Reportage

Vivre dans une maison sans chauffage ? Un pari réussi dans la Drôme : «Il a fait 20°C en moyenne cet hiver»

Antre aérée. Une maison neuve qui ne coûte pas un bras, douillette et confortable… sans aucun système de chauffage. Un projet pas si fou, né dans la tête d'un expert en énergétique, et dont profitent deux locataires, Simon et Adeline. Rencontre dans la Drôme.
  • Par

En cette matinée de janvier, il fait 8 degrés (°C) à Pont-de-Barret (Drôme). Dans leur salon baigné de soleil, Adeline et Simon s’affairent en t-shirt : le thermomètre intérieur affiche un très confortable 22,9°C. Pas de radiateur en vue, et pour cause : il n’y a pas de système de chauffage.

Depuis un mois et demi, le couple est installé en location dans cette maison neuve de 106 mètres carrés, conçue par un fin connaisseur des problématiques énergétiques. Olivier Sidler a créé le bureau d’études spécialisé dans les bâtiments performants Enertech et co-fondé l’association Négawatt, qui œuvre pour une politique énergétique basée sur la sobriété, l’efficacité et le renouvelable. À 77 ans, cet ingénieur de formation démontre qu’«on peut se passer de chauffage, ce qui élimine les pannes, les dépenses et les aléas des prix de l’énergie». Les travaux de construction ont commencé au début de la guerre en Ukraine, qui a provoqué une flambée du prix du gaz. Il a donc, non sans malice, baptisé sa maison en paille «La Poutinière».

«Quand je suis entré pour la première visite, j’ai halluciné»

De l’extérieur, l’habitation paraît simple. «Elle est banale, mais je n’avais pas vraiment le choix, les constructions aux formes simples sont moins chères, et c’est plus compact, donc meilleur sur le plan thermique», s’excuse presque Olivier, lui-même maître d’oeuvre et maître d’ouvrage, qui a été «très présent» sur le chantier. Son mantra : limiter les infiltrations d’air et les ponts thermiques, ces passages cachés entre l’intérieur et l’extérieur, par lesquels la chaleur se faufile.

La Poutinière, dans la Drôme, est une maison sans chauffage. © Aurélie Delmas/Vert

 «Quand je suis entré pour la première visite, j’ai halluciné sur l’atmosphère de la maison. C’était paisible, insonorisé, il y avait un côté bulle d’air, un peu suspendu. Au bout de dix minutes, les enfants étaient à l’aise, allongés par terre !», se souvient Simon, 45 ans, musicien et thérapeute. Sous le tapis rouge à motifs du salon, où se prélasse un chat, de grands carreaux de carrelage gris dissimulent une dalle flottante qui repose sur 25 centimètres de polystyrène. Au-dessus des poutres en bois des plafonds, 15 tonnes de briques de terre crue créent de l’inertie thermique. «Cela sert d’amortisseur, ça évite les variations rapides de température», précise Olivier Sidler, intarissable sur les aspects techniques.

Mis à part une vigilance sur les ouvertures trop fréquentes des portes et fenêtres, aucune contrainte particulière. Les locataires utilisent leurs anciens appareils électroménagers, même la vieille machine à laver. Avec ses mots, la petite Emma*, l’une des quatre enfants de cette famille «pluri-composée», a déjà tout compris : «On n’a pas le droit d’ouvrir trop la fenêtre, du coup, souvent, il fait chaud. Et quand il n’y a pas de soleil, eh bien la maison, elle ne se réchauffe pas.»

«Au départ, je pensais qu’il fallait être au taquet sur l’écologie, pour un projet comme celui-là. Finalement, on fait juste attention à ce que l’on consomme», réfléchit Adeline, 42 ans, créatrice de décorations en fil de fer et éducatrice. «Olivier nous a bien dit de vivre normalement, renchérit Simon. L’idée est de prouver que c’est possible pour une famille lambda, que c’est une maison “normale”.»

Une isolation et une étanchéité «boostées»

Ces premières semaines d’expérience ont convaincu le couple aux revenus modestes, qui verse un loyer mensuel de 900 euros. Il y a encore deux mois, Simon payait «des factures de gaz énormes» et Adeline vivait dans un logement social, une «vraie passoire thermique !». «En termes de chaleur, je suis refaite !», sourit-elle. D’après les premiers relevés, même lorsque les températures descendent à -4 degrés la nuit, il ne fait pas moins de 18,5°C à l’intérieur : «Il a fait 20°C en moyenne cet hiver depuis l’arrivée des locataires», précise à Vert Olivier Sidler.

Simon, dans l’espace cuisine de la maison. © Aurélie Delmas/Vert

L’idée de cette maison n’est pas le fruit du hasard. En 2016 déjà, l’entreprise d’Olivier Sidler avait installé son siège social sur le terrain d’à côté, dans un grand bâtiment conçu sans chauffage. «Ça marche encore mieux que ce que nous avions imaginé, c’est l’un des bâtiments les plus “basse consommation” du monde», avec seulement six kilowattheures d’électricité par mètre carré (kWh/m2) et par an, tous usages confondus. À titre de comparaison, la consommation moyenne d’électricité des tours de la Défense, à Paris, varie de 250 à 500 kWh/m2 chaque année.

Une fois à la retraite, il s’est lancé le défi de réaliser une maison sur les mêmes principes et a «boosté» l’isolation. Les épais murs sont construits autour de bottes de paille encoffrées de 36 centimètres, renforcées par dix centimètres d’isolant à l’intérieur – un matériau composé de coton, lin et chanvre -, et six centimètres de fibre de bois à l’extérieur. «J’ai poussé très très loin», décrypte Olivier Sidler. La plupart des matériaux sont «biosourcés», autrement dit issus de la nature ou du recyclage, renouvelables, souvent recyclables, moins polluants, et ils nécessitent moins d’énergie pour être fabriqués que les matériaux classiques. «Nous avons utilisé de la paille compressée, qui vient d’un champ à dix kilomètres de là et qui, en plus, stocke du carbone», ajoute-t-il. Les fenêtres en bois «super étanches» et à triple vitrage viennent d’Alsace.

Pour rentrer dans la maison, l’air frais doit passer par un caisson de ventilation double-flux qui le préchauffe. «Mettons que l’air neuf entre à 5,7°C, il croise l’air ambiant à 20,7°C et il est soufflé dans la maison à 18°C. Et comme la maison est hyper étanche à l’air, il ne faut jamais arrêter la ventilation mécanique ! Même s’il y a du vent, rien ne rentre puisqu’il n’y a plus aucune infiltration». Résultat : les pertes sont réduites et les apports de chaleur solaire et interne font le reste.

Pour l’électricité, ce sont 45 m2 de panneaux photovoltaïques sur un pan de toit plein sud qui font le travail. Une énergie intégralement revendue à EDF, qui a rapporté 2 200 euros au propriétaire l’an dernier. «A priori, cela va produire quatre à cinq fois plus d’électricité que ce qui est consommé», estime Olivier. Selon ses premiers calculs, 13 000 kWh seront produits chaque année, quand la consommation est estimée à 10 kWh/m2 par an pour l’eau chaude et 15 kWh/m2 par an pour l’électroménager.

Tout est mesuré en direct

Mais comment est-il si sûr que ça marche vraiment ? Grâce à 47 capteurs placés partout dans cette maison expérimentale. Hygrométrie, température, CO2, eau… «Tout est mesuré, on sait comment la maison se comporte, et le bilan est impressionnant», se félicite Olivier Sidler.

«Ça fait partie du deal. J’adore les capteurs, ça me donne des indications que je n’avais jamais eues. Et la petite blague avec les copains, c’est qu’on dit qu’il y a des micros partout !», taquine Adeline. «Ça non alors ! réagit le propriétaire. C’est vrai qu’on sait quand il y a une machine à laver qui tourne, mais on s’en fiche un peu, ce n’est pas le but !».

Depuis son bureau, Olivier peut suivre jour par jour toutes les dépenses énergétiques. © Aurélie Delmas/Vert

Le couple a eu le choc d’apprendre qu’environ 40% de sa consommation d’eau passait… dans les chasses d’eau. «Il faut qu’on mette des toilettes sèches, ce n’est pas possible», s’étrangle Adeline. Toutes les données de la maison vont être passées au crible pendant deux ans, «mais c’est en train de partir exactement dans la direction qu’on avait prévue», assure Olivier.

Un faible coût de construction

Côté efficacité, ça a l’air imparable. Mais est-ce que ça ne coûterait pas un bras, cette histoire ? Même pas : 1 832 euros hors taxes (HT) le mètre carré, soit un coût total d’un peu moins de 195 000 euros hors taxes, sans compter le terrain, ni les panneaux photovoltaïques. «Cette maison satisfait toutes les exigences face à un réchauffement global de +1,5°C. Nous arrivons à faire des logements confortables, compatibles avec les contraintes du changement climatique, à des prix raisonnables, adaptés aux petits budgets. Je suis heureux parce que ça fonctionne bien, et c’est simple», se réjouit Olivier Sidler.

Les brise-soleil orientables devraient permettre de réguler la chaleur pendant l’été. © Aurélie Delmas/Vert

Une expérience «précieuse» aux yeux d’Adeline. «Parfois, je traverse des crises, quand je pense à l’état de la planète. Là, on participe à quelque chose de concret, avec des gens passionnés, engagés et adorables, se réjouit-elle, ça nous rend responsables et autonomes. Cela nous demande de comprendre et d’être moins passifs».

Prochain défi, voir comment se passe la vie dans la maison pendant les grosses chaleurs de l’été. La mission principale d’Adeline et Simon sera alors de jouer avec les brise-soleil orientables et l’aération nocturne, pour que la température ne monte pas trop. Reste aussi à aménager le grand espace extérieur : balançoires, plantations, bacs potagers et même peut-être une caravane-atelier…. les idées ne manquent pas !

*Le prénom a été changé.

«Merci pour tout le travail que vous réalisez, vous êtes d'utilité publique et devriez être prescrits par les médecins». Comme Florent, plus de 11 000 personnes ont soutenu Vert en 2024. Grâce à elles et eux, nous avons pu offrir des centaines d'articles de qualité en accès libre pour tout le monde ! Et tout ça, en restant 100% indépendants et sans publicités.

Permettez au plus grand nombre de comprendre les crises qui nous secouent et de savoir comment agir, et participez au projet médiatique le plus chaud de l'époque en faisant un don à Vert 💚