Décryptage

Alimentation naturelle et famille traditionnelle : qui sont les «Maha moms», ces influenceuses américaines pro-Trump

Nature pain dur. Aux États-Unis, l’alimentation sans pesticides, longtemps associée à l’électorat de gauche, est désormais défendue par des trumpistes uniques en leur genre : les Maha moms. Elles s’appellent Kristen Gaffney, Vani Hari ou Gretchen Adler. Rencontre avec ces influenceuses et mères de famille qui partagent conseils santé et théories du complot.
  • Par

«Voici des choses que je ne donnerais jamais à manger à mes enfants : n’importe quoi avec des huiles de graine, des Goldfish [des biscuits apéritifs américains, NDLR], des produits à base de farine blanche, des nuggets…» Gretchen Adler, alias @gretchy, cultive l’art de la formule et le sens de l’image. Sur Instagram, 464 000 personnes regardent ses vidéos sur «la vraie nourriture», «une famille forte» et «la cuisine ancestrale». Elle est une «Maha mom», une maman du mouvement Maha, pour «Make america healthy again» («Rendez à l’Amérique sa santé»).

Ce slogan est associé à une figure : Robert Francis Kennedy Junior, ou «RFK». Neveu de l’ancien président étasunien John Fitzgerald Kennedy, ex-démocrate spécialisé dans le droit de l’environnement et star de la mouvance antivax, RFK s’était présenté à la dernière élection présidentielle américaine, avant de s’allier à Donald Trump en août 2024 – puis de devenir son ministre de la santé. Robert Francis Kennedy Junior a une cible : les industries pharmaceutique – qu’il nomme volontiers «Big Pharma» – et agroalimentaire. Et une méthode : la dérégulation à tout-va des normes et des lois fédérales. Le tout saupoudré d’une «transparence radicale», pour accorder à chacun·e la «liberté du choix» propre à une vision libertarienne du monde. Résultat, dès janvier, Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Suif de bœuf et fromage cru

Pour mener ce projet politique, RFK peut compter sur ses nombreux·ses fans, et surtout sur les momfluencers – contraction de mom (maman) et de influencers (influenceuses) , à l’image de Gretchen Adler. «Le fait d’être une mère et de se présenter comme telle leur apporte une légitimité. Dans leurs discours, il y a l’idée qu’elles protègent leur public comme elles protègent leurs enfants», analyse Maxime Dafaure, enseignant et doctorant, auteur d’une thèse intitulée «L’alt right : résurgence en ligne de l’extrême droite états-unienne, entre tradition idéologique et innovation technologique», à l’Université Gustave Eiffel de Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne).

Le 22 avril 2025, à Washington D.C. (États-Unis). Une femme bandit une pancarte «Maha moms» avant une conférence du ministre trumpiste de la santé Robert Francis Kennedy Junior. © Andrew Harnik/Getty images via AFP

Vani Hari, connue sous le pseudo de @thefoodbabe sur les réseaux sociaux, partage les repas qu’elle prépare pour ses enfants avec ses 2,3 millions d’abonné·es sur Instagram. Elle cuisine de jolies lunch-box (ces boîtes déjeuners apportées à l’école pour éviter la cantine) remplies de plats faits maison – en opposition aux gâteaux industriels consommés par les autres enfants. Et elle fait l’éloge d’ingrédients naturels présentés comme miraculeux : le suif de bœuf (de la graisse de bœuf) pour les soins du visage ; et des aliments qui n’ont traditionnellement pas bonne presse aux États-Unis, pays de la pasteurisation : le lait et le fromage cru. Autrefois prisés par la clientèle habituée des magasins bio, ces produits sont devenus des symboles de la droite américaine. D’ailleurs, si Vani Hari est désormais une fervente partisane de RFK, elle affichait autrefois son soutien au président démocrate Barack Obama.

 👉 Abonnez-vous (gratuitement) à Chaleurs actuelles, notre nouvelle newsletter mensuelle sur la désinformation et les climatosceptiques !


Ce glissement politique est loin d’être isolé. Il existe une théorie pour qualifier le phénomène : «The crunchy to alt-right pipeline» («La passerelle entre le crunchy et l’alt-right», ce dernier terme désignant une partie de l’extrême droite américaine, NDLR). Comme l’explique le journal The Atlantic, le mot «crunchy» est une référence au granola fait maison, symbole des adeptes du naturel et du bio. Il est employé depuis les années 1980 et désignait à l’origine, dans la pop culture américaine, des personnes adoptant des modes de vie alternatifs. L’équivalent en France pourrait être «bobo».

Clone de Joe Biden et chemtrails

«Avant, consommer des aliments complets et éviter les produits chimiques signifiait être de gauche. Maintenant, être unecrunchy momveut plutôt dire que vous militez pour la liberté sanitaire, constate la journaliste Lisa Miller dans une analyse pour le New York Times. Depuis l’élection de Trump, #Crunchy se superpose à #Maha : une revendication ancrée à droite en faveur de la liberté et du choix en matière de santé.» Maxime Dafaure voit dans ce changement de symboles «le résultat du basculement général de l’échiquier politique».

Les Maha moms ne se contentent pas d’apprendre à leur auditoire des recettes et astuces. Elles relaient aussi des théories pseudoscientifiques sur la nutrition et tiennent des propos complotistes. Celle qui se fait appeler @Gubbahomestead, 25 ans, 1,8 million d’abonné·es sur Instagram, documente son quotidien dans sa ferme de huit hectares. Et, entre deux vidéos sur la lactofermentation et l’apiculture, elle s’affiche vent debout contre «la propagande», affirme entre autres que Joe Biden est un clone, que les chemtrails empoisonnent les populations, et que l’éducation nationale est une «arnaque» pour laver le cerveau des enfants.

L’influenceuse Gubba, fervente supportrice de l’idéologie «Maha» est aussi une complotiste notoire.

Au lendemain de la victoire de Donald Trump à l’élection présentielle de novembre 2024, Kristen Gaffney, alias @kristenlouelle, mère de trois enfants suivie par plus de 200 000 personnes sur Instagram, se réjouissait en vidéo dans un mélange des genres éloquent : «Toutes les mamans crunchy […] savent que RFK est sur le point d’attaquer big pharma, supprimer les chemtrails, retirer le fluoride et rendre à l’Amérique sa santé !»

«C’est ce qui fait la force du mouvement Maha. Il s’inscrit dans plusieurs constats qui sont valables et bien documentés : au sujet de l’industrie agro-alimentaire, du lobby pharmaceutiques, des micro-plastiques… En juxtaposant théorie complotiste et vraie information, le glissement idéologique n’est pas toujours très visible», analyse Maxime Defaure.

«Elles ont bel et bien des choses à vendre»

Le 22 mai dernier, le rapport Make America Healthy Again – commandé par Donald Trump à son ministre RFK – a été rendu public. Présenté comme «historique», il établit un lien entre pesticides et maladies chroniques chez les enfants… et met en doute la sureté des vaccins.

Une semaine après sa publication, le média indépendant Notus a révélé que le rapport citait des sources inventées de toutes pièces, suggérant même qu’il avait été rédigé à la va-vite, à l’aide d’un outil d’intelligence artificielle. En réponse, la porte-parole de la Maison-Blanche Karoline Leavitt a évoqué des «problèmes de mise en forme», pendant un point presse.

Les Maha moms comptent sur ces théories pas ou peu fondées pour assurer leur modèle économique. Comme l’explique Maxime Defaure : «Elles prétendent ne pas être là pour vendre quoi que ce soit et se présentent comme de gentilles voisines du quartier qui partagent gratuitement des conseils. Sauf que, souvent, elles ont bel et bien des choses à vendre.» Gubba, du compte Instagram @gubbahomestead, est ainsi la commerciale de sa propre ligne de produits de beauté – à base de graisse de bœuf comme substitut pour la crème solaire. Kristen Gaffney, elle, est à la tête de «Super true», une marque de goûters pour enfants «par les parents, pour les parents» – garantis, selon elle, sans ingrédients toxiques. Et Gretchen Adler propose des cours de cuisine pour 66 dollars par mois.

Gretchen Adler se présente comme une «Maha mom» et une «tradwife». (capture d’écran Instagram)

Comme les «tradwives» (ces «femmes traditionnelles», des mères au foyer influenceuses), les Maha moms sont d’ardentes défenseuses d’une partition genrée des rôles domestiques. «Être une mère, c’est porter le cœur du foyer. C’est se lever avant le soleil et s’endormir après que toute la maison soit couchée. C’est nourrir non seulement les ventres, mais aussi les esprits, les cœurs et les âmes», écrit Gretchen Adler sur Instagram. «Au cœur de l’idéologie Maha, il y a l’opposition entre ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas. On vient combattre une forme de corruption morale, qui viendrait de la modernité, du féminisme et du wokisme», ajoute Maxime Dafaure. On en oublierait presque que l’administration Trump a supprimé des réglementations sur les PFAS dans l’eau potable, fermé le service chargé de la justice environnementale, ou démantelé la réglementation sur les émissions de mercure des centrales électriques… pourtant associées à des troubles du développement chez les enfants.

Vert l’infini et au-delà

Dans le chaos actuel, plus de 10 000 personnes soutiennent Vert avec un don mensuel, pour construire la relève médiatique à nos côtés.
Grâce à ce soutien massif, nous allons pouvoir continuer notre travail dans l’indépendance absolue. Merci !

Alors que l’objectif de contenir le réchauffement à moins de 1,5°C est un échec, les scientifiques le martèlent : chaque dixième de degré supplémentaire compte. Dans le contexte médiatique actuel, chaque nouveau membre du Club compte. Chaque soutien en plus, c’est plus de force, de bonnes informations, de bonnes nouvelles et un pas de plus vers une société plus écologique et solidaire.

C’est pourquoi nous voulons désormais atteindre les 12 000 membres du Club avant le 6 juillet. Ces 2 000 membres supplémentaires nous permettront de nous consolider, alors que la période est plus incertaine que jamais, d’informer encore plus de monde, avec du contenu de meilleure qualité.

Rejoignez les milliers de membres du Club de Vert sans perdre une seconde et faisons la différence ensemble.