Entretien

Alexis Baudelin, avocat d’Extinction Rebellion : «Les Jeux olympiques représentent un formidable terrain d’expérimentation pour toute une série d’outils juridiques, policiers ou de surveillance»

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À taule ou à rai­son. Depuis le 23 juil­let dernier, env­i­ron 70 militant·es du mou­ve­ment de désobéis­sance civile Extinc­tion Rebel­lion (XR) ont fait l’objet d’interpellations préven­tives et de gardes à vue plus ou moins longues et pénibles. Vert fait le point avec Alex­is Baudelin, spé­cial­iste du droit pénal mil­i­tant et l’un des avo­cats de XR en France.

Gardes à vue, perquisitions… Les mesures policières se sont multipliées ces derniers jours à l’encontre des militant·es d’Extinction Rebellion. Que s’est-il passé exactement ?

Cette mon­tée en inten­sité de la répres­sion était atten­due dans le con­texte des Jeux olympiques. Il y a tout un arse­nal juridique et polici­er con­sti­tué au fil des années qui arrive aujour­d’hui à une sorte d’apothéose avec la mise en œuvre de ces instru­ments pour les Jeux 2024. La répres­sion des man­i­fes­ta­tions et des actions mil­i­tantes a tou­jours existé. La nou­veauté, c’est que les policiers n’at­ten­dent plus de con­stater la moin­dre com­mis­sion d’in­frac­tion pour inter­peller et plac­er en garde à vue. C’est exacte­ment ce qui s’est passé la semaine dernière pour les mil­i­tants et mil­i­tantes d’XR.

Alex­is Baudelin est spé­cial­iste du droit pénal mil­i­tant. © DR

Ven­dre­di 26 juil­let, 9 per­son­nes qui grim­paient aux arbres ont été arrêtées au bois de Vin­cennes, puis placées en garde à vue. Elles ont été libérées le same­di après une nuit au poste. Leur inter­pel­la­tion repose non pas sur le fait de grimper aux arbres, mais sur celui d’être poten­tielle­ment en train d’organiser une action. Or aucun élé­ment ne per­met d’établir cela.

Le lende­main, same­di 27 juil­let, une cinquan­taine de per­son­nes sont inter­pel­lées à Paris alors qu’elles cir­cu­laient dans la rue sans que la moin­dre action ait débuté. À nou­veau, on les con­trôle et on les inter­pelle au motif d’une «poten­tielle par­tic­i­pa­tion à un groupe­ment en vue de com­met­tre poten­tielle­ment des vio­lences ou des dégra­da­tions». Là encore, sans aucune preuve. Ces deux affaires sont emblé­ma­tiques de la mise en place d’interpellations préven­tives.

Les domiciles de membres de XR ont aussi fait l’objet de récentes perquisitions…

Mer­cre­di 24 juil­let, les domi­ciles de 6 mil­i­tants et mil­i­tantes ont été perqui­si­tion­nés dans le cadre d’une affaire remon­tant au mois de mai. Une action avait alors été con­duite sur la façade de la Direc­tion générale de l’avi­a­tion civile, aspergée pour l’occasion de pein­ture lavable à l’eau, dans le but de dénon­cer le pro­jet de taxis-volants pour les JO. Ces per­son­nes ont été placées en garde à vue pen­dant presque 48 heures dans une gen­darmerie d’Orly, puis déférées au tri­bunal judi­ci­aire de Paris. On leur a annon­cé qu’un procès pour dégra­da­tion se tiendrait en jan­vi­er 2025.

Et que s’est-il passé le 23 juillet dans le métro parisien ?

Une dizaine de per­son­nes par­tic­i­pant à une action de col­lage de stick­ers dans les rames de la RATP pour alert­er sur les con­séquences écologiques néfastes des JO ont été inter­pel­lées et placées en garde à vue, de façon préven­tive et dis­sua­sive.

On peut enfin évo­quer le cas de ces trois indi­vidus, un mem­bre de XR et deux jour­nal­istes, inter­pel­lés puis placés en garde à vue dimanche 25 juil­let en Seine-Saint-Denis alors qu’ils fai­saient le tour des instal­la­tions des JO du départe­ment. Là encore, aucun élé­ment ne per­me­t­tait de penser que ces per­son­nes, qui se con­tentaient de marcher dans l’e­space pub­lic, allaient com­met­tre des vio­lences ou des dégra­da­tions.

Les stick­ers posés dans le métro le 23 juil­let 2024. © Claire Série /Hans Lucas/AFP

Combien de personnes ont été visées au total ?

Si on addi­tionne toutes ces inter­pel­la­tions, on arrive à plus de 70 per­son­nes qui, en l’espace de quelques jours, ont été inter­pel­lées préven­tive­ment et placées en garde à vue.

Quels risques encourent les personnes interpellées ?

Sur le plan juridique, elles risquent peu, ces dossiers étant générale­ment classés sans suite. Car l’in­frac­tion de par­tic­i­pa­tion à un groupe­ment, sorte d’infraction fourre-tout per­me­t­tant d’in­ter­peller une per­son­ne quand on n’a rien à lui reprocher, est dif­fi­cile à car­ac­téris­er. Pour cela, il faut démon­tr­er qu’au moment de l’in­ter­pel­la­tion, il y a eu des signes extérieurs : les per­son­nes avaient des objets dans les mains ou avaient annon­cé qu’elles allaient faire quelque chose… Or, dans la majorité des cas évo­qués, une telle car­ac­téri­sa­tion n’est tout sim­ple­ment pas pos­si­ble. Si les risques sont générale­ment faibles, être privé de lib­erté pen­dant un, voire plusieurs jours, pour se retrou­ver dans une cel­lule infecte, c’est vrai­ment prob­lé­ma­tique.

Que risquent les militants et militantes lors des gardes à vue ?

Au-delà de la pri­va­tion de lib­erté, la garde à vue donne lieu à des mesures extrême­ment intru­sives dans la vie privée des per­son­nes. Je pense à la prise d’empreintes dig­i­tales et ADN, à la fouille des per­son­nes et de leurs objets per­son­nels, comme les ordi­na­teurs et télé­phones. Le refus de don­ner toutes ces infor­ma­tions peut être con­sid­éré comme une infrac­tion et occa­sion­ner des pour­suites. En garde à vue, les mil­i­tants et mil­i­tantes subis­sent cette pres­sion-là de la part des policiers, qui leur dis­ent : «Si vous ne don­nez pas vos empreintes, vous allez être pour­suiv­is, vous allez au tri­bunal et vous allez être con­damnés». En tant qu’avocat, j’incite cepen­dant à ne pas les don­ner : il s’agit de refuser toute forme de fichage polici­er, toute forme de ren­seigne­ment, d’au­tant plus que les déci­sions de jus­tice nous don­nent sou­vent rai­son.

Un autre risque impor­tant en garde à vue découle de ce fichage : des per­son­nes vont se retrou­ver dans les fichiers de police, avec leurs pho­tos, leurs empreintes dig­i­tales, leur ADN et d’autres élé­ments ; ces don­nées-là, la police pour­ra s’en resservir à d’autres occa­sions. Très con­crète­ment, des per­son­nes qui avaient été fichées pour avoir par­ticipé des actions mil­i­tantes se sont vues refuser des accrédi­ta­tions per­me­t­tant d’accéder aux sites olympiques… Donc, demain, alors même qu’on aura pas été con­damné, que notre dossier aura été classé sans suite, on pour­ra se retrou­ver privé de cer­tains droits du fait de notre présence dans des fichiers de police.

Pour vous, avec ces JO, on a franchi une étape supplémentaire vers la criminalisation de la militance ?

Les Jeux olympiques représen­tent un for­mi­da­ble ter­rain d’ex­péri­men­ta­tion pour toute une série d’outils juridiques, policiers ou de sur­veil­lance. Des out­ils qui pour­ront être péren­nisés. Prenez la vidéo­sur­veil­lance par algo­rithme, par exem­ple, qui per­met d’analyser les com­porte­ments. Elle est testée pen­dant ces JO 2024. Ce test est cen­sé pren­dre fin en mars. Mais l’inquiétude est de mise : une fois instal­lés, il est très dif­fi­cile de se défaire des instru­ments sécu­ri­taires. Et comme beau­coup d’autres grands événe­ments, les JO con­stituent des accéléra­teurs pour ces out­ils-là.