Décryptage

Face à l’intensification du dérèglement du climat, comment donner un statut aux déplacés climatiques ?

Le nombre de personnes déplacées par des événements extrêmes liés au climat ne cesse de s’accroître, à tel point qu’il pourrait atteindre 1,2 milliard d’individus en 2050. Hélas, le statut de réfugié climatique n’existe pas en droit international, un vide juridique que souhaite combler l’ONG Revi.
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Depuis 2008, chaque année en moyenne, 21,5 mil­lions de per­son­nes ont été déplacées de force à cause des inon­da­tions, des tem­pêtes, des incendies ou encore des tem­péra­tures extrêmes, selon Oxfam. Mon­tée des eaux, tem­pêtes, sécher­ess­es, glisse­ments de ter­rain et autres inon­da­tions… Dès 2030, le monde pour­rait compter 260 mil­lions de nou­veaux déplacés cli­ma­tiques; jusqu’à 1,2 mil­liard en 2050, tou­jours selon l’ONG. Les îles Fid­ji, la région du Sahel, la Soma­lie, le Bangladesh, le Yémen et l’Europe font par­tie des régions déjà touchées.

Il n’existe à ce jour aucun texte encad­rant la sit­u­a­tion de celles et ceux qui sont con­traints de quit­ter leur lieu de vie en rai­son du change­ment cli­ma­tique. Le nom­bre de per­son­nes déplacées par des cat­a­stro­phes liées au cli­mat est pour­tant supérieur à celui des déplacés à cause des guer­res et des vio­lences.

Seul le pro­gramme nation­al des Nations Unies pour l’environnement leur donne une déf­i­ni­tion. Il les inclut dans la caté­gorie des réfugiés envi­ron­nemen­taux et les décrit comme : «ceux qui sont for­cés de quit­ter leur lieu de vie tem­po­raire­ment ou de façon per­ma­nente à cause d’une rup­ture envi­ron­nemen­tale (d’origine naturelle ou humaine) qui a mis en péril leur exis­tence ou sérieuse­ment affec­té leurs con­di­tions de vie.»

Cette déf­i­ni­tion n’a cepen­dant aucune valeur juridique. Pour pal­li­er ce grave vide juridique, l’ONG Revi lutte pour don­ner nais­sance à un véri­ta­ble statut de réfugié et pour amélior­er les con­nais­sances à leur sujet.

Établir une nouvelle convention

Revi a pour ambi­tion de met­tre au point une nou­velle con­ven­tion qui per­me­t­trait de leur octroy­er droits et pro­tec­tion. «Sur le plan juridique, il n’y a rien pour les déplacés cli­ma­tiques», explique Yor­bana Seign-Goura, coor­di­na­teur et co-fon­da­teur de l’association. Dans la con­ven­tion de Genève, traité inter­na­tion­al de droit human­i­taire sur la pro­tec­tion des per­son­nes civiles en péri­ode de guerre, «on ne peut pas inté­gr­er les déplacés cli­ma­tiques comme réfugiés, parce qu’un réfugié, selon cette déf­i­ni­tion, c’est quelqu’un qui est per­sé­cuté chez lui et c’est à cause de ce dan­ger qu’il se réfugie ailleurs. Sou­vent, c’est l’Etat qui per­sé­cute. Pas dans le cas des déplacés cli­ma­tiques, c’est le change­ment cli­ma­tique qui est à l’origine de leur déplace­ment».

Un vide juridique que con­state égale­ment Chris­tel Cournil, pro­fesseure de droit pub­lic à Sci­ences Po Toulouse : «La con­ven­tion de Genève est inscrite et con­notée par rap­port à l’époque de sa rédac­tion, où l’on souhaitait pro­téger une caté­gorie de réfugiés, notam­ment les réfugiés du bloc de l’Est et ces com­bat­tants de la lib­erté dans un monde bipo­laire. Et ce monde, il n’existe plus.»

Selon Revi, c’est bien l’incapacité des États à pro­téger leurs pop­u­la­tions qui est à l’origine de leur mou­ve­ment. Une respon­s­abil­ité que de nom­breux États ne recon­nais­sent pas. «Ils esti­ment que ce n’est pas l’Etat qui est à l’origine de ce qui arrive à ces pop­u­la­tions, mais plutôt le change­ment cli­ma­tique et que ces peu­ples ne font que subir un phénomène glob­al», dit Yor­bana Seign-Goura.

Or, comme l’explique Chris­tel Cournil, les modes de per­sé­cu­tion ont beau­coup changé : «Ce ne sont plus seule­ment les Etats qui per­sé­cu­tent, ce sont des autorités, par­fois publiques ou privées. Il y a égale­ment des per­sé­cu­tions plus com­plex­es, liées à la fois à des poli­tiques publiques désas­treuses qui génèrent des famines, des effets sur l’environnement et déclenchent des départs de pop­u­la­tion».

Assistée d’une équipe pluridis­ci­plinaire de chercheurs, de juristes et d’ac­tivistes, Revi tra­vaille à la rédac­tion d’une con­ven­tion plus en phase avec les prob­lé­ma­tiques actuelles liées au réchauf­fe­ment cli­ma­tique.

Sensibiliser et informer

L’ONG mène aus­si des cam­pagnes de sen­si­bil­i­sa­tion à l’échelle mon­di­ale, organ­isant con­férences et forums sur les droits des réfugiés cli­ma­tiques. Elle tra­vaille en étroite col­lab­o­ra­tion avec les gou­verne­ments, les organ­i­sa­tions inter­na­tionales et la société civile.

L’organisation est com­posée d’un con­seil de reporters cli­ma­tiques con­sti­tué de mem­bres chargés de réalis­er des reportages sur les lieux où l’on con­state des déplace­ments dus aux boule­verse­ments cli­ma­tiques. Ce con­seil com­prend dif­férentes per­son­nes qui habitent ou voy­a­gent dans dif­férentes régions du monde. L’organisation cou­vre l’Afrique cen­trale, l’Allemagne, la Malaisie et le Népal ain­si que l’Australie et la Nou­velle-Zélande.

Revi par­ticipe égale­ment à accroître les con­nais­sances sci­en­tifiques sur le sujet en sou­tenant des pro­grammes de recherche. «Le fruit de ces travaux est des­tiné aux décideurs poli­tiques dans la mise en place de poli­tiques publiques à des­ti­na­tion des réfugiés cli­ma­tiques, en leur four­nissant des out­ils juridiques, économiques, poli­tiques et tech­niques», racon­te encore Yor­bana Seign-Goura.

Si la ques­tion du statut des déplacés cli­ma­tiques est aujourd’hui cru­ciale, la créa­tion d’une nou­velle con­ven­tion risque de pren­dre un temps con­sid­érable, tant le sujet est encore sec­ondaire au niveau inter­na­tion­al.

Bess­ma Sik­ouk