Chères toutes et chers tous,
Ceci n'est pas un numéro comme les autres !
S’il est un sujet qui tend la société française comme peu d’autres, c’est bien celui du nucléaire. Alors que la campagne pour la présidentielle bat son plein, l’atome est dans toutes les bouches et sur tous les programmes qui - c'est selon - le vantent ou le clouent au pilori. Pour tenter d’y voir plus clair et démêler les infos des intox, voici un tour d’horizon des idées reçues, plus ou moins justes, que l’on entend le plus souvent.
Un numéro où l'on vous donne les clefs pour décrypter ce débat atomique !

« C’est une réponse à l’urgence climatique »
Avec 12 grammes de CO2 par kilowattheure produit, le nucléaire est, avec l’éolien, la source d’électricité qui émet le moins de gaz à effet de serre au cours de son cycle de vie, soit de l’extraction du minerai au démantèlement des installations (Giec). Grâce à lui et à l’hydroélectricité, le mix électrique français est constitué à 92% de sources décarbonées (très faiblement émettrices). En France, la production d’un kilowattheure électrique représente ainsi 42 grammes de CO2 contre 317 grammes en moyenne au sein de l’Union européenne (Ministère de la transition écologique).

Pour autant, la construction de nouveaux réacteurs n’est pas une réponse satisfaisante à l’urgence climatique, pour des raisons de temps de développement. « La décennie cruciale sur le climat, c’est celle de 2020 à 2030 », a rappelé le directeur exécutif du gestionnaire de réseau français RTE, Thomas Veyrenc, le 7 décembre lors d’une rencontre avec la presse. Dans son dernier rapport, paru cet été, le GIEC a en effet insisté sur la nécessité de réduire immédiatement les émissions. Faute de quoi le budget carbone (les quantités de CO2 à ne pas dépasser) pour limiter la hausse des températures à 1,5°C sera épuisé dès le début des années 2030 (Vert). Or, le délai moyen entre la prise de décision et l’entrée en service d’un réacteur dépasse les dix ans et peut même aller jusqu’à 18 ans (pour le réacteur EPR d’Olkiluoto en Finlande). « À cette échéance, le nouveau nucléaire n’est pas un levier envisageable », explique Thomas Veyrenc, ajoutant que « la maximisation de la production décarbonée repose sur les réacteurs existants et un développement maximal des énergies renouvelables ».
Il faut également prendre en compte l’impact du changement climatique sur les réacteurs eux-mêmes, en particulier les vagues de chaleur extrême et la moindre disponibilité en eau pour leur refroidissement. Or, l’exercice s’annonce périlleux selon Thibault Laconde, consultant spécialisé dans les risques climatiques. « On peut se demander si c’est possible d’avoir une gestion des risques suffisamment robuste, compte tenu de la durée de vie des réacteurs, qui pourrait s’étendre à 50 ou 60 ans, et des incertitudes sur le climat à cette échéance », indique-t-il à Vert. A court terme, « il est évident qu’il y a déjà des sites sur lesquels il n’est pas raisonnable d’installer de nouveaux réacteurs nucléaires pour des raisons de hausse des températures et/ou d’étiages des cours d’eau en baisse », prévient-il. « Si l’on résume à grands traits, seul le Rhône ou le bord de mer sont désormais des localisations adaptées pour d’éventuels nouveaux réacteurs ».

« On ne peut pas s’en passer pour réduire nos émissions »
Avec 71% de l’électricité produite (et 38,5% de toute l’énergie) par 56 réacteurs, l’atome règne aujourd’hui en maître sur le paysage énergétique français. Il s’agit d’une exception ; le nucléaire reste marginal au niveau mondial où il ne représente que 10% de la production d’électricité, et 5% de toute l’énergie (AIE). « La plupart des pays font sans nucléaire, mais c’est la compatibilité de leur mix électrique avec la lutte contre le changement climatique qui doit être interrogée », expose à Vert Nicolas Goldberg, expert en énergie au sein du cabinet Colombus Consulting. « A l’exception de la Norvège, qui dispose d’un potentiel hydraulique unique, les pays européens qui ont réussi à décarboner leur secteur électrique, comme la Suède, la Suisse, ou la France, combinent nucléaire et renouvelables », défend ainsi la Société française d’énergie nucléaire (SFEN).
Confrontée au vieillissement de son parc électro-nucléaire construit entre la fin des années 1970 et début 1990, la France s’interroge aujourd’hui sur la nécessité de nouveaux réacteurs dans son mix, à l’heure où les énergies renouvelables connaissent un développement sans précédent. « Depuis le début de la construction de l’EPR de Flamanville en 2007, la part des énergies renouvelables dans l’électricité en Allemagne est passée de 14 % à près de 50 % aujourd’hui », a ainsi raillé sur Twitter le journaliste français Vincent Boulanger, basé à Hambourg.

« En 2020 dans le monde, la puissance renouvelable a augmenté de 280 GW [gigawatts, ou milliards de watts] contre 0,4 GW pour le nucléaire », rappelle de son côté Yves Marignac de l’association négaWatt, citant les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Même le gestionnaire du réseau électrique français, RTE, estime que « développer significativement les énergies renouvelables en France est, dans tous les cas, absolument indispensable pour atteindre la neutralité carbone » dans ses scénarios prospectifs à l’horizon 2050. Toutefois, se passer entièrement de la production stable du nucléaire pose avant tout des questions techniques. Les énergies renouvelables ont en effet une production variable (liée au vent, à l’ensoleillement, etc), mettant parfois le réseau électrique à rude épreuve. Dans une étude parue en janvier 2021, RTE et l’Agence internationale de l’énergie ont validé la faisabilité d’un scénario 100% renouvelable, tout en prévenant qu’il repose sur des « paris technologiques lourds ».

« C’est l’énergie décarbonée la moins chère »
L’évaluation économique des choix énergétiques est une question complexe, que la bataille de chiffres entre les pro et les anti-nucléaire ne suffit pas à épuiser. Les énergies renouvelables affichent des coûts de production en chute libre. Mais leur déploiement à grande échelle implique toutefois des investissements coûteux pour compenser leur variabilité : renforcement des réseaux électriques et mise en œuvre de moyens de flexibilité notamment (stockage, centrales d’appoint). C’est ce que le gestionnaire de réseau français RTE appelle les « coûts système », à différencier des coûts « bruts » de production de chaque énergie. Or, dans ses « Futurs énergétiques à 2050 », RTE conclut avec « un bon niveau de confiance » que la relance d’un programme nucléaire serait moins coûteux qu’un scénario 100% renouvelable.

La conclusion de RTE ne convainc pas les opposant·es au nucléaire, qui pointent le dérapage continuel des coûts et des délais de construction des nouveaux réacteurs. A Flamanville, le chantier de l’EPR a pris onze ans de retard tandis que la facture est passée de 3,3 milliards d’euros à 19,1 milliards d’euros, selon les dernières estimations de la Cour des comptes à l’été 2020. Pour la suite, EDF table sur un coût de 46 milliards d’euros (Le Monde) pour la construction de trois nouvelles paires de réacteurs – un projet porté par Emmanuel Macron – à compter de 2035. Mais un document émanant des ministères de la transition écologique et de l’économie révélé par Contexte envisage déjà une fourchette supérieure, de 52 à 64 milliards d’euros, pour une entrée en service « au plus tôt en 2040 ».

« C’est la garantie de notre indépendance énergétique »
L’atome est couramment présenté comme un pilier essentiel de notre souveraineté. De fait, l’accélération du programme électro-nucléaire, acté en mars 1974 par le lancement du « plan Messmer », est une réponse directe aux chocs pétroliers qui ont ponctué la décennie 1970. Pour se soustraire à la dépendance aux hydrocarbures, l’Hexagone s’est doté de 58 réacteurs en un quart de siècle. Une prouesse industrielle !
Pour autant, elle n’a pas – à proprement parler – atteint l’autonomie énergétique; chaque année, 8 000 à 10 000 tonnes d’uranium naturel sont importées, principalement du Kazakhstan, du Canada, de l’Australie ou du Niger (Ministère de la transition écologique). Elle n’est pas non plus complètement souveraine puisque ces centrales reposent, pour la plupart, sur une technologie de réacteurs à eau pressurisée développée par l’Américain Westinghouse.
En revanche, il est indéniable que la filière est aujourd’hui « ceinture et bretelles pour assurer une chaîne d’approvisionnement sécurisée », comme l’explique Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN). La France maîtrise l’intégralité de la chaîne de transformation de l’uranium. « EDF dispose d’un stock d’uranium correspondant à deux ans de production d’électricité et encore trente années de réserve dans les mines exploitées par Orano à l’étranger », explique-t-elle. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, les réserves connues au niveau mondial représentent 130 ans de consommation mondiale.

+ Loup Espargilière et Juliette Quef ont contribué à ce numéro