au sein de son entre­prise, le pas est grand et par­fois dif­fi­cile à franchir, d’autant plus lorsque l’on a des col­lègues ne sont pas eux-mêmes syndiqué·es. «Il y a plusieurs types de pro­fils : des adhérents en sou­tien, une par­tie qui est déjà acteur et qui s’appuie sur le Print­emps écologique pour du sou­tien moral, et des gens qui se posent la ques­tion de se présen­ter lors d’élections», décrit Anne Le Corre. Au risque que cer­taines entre­pris­es, voire secteurs, se retrou­vent durable­ment dénués de représen­tants syn­di­caux. Depuis plusieurs années, les organ­i­sa­tions syn­di­cales tra­di­tion­nelles réfléchissent aux moyens de mobilis­er et soutenir ces «adhérent·es isolé·es». Sans solu­tion mir­a­cle.

Face au Print­emps écologique, se dressent les mêmes obsta­cles qu’ont déjà dû franchir les géants du syn­di­cal­isme. «On est une struc­ture plus petite donc on peut tester des choses de manière agile et rapi­de», veut croire Anne Le Corre.

Vic­tor Fer­nan­dez