Entretien

Absence de pluie, sécheresse précoce, températures supérieures à la moyenne : « un tel enchaînement, c’est du jamais-vu »

La France n’a pas connu la pluie depuis le 21 janvier : un épisode à la longévité-record, qui amenuise les ressources en eau et laisse craindre une nouvelle année de sécheresse. Simon Mittelberger, climatologue chez Météo-France, fait le point sur la situation.
  • Par

Pouvez-vous faire un état des lieux de la sécheresse actuelle ?

La sécher­esse de 2022 s’était instal­lée très tôt dans l’année, dès le mois de mars. Elle a été large­ment accen­tuée pen­dant l’été avec la suc­ces­sion des vagues de chaleur, et elle s’est pro­longée jusqu’à l’automne et au début de l’hiver, surtout dans le sud-ouest du pays. On a quand même eu une coupure, où les sols se sont réhu­mid­i­fiés de manière très cor­recte cet hiv­er. Mais dans cer­tains départe­ments, comme les Pyrénées-Ori­en­tales, les pluies hiver­nales ont davan­tage été un sim­ple répit qu’autre chose.

On a eu des pré­cip­i­ta­tions glob­ale­ment dans les nor­males entre sep­tem­bre et jan­vi­er, et c’est vrai­ment l’absence de pré­cip­i­ta­tions depuis jan­vi­er qui a com­mencé à réag­graver cette sécher­esse. Actuelle­ment, on est dans une sit­u­a­tion de sécher­esse qu’on ren­con­tre nor­male­ment à la fin du mois d’avril, donc on a con­crète­ment deux mois d’avance. C’est une sit­u­a­tion très remar­quable.

L’absence de pluie est assez remarquable cet hiver. Comment cela s’explique-t-il ?

Jusqu’au 20 févri­er, on est sur une série de 30 jours sans pluie [quand les pré­cip­i­ta­tions agrégées sur le pays ne dépassent pas les 1mm, NDLR], depuis le 21 jan­vi­er. C’est une sit­u­a­tion excep­tion­nelle — on n’a jamais eu un tel record sur des mois d’hiver. Le dernier épisode aus­si remar­quable remon­tait à l’hiver 1989 [22 jours sans pluie]. Et nous allons égaler le record de journées con­séc­u­tives sans pluie, tous mois con­fon­dus, qui a été observé pen­dant 31 jours mars et avril 2020, pen­dant le pre­mier con­fine­ment. Cette absence de pluie s’explique par un anti­cy­clone cen­tré sur la France de manière durable, qui nous pro­tège de l’arrivée des tem­pêtes.

Avec la sécher­esse, le débit de la Garonne est un tiers plus bas qu’à l’accoutumée. Ici, à Toulouse (Haute-Garonne), le 20 févri­er. © Patrick Batard / Hans Lucas via AFP

Quel est l’impact de cette absence de pluie ?

Une des con­séquences de cette sécher­esse va être sur la ressource en eau à dis­po­si­tion. Elle a déjà été bien mise à mal avec la sécher­esse de l’an dernier, et cet hiv­er — mal­gré des pré­cip­i­ta­tions qua­si nor­males sur cer­tains mois -, ne devrait pas per­me­t­tre de recon­stituer les stocks d’eau dans les lacs, les riv­ières et les nappes phréa­tiques de manière cor­recte.

Se dirige-t-on vers un nouvel été de sécheresse extrême ? Quelles conditions permettraient d’inverser la tendance ?

Les nappes phréa­tiques peu­vent se rem­plir jusqu’en mars, et ce mois-ci sera décisif pour invers­er la ten­dance. Ensuite, c’est plus com­pliqué, car la végé­ta­tion repart et puise de l’eau dans le sol. Celle-ci s’évapore aus­si davan­tage avec la hausse des tem­péra­tures.

Mais même là, tout ne sera pas per­du. Si on a un print­emps ou un été plu­vieux, cela nous évit­erait de puis­er dans les stocks d’eau, et la sit­u­a­tion serait net­te­ment moins dif­fi­cile.

Nous faisons des ten­dances sur les trois prochains mois, mais mal­heureuse­ment, on n’a pas de ten­dance nette pour le moment et on n’arrive pas à dégager un scé­nario plus plu­vieux ou plus sec que la nor­male.

Outre l’absence de pluie, on connaît des températures globalement plus élevées que les normales de saison. Depuis combien de temps cet épisode dure-t-il ?

Sans compter févri­er, on est sur une série de 12 mois con­sé­cu­tifs avec une tem­péra­ture moyenne supérieure aux nor­males de sai­son. Un tel enchaîne­ment, c’est du jamais-vu. La précé­dente série record avait duré neuf mois. Sachant que, pour l’instant, il y a des chances que le mois de févri­er devi­enne le treiz­ième mois. Au 20 févri­er, on a une tem­péra­ture moyenne supérieure de 1,2 degré par rap­port à la nor­male.

Peut-on parler d’épisodes de «canicule hivernale» ?

À Météo-France, on ne va pas par­ler de canicule hiver­nale puisque l’on asso­cie les canicules à des seuils de tem­péra­tures très pré­cis (notam­ment des tem­péra­tures min­i­males la nuit). On va plutôt priv­ilégi­er le terme de douceur hiver­nale, voire de chaleurs tar­dives ou pré­co­ces.